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Chirurgie

Publié le 08 aoû 2011Lecture 15 min

Les greffes de peau totale

J. PAUCHOT*, B. CHATELAIN**, Y. TROPET* *Service d’orthopédie, traumatologie, chirurgie plastique, reconstructrice et assistance main, CHU de Besançon **Service de chirurgie maxillo-faciale et stomatologie, CHU de Besançon
Les greffes de peau sont le procédé de couverture le plus utilisé en chirurgie. Par définition et par opposition aux lambeaux qui sont autonomes sur le plan vasculaire, les greffes de peau nécessitent d’être revascularisées par le sous-sol sur lequel elles sont appliquées. Le succès d’une greffe de peau tient donc autant à l’indication qu’à la technique de réalisation.
En fonction de l’épaisseur du prélèvement de la peau, on distingue les greffes de peau mince et les greffes de peau totale. Ces dernières intéressent la totalité du derme avec ses annexes en plus de l’épiderme. L’adjonction du derme confère aux greffes de peau totale des propriétés intéressantes comparativement aux greffes de peau mince. En revanche, l’absence de cellules basales résiduelles épidermiques sur le site donneur ne permet pas une cicatrisation par épidermisation et la fermeture directe du site donneur par suture est alors nécessaire. Les autogreffes (greffes prélevées et utilisées sur le même patient) sont de loin les plus fréquentes. Les homogreffes (issues d’un autre être humain) et les hétérogreffes (issues d’un animal) concernent essentiellement les centres de grands brûlés et n’entrent pas dans ce cadre.   Rappel historique La première description de la technique de la greffe de peau totale semble revenir à George Lawson (1831-1903) qui rapporta en 1870 les résultats de trois greffes de peau totale prélevées à la face interne du bras. Il insiste déjà sur les trois recommandations nécessaires pour une bonne prise : dégraissage de la greffe, application sur un bourgeon sain, application d’une pression sur la greffe. Son travail passa toutefois inaperçu et ce sont les noms de Wolfe (1824-1904) pour les Anglo-Saxons et de Krause (1856-1937) pour les Allemands qui resteront historiquement associés aux greffes de peau totale.   Histologie Les greffes de peau totale intéressent la totalité du derme et de l’épiderme (figure 1).   Figure 1. Profondeur des prélèvements des greffes de peau mince et totale. Elles incluent donc les annexes cutanées (follicules pileux, glandes sébacées), ce qui peut être intéressant dans certaines indications (figure 2). Figure 2. Greffe de peau totale prélevée au niveau de l’abdomen pour couvrir une perte de substance iatrogène à la face postérieure de la jambe gauche (lambeau sural). Noter la présence de la pilosité qui contribue à la bonne intégration de la greffe. Attention, donc, aux prises de greffe de peau totale chez l’enfant pour des zones non pileuses (paume par exemple), où les poils peuvent pousser au moment de la puberté. Appliquée sur un site receveur apte à la revasculariser, la greffe de peau va initialement survivre par imbibition. Au cours de cette phase d’imbibition, l’exsudat du site receveur infiltre la greffe, permettant des échanges métaboliques et une acidose s’installe en raison du métabolisme anaérobie. La greffe peut ainsi, au cours de cette phase, gagner jusqu’à 40 % de son poids. La durée de cette phase de survie cellulaire dépend du délai d’installation de la deuxième phase : la phase de revascularisation. La néoangiogenèse, stimulée par les conditions locales (acidose) s’associe à la revascularisation du réseau vasculaire existant dans le derme pour rétablir le flux sanguin au sein du derme greffé. Ce dernier mode de revascularisation explique qu’une greffe de peau totale peut « prendre », par effet pont, au-dessus d’une surface avasculaire. Cette dernière doit toutefois être de surface limitée, inférieure à 1 cm2. Carl Thiersch (1822-1895) avait déjà démontré dès 1874, au travers d’une expérimentation originale, le caractère précoce de cette revascularisation, dès la 18e heure. Si cette phase de revascularisation ne s’installe pas au cours des 3 premiers jours, le risque d’échec de la greffe est majeur. Par rapport aux greffes de peau mince où l’épaisseur de derme est faible, la revascularisation de la totalité du derme dans les greffes de peau totale explique le risque plus important d’échec ou de souffrance épidermique des greffes de peau totale. Si la phase de revascularisation ne s’installe pas au cours des 3 premiers jours, le risque d’échec de la greffe est majeur. Le rétablissement de la circulation lymphatique se fait parallèlement à la restauration de la circulation sanguine. Si, histologiquement, l’invasion de la greffe de peau totale par les fibres nerveuses commence très tôt, la récupération de la sensibilité est bien plus tardive mais respecte le schéma sensoriel du site receveur. La récupération sensitive est d’autant meilleure que le site donneur est riche en fibres nerveuses. Seules les greffes de peau totale sont capables de se réinnerver.  Figure 4. Cicatrice de prélèvement de greffe de peau totale au niveau susclaviculaire. (Collection Dr Chatelain) Toutefois, le pouvoir discriminatif médiocre des greffes les contre-indique pour les reconstructions pulpaires. Seules les greffes de peau totale sont capables de se réinnerver. À part, les greffes de peau « supertotale » décrites par Simonetta, qui emportent la totalité du réseau vasculaire sous-dermique protégé par quelques lobules graisseux et nécessitent une dissection sous loupe grossissante. Le réseau vasculaire pourra ainsi être revascularisé directement. Cette greffe, qui peut être assimilée à une greffe de peau totale mal préparée (insuffisamment dégraissée), a une prise plus difficile que les greffes de peau totale.   Les greffes de peau totale en pratique Propriétés des greffes de peau totale Par opposition aux greffes de peau mince, les avantages des greffes de peau totale sont : – une absence de rétraction ; – une moindre dyschromie ; – une meilleure résistance mécanique ; – la présence d’annexes pilosébacées (figure 2) ; – une cicatrisation rapide et peu douloureuse du site donneur.  Figure 5. Greffe de peau totale prélevée au niveau de l’abdomen. a. Nécrose cutanée après écrasement de la cuisse par un autobus. b. Excision de la nécrose. c. Prélèvement de la greffe de peau totale au niveau de l’abdomen. L’hypoderme est exposé. d. Application de la greffe de peau sur la perte de substance après 15 j de cicatrisation dirigée. e. Résultat à 6 mois après fermeture du site de prélèvement par une abdominoplastie avec transposition de l’ombilic. (Collection Dr Pauchot) Les sites donneurs Figure 6. Reconstruction de l’aréole par greffe de peau totale prélevée à la face supéro-interne de la cuisse après mastectomie et reconstruction par implant. (Collection Dr Pauchot) Les spécificités de la zone donneuse de greffe de peau totale sont : – la nécessité d’une fermeture directe du site de prélèvement ; – une rançon cicatricielle acceptable ; – une topographie voisine du site receveur pour des raisons esthétiques (éviter une dyschromie, en particulier au niveau de la face), ou des raisons mécaniques (prélèvement sur l’éminence hypothénar pour une greffe sur la paume par exemple). Les zones donneuses de greffe de peau totale sont représentées sur la figure 3 et sont : – la région rétro-auriculaire avec un patron de résection à cheval sur le sillon rétro-auriculaire. Il s’agit de la meilleure zone de prélèvement pour une greffe destinée à la face. Attention à la possibilité de cicatrice chéloïde ; – la paupière supérieure, en particulier en cas de dermatochalazis. Le prélèvement entre alors dans le cadre d’une blépharoplastie. La peau, très fine, peut être utilisée pour les pertes de substance de la paupière inférieure oculaire (par opposition à la paupière orbitaire) ; – la région pré-auriculaire avec une cicatrice très discrète ; – la région sus-claviculaire qui permet des greffons de grande taille pour la face et qui peut bénéficier de la mise d’un expandeur (figure 4). La rançon cicatricielle peut être gênante, en particulier chez la femme ; – la face interne du bras et l’éminence hypothénar régulièrement utilisée en chirurgie de la main car souvent incluse dans le champ opératoire et souvent déjà anesthésiée en cas d’anesthésie locorégionale ; – le sillon sous-mammaire, voire la peau mammaire chez la femme aux seins ptosés ou hypertrophiés acceptant une chirurgie correctrice de sa poitrine ; Figure 7. Technique de « l’ouvreboîte ». Noter l’absence de lobule graisseux sur la greffe de peau. (Collection Dr Pauchot) – l’abdomen avec possibilité de prélèvement d’une bande suspubienne voire dans le cadre d’une véritable abdominoplastie (figure 5) ; – la face supéro-interne de la cuisse peut être choisie pour sa pigmentation en cas de reconstruction de la plaque aréolo-mammelonnaire, mais l’exérèse doit être limitée pour ne pas former de bride (figure 6) ; – prélèvement sous une cicatrice préexistante (appendicectomie, césarienne), afin d’éviter une cicatrice supplémentaire, à préférer au prélèvement centré sur la cicatrice. La région rétro-auriculaire est la meilleure zone de prélèvement pour une greffe destinée à la face. Les prélèvements au niveau des plis de flexion, en particulier au niveau du coude sont à éviter en raison du risque de bride et de cicatrice chéloïde.    Ainsi, le choix de la zone donneuse dépend :   Figure 8. Dégraissage de la greffe aux ciseaux. – de la nécessité ou non d’être à proximité de la zone receveuse (dyschromie, propriétés mécaniques) ; – de la surface nécessaire ; – du champ opératoire ; – de la possibilité de bénéfice secondaire en cas de chirurgie combinée (abdominoplastie, réduction mammaire, blépharoplastie, etc.).   Technique de prélèvement Le succès d’une greffe tient autant à l’indication qui définit la capacité du sous-sol à revasculariser la greffe qu’à la technique de prélèvement et de contention qui nécessite une grande rigueur, en particulier en cas de greffe de peau totale.  Figure 9. Exemple de site receveur de greffe de peau dont l’avivement n’est pas nécessaire. La greffe de peau pourra être appliquée sans perforation. • Un patron de la perte de substance est réalisé et reporté sur la zone donneuse puis dessiné. Bien que la nécessité de fermeture du site donneur impose souvent un dessin en ellipse, seul le patron peut être prélevé en greffe de peau totale, l’excision complémentaire étant sans spécificité. Une infiltration sous-cutanée (sérum injectable ou anesthésique local) facilite le prélèvement. Toute l’épaisseur de la peau est incisée jusqu’à apparition de l’hypoderme. Un crochet de Gillis tire la greffe et le bistouri la sépare de l’hypoderme (éviter l’écrasement de la greffe par une pince). Le prélèvement de longues bandes peut être réalisé selon le principe de « l’ouvre-boîte » (figure 7). La greffe est mise dans une compresse humide bien identifiée en attendant son application. • La zone de prélèvement est fermée, après complément d’exérèse habituellement sous forme d’une ellipse, avec ou sans décollement des berges et après contrôle de l’hémostase (figures 4 et 5). La résection de l’hypoderme sous-jacent n’est pas systématique. Figure 10. Mise en place du bourdonnet. (Collection Dr Pauchot) • Le greffon est préparé avec un dégraissage soigneux selon une technique bien particulière (figure 8). Sur une compresse coincée entre la première et la deuxième commissure, la peau est appliquée tendue, épiderme au contact de la compresse. Avec le talon de ciseaux courbes, les lobules graisseux sont déposés, puis la greffe est rincée dans du sérum physiologique. • La greffe est ensuite appliquée sur le site receveur avec fixation première des points cardinaux. L’ajustement de la greffe avec les bords de la perte de substance doit être méticuleux. • Lorsqu’il existe un risque de saignement ou d’accumulation de sérosité sous la greffe, la greffe doit être perforée au bistouri. Il peut être utile de perforer avant la pose pour augmenter les dimensions de la greffe, mais au prix d’un élargissement inesthétique des orifices. Sinon, il vaut mieux perforer la greffe une fois en place en faisant attention à ne pas faire saigner davantage le sous-sol. La perforation n’est toutefois pas nécessaire s’il n’y a pas de risque de saignement, en particulier si le sous-sol n’a pas été avivé. L’avivement du sous-sol par une compresse ou un grattoir pour obtenir un léger saignement n’est pas systématique si l’aspect du site donneur est propre et sans fibrine (figure 9). • La fixation de la greffe et l’immobilisation des tissus sousjacents sont indispensables pour sa revascularisation. La greffe doit être fixée par un bourdonnet, constitué d’une compresse de tulle gras et d’une épaisseur importante de compresses, qui est fixé solidement par des fils (fils séparés, surjet de part et d’autre du bourdonnet, points en U) (figure 10). À noter qu’il est recommandé de mettre les fils pour fixer le bourdonnet à distance de la greffe pour appliquer une pression sur les berges de la greffe. Toutefois, la technique de fixation à partir d’un brin long du fil fixant la greffe est couramment utilisée pour sa rapidité. Le recours à la thérapie par pression négative doit être exceptionnel en raison de son coût et limité aux zones de compression difficile ou mobile et aux grandes surfaces greffées (dos, abdomen). Figure 11. Évolution d’une greffe de peau totale prélevée au niveau de l’abdomen appliquée sur une jambe. (Collection Dr Pauchot) L’immobilisation a pour but d’éviter les déplacements des structures sous-jacentes ou adjacentes à la greffe (tendon, muscle, articulation) et peut être indiquée au niveau des membres. La durée de la compression doit être, en cas de greffe de peau totale, d’une durée minimale de 5 jours. La greffe, initialement couleur chamois est alors rose et adhérente à son lit. L’aspect creusé lié à la compression par le bourdonnet disparaît complètement en quelques jours. La greffe doit encore être protégée par de la vaseline jusqu’à l’ablation des fils au 10e jour puis peut être laissée à l’air. Figure 12. Patient de 74 ans ayant bénéficié d’une greffe de peau mince sur la jambe homolatérale. Résultat à 4 mois. La cicatrisation est acquise au niveau du site receveur mais pas au niveau du site donneur. (Collection Dr Pauchot)   Figure 13. Unités esthétiques de la face selon Gonzales Ulloa modifié. • L’évolution de la greffe va être marquée par une atténuation progressive de la zone de transition entre la greffe et la peau saine. La couleur de la greffe peut évoluer sur une longue période, mais garde une coloration proche de celle du site donneur (figure 11) d’où l’intérêt des prises de greffes à proximité de la perte de substance. • L’éviction solaire est préconisée pendant un an en raison du risque d’hyper- ou d’hypopigmentation. Une crème hydratante peut être appliquée.   Indications Les greffes de peau totale peuvent être indiquées pour leurs qualités esthétiques et propriétés mécaniques, et pour diminuer la morbidité des sites donneurs de greffe de peau mince (figure 12). La greffe de peau totale doit être évoquée en cas : – d’impératif esthétique : couleur, pilosité ; – de greffe à proximité d’un orifice (pas de rétraction) ; – de greffe en zone de mobilité ; – de nécessité d’une résistance mécanique (zone d’appui) ; – de crainte de retard de cicatrisation ou de complications (saignement, douleur) sur le site donneur de greffe de peau mince, en particulier chez la personne âgée (figure 12). Au niveau de la face, la greffe doit respecter les unités et sous-unités esthétiques (figures 13, 14 et 15). Plus encore que pour une greffe de peau mince, le site receveur d’une greffe de peau totale doit être bien vascularisé. La prise de greffe est possible : – sur un tissu de bourgeonnement propre ; – sur du tendon avec son péritendon préservé ; – sur du périoste ; – sur de la galéa.   Figure 15. Greffe de peau totale. a. Noter les fils longs pour fixer le bourdonnet. b. Résultat à J5. c. Résultat à J15. (Collection Dr Chatelain) Figure 14. Exérèse pour carcinome basocellulaire sclérodermiforme. Exérèse selon une sous-unité esthétique et greffe de peau totale prélevée au niveau cervical. a. Patron d’exérèse préopératoire. b. Résultat à J5, après dépose du bourdonnet. c. Résultat à 1 mois. (Collection Dr Chatelain) Toutefois, dans ces trois dernières indications, des greffes de peau mince peuvent être préférées pour leur prise plus facile, et il convient de se méfier de la fragilité du péritendon, du périoste et de la galéa, en particulier vis-à-vis de la dessiccation. Par effet pont, la prise de greffe est possible sur une surface avasculaire, mais elle ne doit toutefois pas dépasser 1 cm2.   Les causes d’échec de prise de greffe Les causes d’échec sont nombreuses et peuvent être classées en cinq groupes : – échec lié à l’état de la zone receveuse avec une revascularisation insuffisante ; – échec lié à l’infection ; – échec lié à la survenue d’un hématome ou d’un sérome ; – échec lié à une cause mécanique (défaut d’immobilisation) ; – échec lié à une erreur technique (dégraissage, orientation de la greffe, fixation). L’échec peut être complet ou partiel. Toutefois, une réépithélialisation en îlot est possible après un échec de greffe à partir de cellules issues de la greffe restées sur le site receveur.   Points forts  Les greffes de peau totale sont indiquées : – au niveau de la face ; – en zone d’appui ; – en zone de mobilité ; – pour éviter les séquelles des sites de prélèvement des greffes de peau mince chez la personne âgée.  Deux situations sont retrouvées en clinique : – les greffes de peau réalisées sous anesthésie locale, essentiellement au niveau de la face ; – les greffes réalisées sous anesthésie générale pour de larges pertes de substance, en particulier au niveau des membres.  La technique doit être rigoureuse avec : – un sous-sol bien vascularisé et propre ; – une greffe bien dégraissée ; – une bonne compression par bourdonnet avec immobilisation.  

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