Publié le 31 mai 2025Lecture 7 min
Microbiome cutané et dermatite atopique - L’importance des émollients plus
Delphine KEROB, Hôpital Saint-Louis, Paris

La dermatite atopique est caractérisée par un triangle pathophysiologique associant altération de la barrière cutanée physicochimique, déséquilibre du microbiome et inflammation. Les avancées scientifiques révèlent le rôle crucial du microbiome dans sa pathogenèse, ouvrant la voie aux émollients plus , qui peuvent améliorer la barrière physicochimique tout en maintenant un microbiome de surface équilibré.
L a dermatite atopique (DA) touche de 11 % à 20 % des enfants et jusqu’à environ 10 % des adultes(1,2). Elle associe signes cliniques et symptômes, dont le prurit, contribuant à l’altération fréquente de la qualité de vie des sujets, et s’associe à des comorbidités atopiques ou non atopiques. Sous le microscope, elle se caractérise par une barrière cutanée altérée dans sa composante physique (altération de la composante lipidique) et chimique (perte du manteau acide cutané), un déséquilibre du microbiome et une inflammation non spécifique de type 2(2). La perte d’intégrité de la barrière permet la pénétration d’allergènes, de polluants et de microbes, et le déclenchement d’une cascade d’événements immunitaires inflammatoires, classiquement Th2. Cependant, lors de phases chroniques ou chez certaines populations, des profils immunologiques Th1 ou Th17 peuvent être observés(3). Le microbiome cutané est essentiel à la fonction barrière de notre peau. Il constitue la première barrière vivante entre notre organisme et l’environnement. Sa diversité permet d’éviter la prolifération de germes potentiellement pathogènes. Et ce rôle n’est pas uniquement passif : de nombreuses bactéries cutanées dites commensales, telles que Staphylococcus epidermidis, sont aussi capables de produire des molécules, souvent des peptides qui ont des activités bactéricides contre des germes indésirables, ce sont les peptides antimicrobiens(4,5).
La DA est caractérisée par une perte de diversité microbienne et une prédominance de Staphylococcus aureus (S. aureus)(5). Sa présence est retrouvée environ chez 70 % des sujets sur la peau lésionnelle et 39 % sur la peau non lésionnelle(5). Cette surcolonisation s’accompagne d’une diminution de la diversité des bactéries commensales bénéfiques.
Mécanismes d’action de S. aureus dans la DA
S. aureus contribue à la pathogenèse de la DA par plusieurs mécanismes(5,6).
• Production de facteurs de virulence
S. aureus sécrète des toxines (superantigènes), des enzymes et d’autres protéines qui compromettent la barrière cutanée et provoquent l’inflammation.
• Modulation immunitaire
S. aureus peut provoquer une inflammation en induisant une expansion des lymphocytes B indépendante des lymphocytes T, en initiant la production de cytokines pro-inflammatoires telles que la TSLP à partir des kératinocytes et en stimulant la dégranulation des mastocytes, entraînant une inflammation Th2. S. aureus est capable de pénétrer directement la couche cornée et l’épiderme, phénomène qui s’accentue lorsque la barrière cutanée physique est altérée. Bien que cette pénétration ne présente pas les caractéristiques d’une infection, elle altère les réponses inflammatoires qui en retour altèrent davantage le microbiome de surface et perpétuent la maladie en aggravant le processus de rupture de la barrière.
• Formation de biofilms
S. aureus est capable de former des structures multicouches, les bactéries au sein de ces biofilms étant plus résistantes et, par conséquent, plus virulentes.
• Perturbation de l’équilibre microbien
S. aureus inhibe la croissance d’autres souches commensales de staphylocoques et perturbe l’écosystème microbien cutané.
Facteurs influençant la croissance de S. aureus
Plusieurs facteurs favorisent S. aureus sur la peau atopique(3,5,7,8).
• Les mutations du gène de la filaggrine
Ces mutations entraînent des défauts de la barrière cutanée permettant une adhésion-prolifération accrue de S. aureus, ainsi qu’un pH cutané plus élevé en raison d’une concentration plus faible de produits de dégradation acides de la filaggrine.
• Le pH cutané
L’élévation du pH du stratum corneum chez les patients atteints de DA a un impact négatif sur la fonction barrière et favorise la colonisation par S. aureus. Elle est un facteur prédictif de poussées de DA.
• La diminution des peptides antimicrobiens
Les patients atteints de DA présentent une déficience sélective en peptides antimicrobiens, ce qui contribue à la perte de diversité microbienne.
Guidelines du traitement de la DA
Les guidelines de prise en charge de la DA recommandent les émollients comme traitement fondamental, quelle que soit la sévérité de la maladie (figure 1)(9).
Figure 1. Algorithme de prise en charge de la dermatite atopique des adultes. Recommandations Européennes (d’après A. Wollenberg et coll.[9]).
Selon les dernières recommandations américaines (AAAAI/ACAAI), la gestion du microbiome cutané fait partie des stratégies thérapeutiques de la DA(10). Il est d’ailleurs recommandé de ne prescrire des antibiotiques topiques qu’en cas de DA surinfectée, afin d’éviter l’émergence de souches résistantes qui pourraient compromettre l’efficacité future des traitements anti-infectieux.
Les émollients sont essentiels dans la gestion de la DA. Ils restaurent la fonction barrière, réduisent les symptômes et limitent le besoin de corticostéroïdes(2). Les guidelines internationales recommandent l’application d’un émollient quotidiennement, avec un pH adapté au manteau acide de la peau, sans parfum, hypoallergénique. La quantité d’émollients varie selon l’âge et la surface cutanée allant de 40 g à 250 g par semaine(11).
Composition et mécanismes d’action des émollients plus
Pour être efficaces, les émollients doivent contenir plusieurs types d’ingrédients(2,12).
• Des agents émollients
Les agents émollients rendent la peau plus souple en comblant les espaces entre les cornéocytes : huiles végétales (hydrogénées ou non), huiles minérales (paraffine, vaseline), beurres végétaux (karité, cacao), céramides et leurs précurseurs.
• Des agents humectants
Les agents humectants aident le stratum corneum à capter l’eau : glycérol et dérivés, urée, acide lactique.
• Des agents occlusifs
Les agents occlusifs créent une barrière étanche et empêchent l’évaporation : vaseline, agents filmogènes hydrophiles (acide hyaluronique).
Les émollients plus se distinguent des émollients traditionnels par la présence d’ingrédients actifs, tels que lysats bactériens (Vitreoscilla filiformis, Aquaphilus dolomiae), qui peuvent non seulement améliorer les lésions inflammatoires mais aussi ré équilibrer le microbiome de surface(9).
Approches innovantes ciblant le microbiome
Plusieurs approches thérapeutiques innovantes ciblant spécifiquement la dysbiose du microbiome dans la DA sont en développement(5).
• Les émollients plus
Plusieurs études ont montré l’efficacité d’un émollient plus enrichi en Aqua posae filiformis (lysat de Vitroscella filiformis cultivé dans une eau thermale) et Microresyl(13). Une première étude randomisée contrôlée (RCT) a été conduite en Slovaquie chez des sujets avec DA minime à modérée, en maintenance après un traitement médicamenteux. Les patients étaient randomisés pour recevoir soit un émollient plus soit un émollient standard. Les résultats ont montré une amélioration supérieure en termes de rechute de la DA, en parallèle d’une amélioration du microbiome cutané des zones lésionnelles et non lésionnelles, et ce, alors que les sujets dans le groupe émollient plus utilisaient moins de quantité de produit comparé au groupe contrôle. Une autre étude randomisée contrôlée a permis de montrer une épargne cortisonique chez les sujets randomisés dans le bras émollient plus. Cet émollient plus a aussi montré un bénéfice supérieur en termes d’amélioration du prurit chez des patients avec DA modérée à sévère sous traitement systémique, comparé à un groupe contrôle, et ce, malgré une consommation moins importante de produit. Enfin, une autre étude ouverte a montré une amélioration sur 6 mois de la DA, une réduction du nombre de poussées, une amélioration de la qualité de vie en parallèle d’une amélioration des paramètres de barrière cutanée physique et une amélioration du microbiome(13).
• Bactériothérapie autologue
Des patients atteints de DA positive à S. aureus ont été traités par application topique d’espèces de staphylocoques à coagulase négative (CoNS) productrices d’antimicrobiens, cultivées à partir de leur propre peau non lésionnelle. Après traitement, la colonisation par S. aureus a diminué de 99 % par rapport aux témoins, et les lésions cutanées se sont significativement améliorées(5).
• Endolysines anti-S. aureus
Une crème contenant une endolysine de bactériophage modifiée peut spécifiquement lyser la paroi cellulaire de S. aureus sans affecter les bactéries commensales. Son application a mis en évidence une réduction rapide et significative de la sévérité de la DA sur 14 jours(5).
• Manipulation du microbiome
L’utilisation de prébiotiques, probiotiques et postbiotiques peut avoir des effets positifs sur la DA. Par exemple, une crème probiotique contenant Nitrosomonas eutropha a montré un potentiel immunomodulateur pour traiter la DA(5).
En pratique
La dysbiose du microbiome joue un rôle central dans la pathogenèse de la DA. Les émollients plus représentent une approche prometteuse pour restaurer la fonction barrière et l’équilibre du microbiome.
Ces émollients devraient être intégrés dans la prise en charge quotidienne, en complément des thérapies anti-inflammatoires. Leur utilisation régulière améliore les signes cliniques, la barrière physique et microbienne, la qualité de vie et prolonge les périodes entre les poussées.
Conformément aux recommandations des sociétés savantes(9,10), le choix de l’émollient devrait considérer les préférences du patient pour assurer une bonne adhérence. Un émollient bien équilibré, avec des ingrédients efficaces et une excellente tolérance, offre la meilleure option pour la DA.
Les nouvelles approches thérapeutiques ciblant spécifiquement le microbiome offrent des perspectives prometteuses pour la prise en charge personnalisée de la DA, en complément des traitements anti-inflammatoires conventionnels.
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