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Dermatologie pédiatrique

Publié le 09 oct 2016Lecture 10 min

Les formes trompeuses de la gale

A.-S. DUTKIEWICZ, F. BORALEVI, Unité de Dermatologie pédiatrique, hôpital des enfants, CHU Pellegrin, Bordeaux

La gale est une dermatose infectieuse, due à un parasite type acarien, le sarcopte (Sarcoptes scabiei variété hominis) transmis principalement par contact interhumain. Bien que la forme clinique typique soit facilement diagnostiquée, il existe de nombreuses causes de retard à la prise en charge.

Épidémiologie   La gale est un fléau mondial affectant près de 130 millions de personnes chaque année, et serait responsable de 300 000 décès (glomérulonéphrites post-streptococciques, RAA, etc.). En France, la gale est en augmentation dans la population générale et dans les établissements de santé avec une incidence estimée à 328 cas (réels ou supposés) pour 100 000 personnes par an(1). Bien qu’elle puisse survenir à tout âge et dans toute population, les facteurs favorisants sont le contact prolongé avec un individu infecté, la vie en collectivité, la précarité sociale.   Forme commune : diagnostic « du coup d'œil »   L’infection survient après contact interhumain ou indirectement, par l’intermédiaire de l’environnement (tissus contaminés) bien qu’un sarcopte ne survive que quelques jours hors de l’épiderme. La période silencieuse est en général d’un mois (cycle parasitaire de 20 jours). Dans une gale commune, le nombre de sarcoptes adultes varie entre 5 et 15 sur l’hôte. Le motif de consultation habituel est le prurit. Celui-ci est féroce, insomniant, et classiquement à prédominance vespérale. On note le plus souvent un prurit familial ou chez une personne contact infectée. Les lésions sont attribuées à la fois à l’acarien et à une réaction d’hypersensibilité à celui-ci(2) : – les vésiculo-pustules palmoplantaires et interdigitales ; – les sillons, lésions sinueuses de quelques millimètres (trajet de l’acarien femelle dans la couche cornée), prédominant sur les zones palmo-plantaires, interdigitales et la face antérieure des poignets ; – les nodules scabieux, papulonodules rouges ou violacés. D’autres lésions, peu spécifiques à type d’excoriations, de prurigo ou d’éruption eczématiforme peuvent être observées. Le diagnostic de scabiose est avant tout clinique, avec confirmation dermoscopique (figure 1)(3) ou par examen parasitologique (grattage des lésions au scapel et visualisation du sarcopte en microscopie optique (figure 2). Toutefois, une forte suspicion clinique peut être suffisante au diagnostic. D’autres examens diagnostiques tels que la microscopie confocale sont discutés mais non effectués en pratique courante.   Formes atypiques et retard diagnostique   Bien que la plupart des cas de scabiose soient facilement décelables, certains patients ne sont diagnostiqués que tardivement (2 mois en moyenne, dans les formes communes). Les causes en sont multiples. Les populations à risques sont les personnes âgées et les patients immunodéprimés.   Le traitement antiscabieux antérieur   L’infection peut persister après un premier traitement antiscabieux. Il peut s’agir d’un problème d’observance au traitement, d’un protocole de soins sous-optimal, mais également d’une réinfestation par les sujets contact ou l’environnement. En cas de persistance des symptômes, de nombreux diagnostics sont alors évoqués (exemples : dermatite atopique/dyshidrose, toxidermie, lymphome cutané ou histiocytose si présence de nodules, prurit sine materia si scabiose pauci-symptomatique). Le diagnostic peut être difficile devant l’absence de visualisation de sarcopte adulte, la présence de lésions de grattage diffuses et peu spécifiques (nodules isolés, lésions eczématiformes profuses…).   La gale des sujets âgés   Cette forme est souvent sous diagnostiquée car le prurit sénile est évoqué en première intention en cas de prurit féroce chez un patient âgé. De plus, l’application de dermocorticoïdes au long cours est un facteur aggravant. La forme bulleuse peut également être confondue avec une pemphigoïde chez les patients âgés de plus de 65 ans.   La forme hyperkératosique, anciennement « gale norvégienne »   Elle survient le plus souvent chez les patients immunodéprimés (corticothérapie au long cours, infection par VIH, patients sous immunosuppresseurs, transplantés d’organe...) ou ayant un retard mental(2,4). Le prurit n’est pas un critère majeur et l’éruption est psoriasiforme (figure 3) avec une atteinte du visage, du scalp et une hyperkératose palmo-plantaire. Peuvent s’y associer une atteinte unguéale, des adénopathies périphériques et une hyperéosinophilie. Cette forme est profuse et très contagieuse, notamment pour le personnel soignant.   Figure 1. Signe du deltaplane : visualisation d’une structure triangulaire sombre (partie antérieure du parasite adulte), comportant un segment linéaire à sa base (tunnel creusé pour y déposer les œufs).   Figure 2. Sarcopte adulte et œuf en microscopie optique.   Figure 3. Lésions hyperkératosiques, psoriasiformes, témoignant d’une scabiose profuse.   La forme du nourrisson   La gale peut survenir dès le premier mois de vie. La présentation clinique du nourrisson diffère de celle de l’adulte. Les atteintes du cuir chevelu, du visage, des plantes et des plis, notamment axillaires, sont plus fréquentes(5). Les nodules, prédominants au niveau thoraco-axillaire (figure 4), sont également plus nombreux et plus fréquemment observés avant l’âge de 2 ans. Dans une famille, l’atteinte du nourrisson est souvent la plus sévère et récidivante. Le prurit, bien que non systématique, peut se traduire par des troubles du sommeil, un tortillement au déshabillage, une cassure de la courbe pondérale ou une irritabilité, un inconfort(6). Concernant les diagnostics différentiels, les nourrissons sont souvent adressés en consultation pour dermatite atopique (atteinte profuse, avec localisation faciale et axiale) (figure 5).   Figure 4. Nodules scabieux thoraco-axillaires chez l’enfant.   Figure 5. Lésions eczématiformes diffuses chez un nourrisson présentant une scabiose. Une poussée de dermatite atopique peut également masquer la gale, et auto-entretenir la parasitose par l’application régulière de dermocorticoïdes.   Une histiocytose langerhansienne(7) ou une urticaire pigmentaire peuvent parfois être évoquées. L’atteinte vésiculo-pustuleuse palmo-plantaire (figure 6) ne doit pas être confondue avec une acropustulose infantile palmoplantaire. Cette dermatose peut également survenir dans les suites d’une authentique scabiose, rendant difficile le dépistage d’une récidive (absence de sillon ou de prurit familial).   Figure 6. Papulo-pustules et sillons scabieux plantaires.   Autres causes de retard au diagnostic   La forme pauci-symptomatique (avec absence de prurit, absence de contage familial, notamment chez le conjoint) ou une clinique atypique (pas de prédominance palmaire, prurit diffus, lésions eczématiformes ou papulonodules isolés : figure 7) peuvent être des éléments trompeurs. Toutefois, le diagnostic de gale ne doit pas être écarté par l’absence de certains critères. Un traitement doit être envisagé en cas de doute diagnostique, notamment chez les patients immunodéprimés, vivant en collectivité ou âgés.    Figure 7. Nodules des coudes et des chevilles isolés chez un garçon immunodéprimé ; scabiose de présentation atypique.   Traitement   Diagnostiquer précocement une scabiose diminue considérablement la transmission interhumaine et le nombre de cas, pour cette dermatose tout récemment listée par l’OMS comme une priorité de santé publique. Outre le problème épidémiologique, la gale est responsable d’une augmentation des infections cutanées à Streptococcus pyogenes du groupe A et Staphylococcus aureus, à l’origine de complications secondaires systémiques. Le traitement comprend trois étapes : traiter le patient, l’entourage et l’environnement. L’interrogatoire constitue l’étape-clé pour une prise en charge thérapeutique optimale.   Traitements topiques   Depuis la disparition du benzoate de benzoyle/monosulfiram (Ascabiol®) en 2012, les traitements topiques disponibles étaient l’esdépalléthrine en spray (Spregal®) et le benzoate de benzyle 10 % en badigeon (Antiscabiosum®), émulsion importée d’Allemagne et uniquement disponible en rétrocession hospitalière. L’efficacité de ces produits n’était qu’insuffisamment démontrée et semblait partielle, avec une tolérance imparfaite (sensation d’inconfort, brûlures, irritations ou eczématisation). De surcroît, leur non remboursement constituait un sérieux frein à l’observance. La perméthrine en crème est le traitement de référence depuis de nombreuses années, dans de nombreux pays, notamment en Europe. Depuis juillet 2015, date de son autorisation de mise sur le marché (AMM), ce traitement est disponible en France. Le mécanisme d’action principal chez les parasites est l’induction d’anomalies électrochimiques au niveau des membranes cellulaires, notamment les canaux sodiques, conduisant à une hyperexcitabilité sensorielle, une baisse de coordination et une prostration. Le traitement par Topiscab® consiste en une application de crème le 1er et le 8e jour, sur l’ensemble du corps (visage et cuir chevelu inclus en cas de lésions sur ces zones, notamment chez l’enfant), pendant 8 heures. Lors de chaque application, les doses dépendent de l’âge et s’échelonnent entre 3,75 g (une noisette) à 2-12 mois et 30 g (un tube) chez l’adulte. En raison de son efficacité (guérison clinique dans 95 à 98 % des cas selon les études), de sa facilité d’application, de sa bonne tolérance, de la possibilité de traiter les individus non susceptibles d’être traités par les autres thérapeutiques actuelles (nourrisson dès 2 mois, femme enceinte, asthmatiques) et de son remboursement, la crème Topiscab® 5 % constitue une excellente option thérapeutique.   Traitement oral   L’ivermectine (Stromectol®) est un antiparasitaire, dérivé des avermectines. Il est préconisé pour l’enfant de plus de 15 kg, soit en une prise orale de 200 µg/kg lors d’un repas, renouvelée à 10 jours. Ce traitement oral peut être proposé en première intention, en cas de risque d’intolérance au traitement local (lésions profuses, eczématisation), de non-compliance au traitement local, d’épidémies en collectivité et pour le traitement des sujets contacts. Il a également sa place en association avec le traitement topique lors d’une gale récidivante ou hyperkératosique. Son utilisation n’est pas recommandée par l’AMM chez le nourrisson (principe de précaution). La perméthrine topique et l’ivermectine orale ont été comparées dans plusieurs études récentes(8,9). L’efficacité de la perméthrine s’est révélée supérieure à celle de l’ivermectine orale en une prise, mais d’efficacité comparable à 2 prises d’ivermectine(10). Actuellement, la perméthrine topique 5 % et l’ivermectine orale peuvent donc être utilisées en première intention.   Décontamination de l’environnement   Outre le traitement individuel, une décontamination de l’environnement est à prévoir : – lavage des textiles en machine à 60° C (linge utilisé dans les 72 h précédant le traitement pour la forme commune, 10 jours pour la forme hyperkératosique) ; – textiles non lavables à 60° (literie, textiles fragiles, sièges) : pulvérisation avec un insecticide à base de néopynamine/sumithrine (A-PAR®) laissé au moins 4 heures ou sac hermétique pendant 4 à 7 jours ; – respect des précautions de contact pour la manipulation du linge en collectivité surtout en cas de gale hyperkératosique.   Mesures associées   Le traitement de l’entourage est réalisé dans le même temps. Sont considérées comme sujets contacts les personnes ayant eu un contact cutané prolongé avec un cas (entourage familial proche, relations sexuelles, soins de nursing) ; en cas de gale hyperkératosique, les personnes vivant ou travaillant dans la même collectivité doivent également être traitées. L’utilisation d’émollients, d’antihistaminiques (bien que l’efficacité ne soit pas prouvée) et de dermocorticoïdes en cas de lésions eczématiformes associées peut être discutée après traitement étiologique bien mené. Le prurit disparaît habituellement en une semaine (notamment en cas de traitement par perméthrine topique). Néanmoins, une consultation de contrôle est indispensable 2 à 4 semaines après le traitement.   En conclusion   La gale est une infection cutanée isolée de diagnostic clinique. Le délai diagnostique pourrait être considérablement réduit par une meilleure connaissance des signes, des formes trompeuses et un examen clinique minutieux (aide par la dermoscopie). Depuis son AMM en France, la perméthrine crème à 5 % est donc un traitement de première intention au même titre que le traitement oral, ce qui constitue un sérieux atout thérapeutique.  

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