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Psycho-social

Publié le 16 oct 2008Lecture 7 min

La parasitophobie existe-t-elle encore aujourd’hui ?

S.G. CONSOLI, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris
Si le terme « parasitophobie » a tendance, à juste titre, à disparaître de toutes les publications, les malades qui souffrent d’un délire d’infestation cutanée par un parasite existent toujours et consultent. Malgré les difficultés des psychiatres pour définir un cadre nosologique précis à ce délire, on peut dire que ce sont avant tout des femmes de plus de 60 ans dont le délire isolé correspond à celui décrit par Ekbom (le délire dermatozoïque présénile ou syndrome d’Ekbom). Ce délire se rapprocherait de l’hypocondrie délirante, puisque son thème est une préoccupation concernant la santé et plus précisément un organe (la peau en l’occurrence).
Un peu d’histoire C’est le dermatologue français G. Thieberge qui, pour la première fois en 1894, a présenté une série de patients persuadés d’avoir la gale sans aucune preuve objective. Il a donné le nom d’acarophobie à cette « idée fixe » vécue, selon ce dermatologue, sur un mode phobique ou obsessionnel. Il distinguait une acarophobie primitive sans aucun antécédent de dermatose parasitaire et une acarophobie secondaire survenant après une gale réelle et traitée (1). Par la suite, d’autres dermatologues ont parlé de névrodermie parasitophobique primitive (L. Perrin en 1896), de dermatophobie, d’entomophobie, de parasitophobie. Cependant, L. Perrin remettait déjà en question le choix du terme « phobie » et proposait d’élaborer un cadre psychiatrique plus rigoureux pour cette maladie (2). Très vite, d’ailleurs, dès le début du XXe siècle, les psychiatres ont contesté l’emploi du terme « phobie » pour désigner la conviction inébranlable jamais critiquée, à la différence des idées obsédantes et des phobies, et donc délirante des malades d’être infestés par un parasite cutané. En effet, la phobie des parasites se manifeste par des crises d’angoisse à la vue d’un parasite, calmées par l’évitement du parasite. La nosophobie, quant à elle, est la crainte obsédante de souffrir d’une maladie grave. Cette crainte est cependant calmée, pendant un temps plus ou moins long, par les propos rassurants des médecins et la négativité des examens complémentaires. Les psychiatres ont donc parlé de délire de zoopathie externe (H. Levy en 1906 (3)), de délire cénesthésique (pour montrer l’importance de la dimension sensorielle cutanée du délire), de délire de parasitose (delusion of parasitosis dans les publications anglophones), d’hallucinose tactile chronique (N. Bers et K. Conrard en 1954 (4)). Les psychiatres ont aussi parlé d’hypochondrie circonscrite et, tout à fait récemment, de psychose hypochondriaque monosymptomatique (delusional disorder somatic type dans le DSM IV (5)) pour insister sur le fait que le thème du délire est centré sur un organe, la peau en l’occurrence. Rappelons que l’hypochondrie est une préoccupation anormale, parfois délirante, concernant la santé et plus précisément un organe du corps. Conceptions actuelles Comme le montre ce bref aperçu des conceptions historiques de la conviction d’avoir la peau infestée par un parasite, le terme « phobie » a été peu à peu abandonné, sous l’impulsion des psychiatres, au profit de celui de délire. Cependant, les discussions entre les psychiatres restent vives en ce qui concerne : la nature du délire d’infestation cutanée et le cadre nosologique auquel ce délire appartient (6). En effet, pour certains, ce délire s’origine dans de véritables hallucinations (tactiles en particulier), pour d’autres, dans des sensations cutanées réelles qui sont interprétées de façon délirante (paresthésies diverses, prurit). Quant au cadre nosologique, il est différent selon les auteurs. Pour beaucoup d’Anglo-Saxons (et selon le DSM IV), le délire d’infestation cutanée fait partie des troubles délirants non schizophréniques à thème somatique (delusional disorder). Le contenu de cette catégorie de délire concerne l’existence d’une imperfection physique ou d’une affection médicale générale. Le délire d’infestation cutanée par un agent parasitaire se situe donc, dans ce cadre nosologique, aux côtés de la dysmorphophobie et de l’hypochondrie dans leur forme délirante. Les auteurs français, quant à eux, soulignent le plus souvent des liens entre l’hypochrondrie délirante et la paranoïa. Le risque est alors l’installation d’idées délirantes de persécution, avec une composante revendicatrice majeure (par exemple, la conviction de la toxicité des traitements ou de l’incompétence des médecins). D’autres auteurs français insistent sur le fait que l’hypochondrie délirante peut apparaître dans un contexte mélancolique. Cette hypothèse est étayée par l’existence fréquente d’un isolement social (provoqué, entre autres, par les sentiments d’être contagieux, de nuire aux autres, d’être incurable), d’un début en relation avec une perte brutale réelle ou symbolique, et de l’efficacité rapportée des traitements antidépresseurs. Le syndrome d’Ekbom Au bout du compte, pour ne pas se perdre dans ce dédale de conceptions cliniques et nosologiques du délire d’infestation par un parasite, il faut dire que les praticiens sont avant tout confrontés à un délire d’infestation cutanée qui correspond à ce que K.A. Ekbom, neuropsychiatre suédois, a décrit en 1938 sous le nom de délire dermatozoïque présénile. Ce délire, auquel Ekbom luimême a donné le nom de syndrome d’Ekbom, survient chez une femme d’âge présénile sans aucun autre trouble psychotique, sans aucune pathologie organique, ni consommation de toxiques. Le délire trouve son origine dans des paresthésies authentiques liées au vieillissement cutané et non pas dans des hallucinations. En outre, Ekbom distingue nettement le délire dermatozoïque présénile des préoccupations obsédantes parasitaires et rejette donc le terme de « parasitophobie ». Enfin, il souligne que son syndrome ne peut pas être intégré aux catégories psychiatriques classiques. Il le rapproche cependant de l’hypochondrie délirante et de la paranoïa (7). En pratique Rechercher des facteurs favorisants Bien qu’isolé, il associe de façon variable de nombreux facteurs favorisants importants à repérer :   des altérations organiques : perturbations sensorielles des personnes âgées et déprivation sensorielle – manque de contact physique-alimentation déséquilibrée-en particulier, pauvre en vitamines B –, sécheresse cutanée, véritable gale déjà traitée ou non ;   des sensations tactiles anormales : paresthésies diverses, prurit ; – des facteurs psychosociaux : traits de personnalité sensitive associant vulnérabilité, méfiance, psychorigidité, isolement affectif, décès dans l’entourage proche ;   les effets du vieillissement sur certains types de personnalité : la peur de la mort s’exprimant à travers l’idée délirante d’être infesté par des parasites qui, on le sait, se nourrissent de chair dégradée et morte. Évoquer une dépression masquée Il faut être attentif à l’existence possible d’un état anxieux et dépressif sousjacent, voire mélancolique (avec passages à l’acte suicidaires ou hétéroagressifs) et/ou d’un vécu paranoïaque du délire. Amener la patiente à adhérer à un traitement neuroleptique Cependant, le principal problème soulevé par le syndrome d’Ekbom est celui d’amener une malade délirante, convaincue d’avoir la peau infestée par des parasites, à prendre, si nécessaire, un traitement psychotrope et même, si cela s’avère indispensable aux yeux du praticien, à consulter un psychiatre (8). Une telle démarche ne se fait jamais dès la première consultation. Elle ne peut être envisagée que si une relation médecinmalade de confiance s’est d’abord instaurée grâce à une écoute attentive et bienveillante des plaintes de la malade, sans chercher à convaincre cette dernière que « tout se passe dans la tête », et grâce à un examen cutané et somatique général soigneux et répété. Il ne faut, en effet, jamais oublier l’apport décisif, dans l’évolution du syndrome d’Ekbom, du traitement neuroleptique (associé ou non, dans un deuxième temps le plus souvent, à un traitement antidépresseur), ainsi que des entretiens à visée psychothérapique mettant à jour un conflit et en permettant la résolution.

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