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Psycho-social

Publié le 30 nov 2015Lecture 29 min

Annoncer un diagnostic difficile ou un pronostic péjoratif

R. AUBRY, Médecin responsable du centre de soins palliatifs, Hôpital Jean-Minjoz, Besançon

Annoncer un diagnostic difficile ou un pronostic péjoratif est certainement un des aspects les plus délicats et éprouvants de la profession médicale. Étonnamment, ce temps difficile relevant de la responsabilité du médecin a longtemps été ignoré dans la formation. La place de la vérité est à la croisée de plusieurs chemins empruntés dans cet article ; la sémantique, la psychologie des malades et des soignants, les aspects déontologiques, moraux et philosophiques sont ainsi abordés. Il nous a semblé également nécessaire de situer cette question dans le cadre plus général de l’art de la communication. Au travers de ces regards croisés, l’intention de l’auteur est bien d’aider le praticien dans cet acte aussi essentiel que complexe.

Faut-il dire la vérité aux malades atteints de maladies probablement inguérissables ? Qui peut bien répondre à une question quand elle est aussi mal posée ? La réponse est-elle forcément binaire : oui ou non ? Avons-nous des certitudes telles en médecine que nous pouvons connaître et dire « La » vérité ? Y a-t-il une vérité pour tous ou une vérité pour chacun, évoluant lentement au fil du temps et en fonction de nos résistances, de nos limites propres ? Peut-on enfermer ce que provoque l’annonce d’un diagnostic difficile ou d’un pronostic péjoratif dans une expression – dire la vérité ? Il nous semble nécessaire d’aborder la question sous un autre angle : comment annoncer un diagnostic difficile ou un pronostic péjoratif, comment communiquer avec une personne malade lors d’un diagnostic de maladie potentiellement fatale ? Nous croiserons dans ce texte quelques regards sur le sujet pour conclure avec humilité que cette question est bien complexe et qu’il faut se garder de toute prétention à un savoir universel.   La vérité et la sémantique   Annoncer un diagnostic difficile ou un pronostic péjoratif impose de réfléchir au sens des mots(1), à leur sens originel, aux sens pris au cours de l’histoire, selon la culture, la société. Ces sens donnent une résonance particulière à certains mots. Ils renvoient à une représentation parfois étrangère au sens d’origine. Ainsi en est-il du cancer. Le sens d’origine de ce mot est : tumeur maligne caractérisée par la prolifération anarchique de cellules d’un organe, d’un tissu. La représentation symbolique de ce mot est totalement différente : le mot cancer renvoie à une angoisse de mort ; le cancer inspire la peur. « Le cancer, dans l’Occident du XXe siècle, a remplacé les maladies symboles de mort d’époques antérieures, comme la lèpre, la peste et la tuberculose. »(2). Compte tenu des connotations et des charges affectives qu’a pris ce mot dans notre société, il semble essentiel de l’utiliser avec prudence. L’usage imprudent du mot cancer pourrait casser toute forme d’espérance et de sens dans la vie d’une personne. Mais attention : prudence ne signifie pas interdit ; nous verrons que les notions de droit des malades, de consentement éclairé imposent parfois « d’appeler un chat un chat ». Faut-il pour autant utiliser un langage elliptique pour éviter d’infliger un traumatisme trop important ? Faut-il d’ailleurs absolument éviter ce traumatisme psychologique ? Tumeur, masse, boule… sont des mots – contournements facilement utilisés pour qualifier le cancer. Méfions-nous toutefois du détournement de sens d’autant plus que les mots « de rechange » ont, eux aussi, parfois dévié de leur sens d’origine et qu’ils renvoient à une signification, une représentation différentes. Ainsi, selon Francine Saillant(3), trois grandes classes de mots sont utilisées pour parler du cancer : chacune correspond à une image bien précise que le patient se fait de la maladie.  Les bosses : elles ne sont pas véritablement considérées comme des cancers. On soupçonne cependant la possibilité que quelque chose ne va pas et que ça pourrait être un cancer. Plusieurs possibilités de nominations sont incluses : nodules, kystes, ganglions.  Les tumeurs : elles se divisent en deux autres classes : les tumeurs « au début » et les tumeurs « prises trop tard ». Les premières sont des bosses qui ont pu tourner en cancer, mais qu’on a pu exciser par la chirurgie ou autrement. C’est ce que l’on nomme « un cancer pris à temps », un « petit cancer ». L’excision de cette excroissance permet assez fréquemment de dire qu’« on a eu le cancer » et qu’« on ne l’a plus ». Les secondes, ce sont des « tumeurs au début » qui ont tourné au cancer et qui sont dangereuses. Il s’agira alors d’une « tumeur maligne cancéreuse » ou tout simplement d’un « cancer ».  Le cancer proprement dit. Le vrai cancer entre dans cette classe. C’est celui qui est généralisé et a pénétré à l’intérieur du corps : les substances contenues dans les « bosses » ont tourné et envahi l’intérieur du corps. Ainsi, un cancer perçu à l’extérieur du corps (sein, etc.) sera jugé moins grave qu’un cancer de l’intestin ou du poumon.   Comment le malade réagit-il à l’annonce d’un diagnostic difficile ?   Qu’une annonce diagnostique ou pronostique soit faite explicitement ou implicitement, que rien ne soit dit, voire que le mensonge soit utilisé, il semble que les malades ont une perception, une intuition, une conscience de leur propre réalité. Il y a, d’une part, bien d’autres indicateurs que la parole, fût-elle prononcée par un médecin, pour attiser la conscience des malades : les silences, les comportements, les évitements, les regards « parlent » parfois autant si ce n’est plus que des discours. D’autre part, il y a ce que la personne malade ressent au tréfonds d’elle-même, cette intuition que quelque chose se passe et qui est grave… Selon E. KüblerRoss(4), tous les malades réagissent de façon presque identique aux mauvaises nouvelles. Les étapes psychologiques de cette évolution sont les suivantes : choc. La personne malade est en état de sidération psychique ; elle donne l’impression de ne pas pouvoir réagir. Elle est incrédule. Il est important de se souvenir qu’une personne en pareille situation n’entend pas grand-chose de ce qu’on lui dit ; dire ne signifie pas être entendu, surtout à ce stade ; suit la dénégation. Le malade nie la réalité, rejette ce qui arrive parce qu’il ne peut pas y croire, parce qu’il la refuse. Cette phase est rarement totale, et témoigne d’une impossibilité du malade de recevoir l’information « en face ». Ensuite, dominent la colère et la rage, s’exprimant de différentes façons, et qui sont un recours contre l’angoisse. La colère ayant un objet, « l’annonceur de la mauvaise nouvelle » peut en faire les frais et se trouver accusé d’être responsable d’un retard de diagnostic, voire d’être la cause de la maladie. En effet, on ne peut pas être en colère contre le mauvais sort. Cette étape franchie, le malade peut atteindre le stade de récrimination temporaire, de marchandage, où s’effectue une prise de conscience graduelle, au cours de laquelle le patient balise, conditionne sa prise de conscience. La dépression est le stade de prise de conscience réelle. Le patient se rend compte de ce qui lui arrive et ne sait pas, ne veut pas ou ne peut pas gérer la tristesse qu’il éprouve. Il assume sa réalité qui lui ôte toute énergie vitale. C’est peut-être à ce stade que la personne malade est la plus réceptive à « la vérité » ; c’est de toute façon à ce stade qu’apparaît assez clairement l’expression du niveau de savoir de la personne ; celle-ci s’exprime enfin « en direct », parce que ses moyens de défense psychiques sont diminués permettant une expression « en vérité ». L’acceptation finale serait le signal de la mort imminente, où le patient atteignant le stade final serait paisible. Cette phase permettrait de retrouver un nouveau sens à sa vie, une nouvelle identité, de nouveaux intérêts, de nouvelles satisfactions. Le modèle présenté par E. KüblerRoss est essentiel pour la compréhension du vécu psychologique des malades atteints de maladies inguérissables. Il est cependant nécessaire de ne le considérer que comme un modèle. Force est en effet de constater que si les « stades du mourir » existent bien, ils ne s’enchaînent pas dans une logique linéaire, régulière et obligée. Bien des malades restent bloqués au stade de déni. D’autres font de fréquents allers-retours du marchandage à la colère, de la colère au déni. D’autres étapes traduisent les mécanismes de défense des malades en fin de vie : M. Ruszniewski(5) a par exemple décrit l’isolation, le déplacement, le besoin de contrôle et de maîtrise, la régression, la projection agressive, la combativité, la sublimation. La résignation et la passivité, le repli sur soi, la confusion et le délire sont fréquemment retrouvés… Comme l’écrit Jeanine Pillot : « Chaque personne est unique dans ses mécanismes de défense et d’adaptation, liés à sa personnalité et à son histoire »(6). Ces stades doivent être considérés comme autant d’indicateurs d’une dynamique, de mécanismes de défense intrapsychique, témoins de la souffrance de la prise de conscience de « la finitude de soi ». Enfin, le pragmatisme et l’expérience nous amènent à affirmer que la sérénité est rare en fin de vie, qu’il s’agit plus d’une dynamique de recherche, dépendant réellement des aléas et des avatars de la vie que d’une étape de la fin de la vie. Certains auteurs(6) estiment que l’absence d’espoir est, en soi, un facteur de risque d’accélération de fin de vie. Enlever toute forme d’espoir à une personne atteinte d’une maladie que la médecine juge inguérissable équivaudrait à accélérer la fin de sa vie, augmentant sa désorganisation psychologique, le rendant incapable d’assumer la souffrance du deuil. D’autres auteurs estiment que le doute qui envahit toute personne atteinte d’un mal inguérissable la mine plus encore que le savoir. Savoir permettrait à la personne malade de faire face, d’organiser sa fin de vie, de mettre en ordre « ses affaires », d’organiser la vie de ceux qui vont lui survivre, de donner sens au présent, à l’instant.   Comment les proches de la personne malade réagissent-il à l’annonce d’un diagnostic difficile ?   On empruntera à deux auteurs leurs réflexions sur ce sujet, tant elles sont pertinentes. Bien sûr, le malade est la première personne concernée par l’annonce du diagnostic ou du pronostic qui la concerne. Mais force est de constater avec A. Bolly(2) que « dans la très grande majorité des cas, l’accompagnement du malade est impensable sans sa famille. Or, la place de la famille est trop souvent banalisée, réduite à celle des procédures psychologiques à employer pour que la famille puisse faire face. Cependant, un médecin a autant à recevoir de la part de la famille et lui doit autant de respect qu’au patient, même si s’occuper des patients mourants et de leur famille demande beaucoup de temps. La famille n’est pas une intruse, mais le trait d’union qui relie le patient à « sa » vie. Il conviendra donc d’agir envers la famille avec la même délicatesse qu’envers le malade, d’avancer avec elle dans une relation de vérité qui lui donnera le temps de réaliser peu à peu les conséquences de la maladie et de commencer progressivement le travail de deuil, tout en conservant la relation avec le malade ». Selon R. Schaerer(7), « il faut tenir compte de deux réalités, de deux exigences : – ne pas laisser s’installer entre le malade et la famille un décalage tel que chacun le vivra de part et d’autre comme un mur de silence, isolant notamment le malade ; – mais aussi, ne pas faire violence à une famille qui aura à assumer au jour le jour l’accompagnement de son malade. La meilleure solution me paraît être de demander qu’un membre proche de la famille assiste à l’entretien, ou aux entretiens, au cours desquels le malade recevra l’information. La famille découvre alors deux choses qui sont utiles : d’une part, que le malade se pose des questions qu’il n’a pas osé poser et qu’il a déjà souvent élaboré lui-même la réponse, qu’il a mis un nom sur sa maladie ; d’autre part, que la « vérité » qu’elle redoute peut se décomposer, avec le savoir-faire du médecin en des morceaux de vérité exprimés avec des mots que le malade peut comprendre. Les mots ainsi prononcés serviront de base commune au malade et à sa famille pour prolonger ensemble ce qui aura été dit. Ainsi, on peut se servir d’une information qui faisait obstacle à la communication familiale, pour rétablir une certaine communication ». Certes, il faut essayer d’éviter que s’installe entre le malade et sa famille un espace de silence. Mais force est de constater que, malgré tous les efforts déployés par les soignants dans le sens d’une meilleure communication et de l’instauration d’un climat de vérité, les familles persistent souvent dans leur demande de ne rien dire au malade. Cela a des conséquences néfastes.  Pour la personne malade : les non-dits engendrent une perception, une intuition marquée par l’angoisse ; cette angoisse vécue dans la solitude accentue la difficulté de communication qui a, elle-même, un effet crescendo sur l’angoisse…  Pour la famille, les conséquences du refus ou de l’impossibilité de communication se mesurent parfois après, lors de deuils difficiles marqués par les regrets de n’avoir pas pu se parler « en vérité », par des doutes préjudiciables à l’élaboration d’un nouvel équilibre. Il arrive que certaines familles souffrent de ne pas savoir comment faire pour entrer en communication. Une information de la part du soignant se révèle alors indispensable et bénéfique : il suffit de leur dire qu’ils peuvent toucher le malade, lui parler mais pas obligatoirement, tenter de transmettre du calme… Il peut être rassurant d’expliquer qu’une atmosphère, une ambiance de vérité valent mieux parfois que des mots dont personne ne maîtrise vraiment la portée. Enfin, l’expérience nous prouve que la famille est parfois « ce tiers » par lequel la parole doit passer pour atteindre la personne malade dans une triangulation de la communication. Ainsi, les chemins de la vérité transitent souvent nécessairement par les proches, personnes de confiance qui ont alors cette fonction de décodeur et de transmetteur.   Comment le médecin peut-il annoncer une mauvaise nouvelle ?   Certes, on le verra, la personne malade a le droit d’être informée. Le devoir du médecin est et restera d’analyser la situation, le caractère et le statut psychologique de son patient, de prendre en compte les facteurs environnementaux. Il ajustera sa réponse, il l’adaptera à la singularité de la personne malade, il la dosera en fonction des limites du malade et de ses propres limites ; il la fera évoluer dans le temps en fonction de « la perméabilité psychique » de la personne malade.   Les limites du médecin   Annoncer un diagnostic difficile ou un pronostic péjoratif amène à aborder le concept de finitude, de mort. Le médecin, et plus généralement le soignant, comme le patient, est un homme. Il a sa propre histoire, ses expériences personnelles, ses croyances, sa culture, ses représentations et ses peurs. Il a ses propres mécanismes de défense(5). Qui plus est, ses études l’ont souvent amené à considérer la mort comme un échec de la médecine. Il n’est donc pas évident que, face à la mort, le médecin soit plus serein que tout autre homme. Ainsi, il banalisera parfois la mort dans le discours en la présentant comme une expérience fréquente dans sa pratique. Parfois, il la niera en prodiguant des soins qui prolongent la vie de façon injustifiée. Parfois au contraire, il aura des pratiques qui accélèrent la fin de la vie. Souvent il évitera le sujet, hospitalisant, transférant leurs patients lorsque la mort apparaîtra comme probable. Toutes ces attitudes traduisent un malaise. La mort des autres est un miroir qui renvoie parfois une image difficile. De la même façon, l’annonce d’un diagnostic difficile renvoie le médecin et le soignant à ses limites. Parfois, le praticien prétendra que « ses » malades ne désirent pas connaître « la vérité ». Cette vérité que l’on ne peut pas dire en fait est souvent une vérité que l’on ne pourrait pas entendre. Ceci renforce l’idée qu’il n’y a pas, en la matière, de vérité, en tant que contenu verbal stéréotypé, enclose en des mots ou des concepts déterminés, mais un espace de vérité, concept beaucoup plus vaste qui est à l’image de l’altérité de l’homme. Il y a la question de l’annonce du pronostic. Très vite, la question du pronostic prime sur celle du diagnostic. Or, le pronostic plus encore que le diagnostic renvoie directement au problème de l’incertitude, du doute et de la singularité de l’individu malade. Les limites du médecin croisent encore une fois les limites de la médecine. Pour le médecin, il s’agira de trouver le niveau de communication acceptable, c’està-dire celui qui indiquera la limite des connaissances médicales et qui permettra au patient de garder le niveau de confiance nécessaire au maintien de la relation. Ce niveau varie d’un individu à l’autre, d’un thérapeute à l’autre. Encore une fois, ce niveau se trouve plus aisément dans une « ambiance de vérité ».   Du discours aidant à l’iatrogénie de la parole : l’art de communiquer   On vient de le voir, l’annonce d’une mauvaise nouvelle impose, entre autres compétences, de mesurer les enjeux de la communication.  Communiquer : un savoir ou une prédisposition ? La perfection n’existe pas plus en matière de communication qu’en matière de soin. Qui plus est le « colloque » est singulier et il n’y a de bonne communication que celle qui tend à respecter les particularismes de l’un et de l’autre des protagonistes. Cela dit, communiquer constitue le quotidien du médecin et l’on peut s’étonner de l’absence de formation dans le cursus obligatoire des études médicales. Or, on peut apprendre les méthodes, les outils, les techniques de communication. Le soignant doit certes avant tout savoir maîtriser les savoirs et les techniques professionnels. Mais soigner, c’est aussi être capable de transcender ces savoirs et ces techniques pour « entrer en aide », offrir de l’aide à une personne malade. Cette relation d’aide, si elle est comprise et plus encore si elle est appropriée, est la finalité du soin. Aider, c’est pouvoir communiquer, toucher l’autre dans son altérité en communiquant avec lui. Peut-on apprendre à communiquer ? Le « pouvoir communicant » estil inné ? Le pragmatisme se situe entre ces deux interrogations. En réalité, on communique avec l’autre, on transmet d’autant mieux quand on va bien soi-même, quand on est capable de sollicitude pour l’autre, lorsqu’on a envie d’aider. Le prérequis à une communication efficiente est donc, d’une part, un certain savoir concernant sa propre personne et, d’autre part, une aptitude à l’humilité pour être ouvert à la parole et à l’écoute.  « Bien communiquer» – Le principal outil de communication est la parole : celle des autres, la nôtre. Bien communiquer, c’est déjà soigner. Parler est un art : parler juste, parler peu mais bien ; savoir se taire, faire parler les silences. Parler à quelqu’un c’est lui démontrer qu’il est là, vivant, qu’il existe. C’est mettre un lien entre lui et nous. Parler n’est pas remplir le vide, parler est, en fait, une attitude, parler pour communiquer signifie que l’on a l’intuition de l’autre et en l’occurrence de l’autre souffrant. Les mots doivent être non pas choisis mais adaptés. Parler c’est permettre à l’autre de s’exprimer, de répondre, de prendre la parole, de communiquer. Parler c’est toucher l’autre. L’objectif n’est pas de plaire à l’autre, l’objectif est de communiquer avec lui. Parfois celui à qui on s’adresse est fermé à l’écoute. Il peut être utile d’utiliser une communication dite triangulaire en s’adressant à une tierce personne pour atteindre en réalité la personne fermée. On utilise souvent cette technique en soins palliatifs où l’angoisse qui étreint les patients les ferme à une écoute directe et les ouvre à une écoute indirecte. Parler est aussi savoir utiliser sa voix, savoir maîtriser l’outil vocal : parler doucement avec un rythme lent, calme ; les mots calment la personne qui est en face. Parler plus fort, en appuyant sur des mots avec une voix plus grave c’est « éveiller » la personne à qui l’on s’adresse. – Il existe d’autres outils de communication : Le calme. Dans la relation thérapeutique, soigner c’est être calme. Parler calmement calme les malades, les apaise, les rassure, les enveloppe. Apprendre à être calme à des fins de relation d’aide est absolument nécessaire. Être calme signifie finalement que l’on est, que l’on se sent bien : le préalable est un certain degré de travail sur soi. Arriver à être calme dans des situations où tout est marqué par la peur est nécessaire. Le soignant doit apprendre à se calmer, se détendre pour arriver à être en permanence un « calmant ». L’attitude. Être assis à hauteur d’un malade, nos yeux dans l’axe des siens ; se mettre sur la même « longueur d’onde » en étant à l’écoute, calme, en répétant ou reformulant les propos de la personne ; ne pas être pressé et le montrer ; toutes ces attitudes favorisent la communication. Le respect. Respecter l’autre, souffrant, est fondamental dans la communication. Le contraire du respect est le jugement de valeur sur l’autre, qui empêche toute attitude aidante et soignante. Nous fonctionnons beaucoup trop sur l’impression que nous laisse l’autre, et souvent ceci aboutit à un jugement qui a valeur de couperet : « untel est psy, untel est casse-pied... ». L’écoute. Parler ne sert à rien si l’on n’écoute pas. Écouter c’est comprendre, écouter c’est être là, être disponible, permettre à l’autre de s’exprimer, d’être entendu. On peut écouter quelqu’un de silencieux ; on peut écouter ce qui est dit, mais aussi ce qui est éprouvé… L’écrit, les feuilles de transmissions. Une feuille blanche dans les plans de soins destinée à communiquer est fondamentale pour le fonctionnement des équipes soignantes. Chacun doit pouvoir écrire ce qu’il ressent. Chacun doit pouvoir transposer le plus fidèlement possible ce que les patients lui disent. Si chacun écrit ce qu’il pense, ce qu’il ressent et si chacun lit ce que l’autre ressent et pense, c’est un gage de travail en équipe. La sensorialité dans son ensemble est un outil de communication. Toucher quelqu’un c’est aussi le toucher avec ses mains, lui procurer des sensations, lui prouver par le biais du contact qu’il est en vie. Le regard que l’on porte, le regard que l’on soutient ou que l’on évite, les bruits et les silences, les mauvaises odeurs et les parfums sont tous des moyens qui peuvent faciliter ou gêner la communication.  Mal communiquer (ou l’iatrogénie de la communication) Mal communiquer peut générer du mal au sens du mal-être. Nous donnons ci-après quelques exemples de communication iatrogène (encadrés).     Ne rien dire   Autant les silences peuvent servir la communication (ils marquent le sérieux, la gravité du propos, l’émotion), autant l’excès de silence peut avoir un effet contraire (black-out de la communication).   L’annonce d’une mauvaise nouvelle, la loi et la déontologie   Droit à l’information et notion de consentement éclairé   Le droit à l’information est reconnu par la loi. Le Code de déontologie médicale et la jurisprudence jouent donc un rôle central dans le problème de l’annonce d’une mauvaise nouvelle. Lois et codes de déontologie sont assez incisifs pour ce qui concerne l’information sur les traitements et les diagnostics afférents. Selon l’article 35 du Code de déontologie, « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information simple, intelligible, loyale et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose, permettant au patient de prendre la décision qui semble s’imposer ». La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades(8), modifiant le Code de santé publique définit une relation médecin-patient de type adulteadulte où le respect de l’autonomie de la personne malade est aussi un principe central. La personne malade est non seulement acteur de sa santé mais aussi acteur du système de santé. On peut préciser que ce droit à l’information du malade est édicté depuis 1979 par la Charte européenne du malade usager de l’hôpital. Le médecin doit, au titre de la déontologie, respecter la volonté du patient : il ne peut donc agir qu’avec le « consentement libre et éclairé » du malade, ce consentement concernant les actes tant de diagnostic que de soins. On parle de consentement libre, car la volonté du malade doit se déterminer en dehors de toute contrainte physique ou morale et le médecin doit se garder de toute pression. Le consentement doit être éclairé : le patient doit disposer des informations lui permettant de prendre raisonnablement sa décision en temps utile.   Secret médical et devoir du médecin concernant l’annonce d’une mauvaise nouvelle   Le secret médical est presque aussi vieux que la profession elle-même. Au médecin, Hippocrate conseillait de garder le silence et d’observer la prudence dans ses propos : « Admis à l’intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s’y passe, ma langue taira les secrets qui me seront confiés… » Recommandation et non contrainte, ce conseil hippocratique était destiné à préserver le principe de base de la relation médecin-malade : la confidentialité, et à installer un climat de confiance.  Le secret n’est a priori pas opposable au patient En effet, la maladie concerne au premier chef la personne malade ; en quelque sorte, elle lui appartient. Néanmoins, le Code de déontologie(9,10) en son article 35 module : « Toutefois, dans l’intérêt du malade et pour des raisons que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave, sauf dans les cas où l’affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination, (VIH par exemple). » De même, la loi précise, concernant la personne malade, que « sa volonté d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée ».  La disposition de la révélation d’un secret médical appartient au malade Son refus exprimé retient a priori le médecin dans les liens du secret. Concernant l’accord de révélation, il faut rappeler que le secret est avant tout « d’ordre public ». Il dépend d’abord de la loi, et la personne malade ne peut pas en dispenser le médecin. Seule la loi peut déterminer les circonstances dans lesquelles le professionnel de santé peut révéler des informations à d’autres que la personne malade. On peut considérer que cette conception française de la révélation du secret permet à la fois d’informer le patient, mais aussi de le ménager par rapport aux risques de traumatisme psychologique, de perte du moral et de l’espoir. Elle permet également au médecin de préserver la dimension d’incertitude scientifique concernant le diagnostic et plus encore le pronostic d’une maladie. L’obligation de la garde du secret, c’est-à-dire de la nondivulgation à des tiers des informations recueillies au cours du soin du malade, est affirmée clairement et lourdement sanctionnée en cas de divulgation illégale à la fois par la loi et par le Code de déontologie médicale.  Le secret médical, la famille, les proches ou la personne de confiance « Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. » Code de déontologie. « En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que la famille, les proches ou la personne de confiance reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à la personne malade, sauf opposition de sa part. » Loi du 4 mars 2002. Ainsi, en cas de maladie grave, les personnes les plus proches du malade ne doivent pas être considérées comme des tiers, à la condition que le patient y ait consenti ou au moins n’ait pas fait opposition à cette communication d’informations. Il n’y a pas de rupture du secret médical.   Vérité, philosophie et éthique   Jusqu’à la fin du XXe siècle, les philosophes ont souvent considéré la dissimulation de diagnostic fatal de la part d’un médecin comme une exception importante au précepte de véracité. Les moralistes percevaient la relation médecin-patient comme orientée vers la thérapie, l’apaisement et la suppression de la souffrance. La vérité dramatique étant perçue comme source de souffrance, elle était considérée comme une sentence, un jugement, une privation de liberté : privation tout à la fois du droit à vivre sa vie et du droit de mourir (vivre sa mort). Les philosophes contemporains, en particulier E. Hirsch(11) s’opposent naturellement à cette conception. « C’est au quotidien, par une lente élaboration, une maturation, que la vérité se révèle et se dévoile comme l’expression ultime et intime de ce qui nous est humain. Il s’agit de respecter l’homme en le reconnaissant dans sa vérité. » Le droit à l’information est un thème récurrent abordé par les usagers de la santé. Ceci témoigne d’un profond changement sociologique : la relation médecin-malade a donc quitté le champ du paternalisme et de l’autorité du détenteur du savoir et du pouvoir pour occuper un autre champ : celui du respect de la personne et de son autonomie(12). L’éthique moderne justifie la valeur de la vérité en s’appuyant sur quelques principes essentiels. Nous en retiendrons deux :  Le respect de l’autonomie du malade Nous sommes à la croisée de deux conceptions de l’autonomie. La première, kantienne, rapproche ce concept de celui de la dignité, qui est consubstantielle à l’homme, au sens de l’humanité. La seconde, conception plutôt anglo-saxonne, conçoit plus l’autonomie comme « la liberté individuelle d’avoir des préférences singulières »(13). Respecter l’autonomie d’un malade, c’est respecter son droit de savoir. Le concept de « consentement libre et éclairé » permet d’éviter de faire des choix à sa place. Priver le malade de sa vérité, c’est l’empêcher de mener sa vie comme il le voudrait, notamment pour le choix ou la poursuite des traitements. Informer le patient lui permet de rester un « sujet ». Ne pas le faire, c’est le déposséder de son corps, de sa vie, en faire un « objet de soins ». Si une relation malade-médecin de type paternaliste a prévalu jusqu’à ces dernières années, il convient aujourd’hui de mettre en place une relation dite « adulte-adulte », telle que nous l’avons décrite au chapitre précédent. Cette autonomie respectée permettra au malade de parler de sa mort, parfois de la démystifier. Elle l’autorisera également à aborder son « après lui » avec sa famille et selon ses convictions et ses désirs. Ceci est en fait bien théorique et il ne faudrait pas s’enfermer dans cette notion du principe d’autonomie. En effet, respecter l’autonomie d’un malade, c’est aussi parfois respecter son refus de savoir, qu’il soit temporaire ou définitif. Ce qu’il faut dire au malade, c’est à lui de nous le dire, c’est à nous de lui demander : il s’agit de prendre en compte les limites de chacun qui fondent aussi l’altérité. Respecter l’autonomie du malade, c’est enfin respecter le rythme auquel il peut ou veut apprendre sa vérité, qui n’est pas celle du médecin.  Le maintien d’une relation de confiance et la place laissée au doute La fin de la vie est une période suffisamment complexe pour que les acteurs qui y participent décident d’être simples entre eux, honnêtes, authentiques, instaurant ainsi un climat de confiance dans lequel la vérité va pouvoir se dire, s’entendre et s’éprouver. C’est ce climat qui facilite les soins palliatifs, l’accompagnement psychologique, la réflexion spirituelle, le soutien de la famille. C’est ce climat qui permet au doute d’avoir sa place ; et c’est certainement dans cette place faite à la confiance et au doute, aux limites des savoirs que peut exister un sens à la fin de la vie. Avant de conclure et pour rester dans le champ philosophique, nous nous poserons la question suivante : peut-on annoncer une mort ? Il est difficile de conjuguer le verbe mourir(14). « Je suis mort » est impossible à dire parce qu’impossible à vivre. Le moment même du passage (« je meurs ») est impossible à affirmer avec certitude, d’où l’ambiguïté du terme de mourant et le risque de description et de définition d’un « statut » qui ne correspond peut-être à rien d’autre qu’à une forme de dénégation bienpensante(15). Dans ces conditions, peut-on annoncer quelque chose qui ne peut rien signifier parce que aujourd’hui de mettre en place une relation dite « adulte-adulte », telle que nous l’avons décrite au chapitre précédent. Cette autonomie respectée permettra au malade de parler de sa mort, parfois de la démystifier. Elle l’autorisera également à aborder son « après lui » avec sa famille et selon ses convictions et ses désirs. Ceci est en fait bien théorique et il ne faudrait pas s’enfermer dans cette notion du principe d’autonomie. En effet, respecter l’autonomie d’un malade, c’est aussi parfois respecter son refus de savoir, qu’il soit temporaire ou définitif. Ce qu’il faut dire au malade, c’est à lui de nous le dire, c’est à nous de lui demander : il ne s’enracinant pas sur un vécu et par conséquent inimaginable ?   Conclusion   Finalement annoncer un diagnostic difficile ou un pronostic péjoratif est un acte de communication complexe. Cet acte est la clé de voûte d’un système à plusieurs contraintes : d’un côté la confiance du malade, de l’autre la compétence du soignant(12) ; d’un côté, l’altérité de la personne, l’état de ses défenses psychiques ; de l’autre, la loi et la déontologie. D’un côté, le temps ressenti comme une urgence par « celui qui dit » ; de l’autre, le temps parfois beaucoup plus long de celui « qui reçoit », temps de la « métabolisation » de la vérité, de son appropriation. Annoncer un changement est difficile parce que le changement est insécurisant. La résistance au changement est parfois forte parce que le changement est source d’angoisse, surtout si ce changement est éventuellement le passage de la vie à la mort. Il y a certainement lieu de dépasser la question stricte de l’énoncé de la vérité pour s’interroger sur le sens du message à transmettre et la finalité de cette transmission. La vérité, quant à elle, s’éprouve plus qu’elle ne se dit(16). Quoi qu’il en soit, le malade est et doit rester libre : libre de parler lui-même de lui, de sa mort.

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