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Cheveux, Poils, Ongles

Publié le 05 jan 2021Lecture 17 min

L’ongle, une mystérieuse boule de cristal ? – De l’onychomancie à la dermatologie, peut-on vraiment lire sur les ongles ?

S. GOETTMANN-BONVALLOT, Paris
L’ongle, une mystérieuse boule de cristal ? –  De l’onychomancie à la dermatologie, peut-on vraiment lire sur les ongles ?

Anodine, cette petite plaque de kératine ? Pas tant que ça !
L’ongle a longtemps porté le mystère de sa personnalité. Au cours des siècles, il a étonné, il a fasciné, effrayé ! On a toujours voulu lire sur les ongles, des marques des mœurs, de l’esprit, de la santé, de la vie et de la mort. Nous, dermatologues, aurions-nous la chance de nous occuper d’une si petite partie de notre anatomie qui révèle tant de choses sur notre état de santé et sur nous-mêmes (figure 1) ?

 

AUTREFOIS, LES ONGLES AVAIENT DES POUVOIRS ! On attribuait toutes sortes de pouvoirs aux ongles et à leurs rognures. En potions, cuisinés, attachés aux portes des voisins au petit matin, à un poisson que l’on relâchait ensuite, au ventre des malades atteints de rétention, déposés sous le berceau des bébés, enterrés… Ils avaient des pouvoirs thérapeutiques auxquels même les médecins croyaient. Le docteur Francis Glisson (1597-1677), médecin anatomiste anglais, les mélangeait à des pieds d’alouette (plante du genre Delphinium) et du sel avant de les chauffer pour calmer l’ivresse, les maux de tête et les nerfs. On en faisait des filtres d’amour, des potions d’envoûtement. On a même cru que l’esprit des morts y restait enfermé. Affiché au bout de nos extrémités, l’ongle était réputé dévoiler certains traits de la personnalité, et pourtant… POURTANT, ON NE SAVAIT MÊME PAS DE QUOI IL ÉTAIT FAIT ! Si Pline plaidait dans son Histoire naturelle pour des extrémités de nerfs durcis, Jean Riolan (1539-1606), médecin anatomiste, doyen de la faculté de médecine de Paris, les considérait comme extérieurs au corps, presque des excréments ! Son fils Jean Riolan (1577-1657), auteur du premier texte sur les ongles Discours des ongles en 1648, les suppose être des extrémités de tendons durcies à l’air libre, possédant une partie inerte sans vie et une partie interne dotée d’émotions. C’est le Suisse Albert Von Köllïker (1817-1905), médecin, physiologiste, histologiste qui, en 1852, dans son Manuel d’anatomie microscopique, montre la véritable face cachée de l’ongle avec des coupes histologiques. À la fin du 19e siècle, le docteur Hutchinson (1828-1913), médecin anglais, les voit comme des amas de poils agglutinés, et le docteur L.-H. Farabeuf comme « un assemblage de poils modifiés et soudés ensemble » (De l’épiderme et des épithéliums, Masson 1872). LA POUSSE DE L’ONGLE À L’INFINI ? L’ongle pousse indéfiniment, fascinant ! Surtout lorsque l’on regarde les détenteurs des records… Plus de 8 mètres pour les ongles de la main gauche d’un Indien qui ne les a pas coupés pendant soixante-six ans. Ne croyez pas qu’autrefois on se coupait les ongles n’importe où, n’importe quand. La coupe des ongles était assortie de recommandations, de présages et de menaces. Les règles variaient suivant les pays, les régions. En France, les couper les jours en « r » portait malheur et déclenchait la pousse des envies. Dans les Vosges, les tailler la nuit conduisait à la folie. Il fallait couper ceux des défunts pour ne pas déclencher des malheurs, voire la fin du monde. On les taillait au couteau jusqu’à l’apparition des coupe-ongles inventés fin 19e aux États-Unis, un modèle proche de ceux que l’on utilise encore de nos jours. Efficaces aux orteils, mais moins précis que la pince à ongles, ils ne sont pas à recommander pour rétrécir les ongles des doigts, surtout en cas de fragilité. Un limage est préférable, car moins traumatisant. Se ronger ses ongles n’a jamais été bien considéré. Cette pratique exposait à la folie, la fièvre, la boulimie, voire à l’accouchement difficile ou à la mort selon les pays. L’ONGLE EST UNE PARURE, UN ORNEMENT, UN BOUCLIER, UN OUTIL Que seraient nos doigts sans cette jolie petite plaque de kératine qui fait contre-appui à la pulpe molle, en améliorant la sensibilité ? Comment se saisirait-on d’une aiguille, comment boutonnerait-on sa chemise ? Dans quel état seraient nos extrémités sans ce manteau protecteur de kératine ? En cas de piqûre de moustique comment se gratterait-on ? Comment grifferait-on un ennemi trop agressif ? Ambroise Paré, au 16e siècle, les conseillait même pour apprécier la qualité du lait des nourrices. On laissait tomber une goutte de lait sur l’ongle. Si elle coulait, le lait était trop léger et pas assez riche, si la goutte restait bombée, il était trop riche, si elle tapissait la surface de l’ongle, il était parfait ! On a toujours voulu lire sur les ongles : le raffinement, le rang social, la personnalité, le tempérament et la santé, et même l’avenir ! Tout ça sur une si petite tablette ! L’ÉLÉGANCE JUSQU’AU BOUT DES DOIGTS Les Égyptiens, les Babyloniens se coloraient les ongles, les impératrices chinoises aussi, et la couleur des teintures marquait le rang social. Gare à celle qui osait utiliser du rouge ou du noir, les couleurs réservées à l’impératrice, elle risquait sa vie. Montesquieu, dans De l’esprit des lois, note qu’il est des régions du monde où l’on se laisse pousser certains ongles très longs, en signe d’oisiveté et donc de richesse. C’était le cas par exemple de la Cochinchine, de l’Annam, de la Polynésie, effet remarqué par Louis-Antoine de Bougainville durant son tour du monde, lors de son passage à Tahiti. Les mandarins chinois les portaient d’une longueur démesurée, plus de 70 centimètres ! La dernière impératrice, Cixi, se fait photographier avec les ongles des annulaires et auriculaires ayant une longueur de près de 10 centimètres. Il existait des étuis pour protéger ces joyaux habillés de teintures et de luxueuses ornementations. LES MÉDECINS RELEVAIENT DES ÉLÉMENTS DIAGNOSTIQUES ET PRONOSTIQUES Hippocrate avait noté que les patients atteints d’empyème avaient les ongles bombés. Plus tard, ses disciples donneront son nom à ce symptôme. Il décrit les ongles livides à l’approche de la mort, la faible longueur des ongles des bébés qui ne vont pas vivre (prématurité). Les philosophes et les médecins anciens utilisaient les caractéristiques des ongles, y voyant des présages de vie et de santé, comme le mentionne Jean Riolan l’ancien, dans son Manuel d’Anatomie. ON Y LISAIT L’AVENIR GRÂCE À DES PRATIQUES DIVINATOIRES ! La chiromancie, en vogue en Europe aux 16e et 17e siècles, tirait des informations de l’analyse des ongles, et faisait l’objet de publications. Un livre spécialisé, Chiromancie médicinale, suivie d’un Traité sur la physionomie et d’un autre sur les Marques des ongles, écrit par Philippe May de Franconie, datant de 1665, a été traduit de l’allemand et publié à Paris en 1895 (figure 2). Les petites taches blanches laissaient présager des événements heureux, les taches grises ou noires, des malheurs ; les jaunes étaient des signes de maladies et de mort. Une tache blanche sur un ongle de la main gauche? Vous allez recevoir un cadeau. Sur l’index droit ? Un ami est en route. Pour les Anglais, au pouce, ce sera un cadeau, à l’index, un nouvel ami, au majeur, un ennemi ou une trahison, à l’annulaire, de l’argent ou une rencontre amoureuse, à l’auriculaire, un voyage ! En France, les petites taches blanches permettent de compter les mensonges, les péchés, les jurons, en Allemagne, les années qui restent à vivre, en Espagne, les conquêtes ! Bon signe chez l’enfant, mais signe de jalousie chez la femme… L’onychomancie était une pratique divinatoire ancienne qui consistait à interpréter les images dessinées sur les ongles, après leur avoir appliqué de l’huile, de la suie et les avoir exposés au soleil ou à la lumière. On allait jusqu’à ôter l’ongle d’un enfant en le raclant au couteau jusqu’à la chair pour le traiter ainsi, ce qui permettait d’y lire le visage d’un assassin ou d’un voleur (Traité des superstitions, de 1697, Jean-Baptiste Thiers). L’enfant était tourné vers le sud pour les affaires d’amour, vers l’est pour les questions d’argent, le nord pour les meurtres et l’ouest pour les vols. Friedriech Von Frankenau (1669-1732), médecin danois, auteur du premier ouvrage sur les ongles, Onychologie curieuse, publié en 1695, fait le point sur toutes les connaissances concernant les ongles, il émet des doutes sur toutes ces interprétations fantasques… ON INTERPRÉTAIT LA PERSONNALITÉ La chiroscopie, autre discipline ésotérique, est encore en vogue au 20e siècle et intéresse certains médecins. C’est l’étude de la personnalité par les caractéristiques de la main et des ongles. La chiroscopie médicale propose interprétations et diagnostics nombreux en tenant compte de tous les aspects des ongles, longueur, largeur, courbure, consistance, couleur et marques… (Henri Mangin, Valeur clinique des ongles, 1932). Par exemple, les ongles avec un lit d’une grande longueur révéleraient « une prédisposition à l’atonie organique, aux maladies de langueur ainsi qu’à un certain déséquilibre fonctionnel et mental bizarre, fruit de l’asthénie ». Au contraire, « courts, surtout lorsque plats et presque carrés, ils signalent une tendance très nette aux faiblesses cardiaques ainsi qu’une disposition maladive à la nervosité, maladie pouvant atteindre aux contractures et aux spasmes ». D’après le docteur Carton, médecin marginal du début du 20e siècle, « l’absence de toute lunule, même sur le pouce, indique une très grande pénurie de forces disponibles ». Plus nombreuses, plus apparentes, plus longues, elles seraient signe de grande énergie vitale. « Dix lunules de belle taille et bien apparentes, signe d’un état de véritable fureur vitale, de bouillonnement d’énergie intensive ». En mai 1932, est publié dans le journal médical Le Vieux Bistouri, un article intitulé : « Un curieux signe de vitalité : les lunules des ongles ». Les lunules de 1 200 personnes malades et saines ont été examinées, les résultats étaient en accord avec leurs suppositions… FIN AUX LÉGENDES SUR LES LEUCONYCHIES PONCTUÉES ! Il est temps de mettre un terme aux diverses croyances con cernant les leuconychies ponctuées, ces petites taches blanches qui passent et disparaissent parfois même avant d’arriver au bord libre de la tablette, qui seraient dues à un manque de calcium. On les appelait aussi « flores unguium », ou encore, les taches de mensonge ! Après toutes les interprétations des chiromanciens et les significations qu’on leur attribuait, les médecins ont finalement peu débattu sur les causes et leur composition. Pierre-François Olive Rayer (1793-1867) auteur d’un magnifique ouvrage illustré de dermatologie, disait de ces taches de mensonge qu’elles « méritent à peine d’être mentionnées ». Les médecins du 19e siècle se sont interrogés sur leur nature et leur composition (de l’air ? de la graisse ?), arrivant à la conclusion qu’elles provenaient d’une modification de la kératine, lui faisant perdre sa transparence, mais sans l’identifier. Le docteur Paul Carton, dans son ouvrage intitulé Diagnostic et conduite des tempéraments, donnait une explication. D’après lui, elles témoignaient d’un trouble du métabolisme digestif, d’imperfections humorales et de déminéralisation. Il complète les informations dans un article intitulé « Les décharges minérales subites (urines blanches dès l’émission ; taches blanches unguéales) ». Une fuite de calcium dans les urines et des dépôts calciques dans les ongles surviendraient à la suite d’une acidification de l’organisme, en rapport avec un surmenage, une erreur de régime (trop de protéines, trop de graisses, de sucre, d’acides). Le docteur M. J. Alkiewicz de Poznan, histologiste, propose en 1935 l’hypothèse d’une altération de la kératinisation anéantissant à jamais les plus folles hypothèses sur leur composition et leur signification. Oui, les taches blanches de petite taille, survenant au hasard le plus souvent, correspondent à une kératinisation anormale de l’ongle avec parakératose et présence de grains de kératohyaline normalement absents des cellules cornées dont est fait l’ongle. La couleur blanche est due à la réflexion de la lumière par ces cellules mal kératinisées qui ont gardé leur noyau. Elles sont le plus souvent dues à des traumatismes de la région de la matrice. « Les ongles, comme l’épiderme, sont un miroir qui réfléchit les grands troubles que les pyrexies et les maladies constitutionnelles jettent dans notre organisme : montre-moi ton ongle et je te dirai qui tu es », écrivait le docteur léon Parisot, médecin anatomiste et physiologiste du 19e siècle. Que lisent les médecins couramment sur les ongles ?(figure 3). DES ÉLÉMENTS DE LA PERSONNALITÉ ? La façon dont les personnes entretiennent leurs ongles peut en dire long sur la façon dont ils, et plus souvent elles, gèrent leur image. Les anxieux qui les grignotent sans se soucier de ce que l’on pensera d’eux, les détachés qui ne les regardent même pas, les acharnées de la beauté des doigts qui au moindre éclat d’un vernis rafraîchi toutes les 48 heures possèdent, dans le sac à main, tout le matériel nécessaire pour remédier au moindre incident qui pourrait survenir au hasard en cours de journée. On y voit le souci de perfection, la contrariété que peut provoquer chez certains une imperfection de l’extrémité d’une extrémité… La fixation du poids de la vie sur une toute petite fissure qui ne veut rien entendre et rappelle à chaque accrochage comme il est parfois difficile d’exister. Ou bien la consultation motivée par une anomalie d’un ongle que même en se saisissant du dermatoscope, plein d’espoir, le médecin ne peut apercevoir. Lorsque le paraître prend une posture surdimensionnée vient la désespérance en cas d’incident, un ongle cassé, fissuré ou, pire, décollé ; je n’oserais parler d’accident, même si tel il m’est présenté sur le plateau de l’espoir et du dernier recours. Recevoir, écouter, aider sans juger. On y perçoit le malheur, le stress et l’anxiété sous forme d’onychotillomanies diverses, conscientes totalement, en partie, ou pas du tout. Parfois, à l’arrêt du tabagisme, élément à prendre en compte dans la gestion du problème. On comprend la difficulté de rompre avec une addiction, quand la privation volontaire ou imposée d’un geste, auparavant nécessaire à l’existence, n’a d’autre issue que de se transformer en une autre forme légère d’automutilation. Cuticules massacrées, avec barres transversales à la surface des tablettes par agression matricielle sous-jacente, replis excoriés, tablettes rongées, écourtées, lits dénudés, ongles pincés, écrasés entre deux doigts, ou fraisés, rétrécis par des limes, ciseaux, cutters et autres instruments (figure 4). On y voit le jeu de certains enfants, rongeurs d’ongles, comme beaucoup de bambins à un stade de leur développement, jeu qu’ils partagent avec leurs parents excédés par une manie qu’ils ne supportent pas. Jusqu’à 40 % des enfants entre dix et quinze ans se rongent les ongles. Gronder n’est pas efficace. LES MŒURS ? On observe l’addiction à la pratique du « Nail Art », et les traumatismes involontaires infligés à des cuticules et des tablettes sans défense (figure 5) ! Les gestes agressifs sont plus souvent à l’origine des complications que les produits eux-mêmes. Tablettes poncées, amincies, décollées par un fraisage inapproprié, cuticules absentes, refoulées, découpées, lignes de Beau, leuconychies transversales traumatiques qui permettent presque de dater les visites à l’institut. Ou bien l’usage inapproprié des kits à domicile pour faire soi-même de faux ongles gels ou du vernis semi-permanent, avec un temps de passage sous la lampe insuffisant, une polymérisation incomplète et… des allergies. On y devine l’usage frauduleux et acharné de la pince à ongles qui a malencontreusement coupé l’ongle du gros orteil en biais ou bien la ferveur de l’adolescent bagarreur qui a choisi avec ses propres dents de mesurer la résistance de sa kératine unguéale. Pénible résultat que celui de l’ongle incarcéré dans des replis bourgeonnants et suintants. Les ongles trahissent une activité, un métier quand se présente la paronychie chronique du boucher, du barman, de la femme au foyer qui ont les mains dans l’évier, la bassine ou les aliments une bonne partie de la journée (figure 6), la dermite irritative et/ou immunoallergique du maçon d’une ancienne génération qui ne porte pas les gants recommandés, la radiodermite du radiologue ou du chirurgiendentiste qui a, pendant des années, fait habilement jouer ses mains sous les rayons, l’onycholyse du coiffeur, habitée par quelques cheveux sur lesquels le dermatoscope fait lumière. L’interrogatoire sera long et minutieux à la fois pour préciser les gestes réalisés, les produits manipulés. Médecine d’observation, d’écoute et de dialogue que préconisait Hippocrate, premier médecin à décrire des retentissements de l’état de santé sur les ongles. Le patient et le médecin font bloc contre la maladie : prendre le temps nécessaire pour expliquer l’importance des mesures prescrites, seul garant de la réussite du traitement, en particulier dans ces paronychies chroniques, tant est grande l’aberration de demander l’éviction totale des contacts avec l’eau et l’humidité… jusqu’à réapparition de la cuticule. Expliquer, encore, convaincre des mesures appropriées, réfléchir avec le patient à la façon d’en sortir. On imagine sur les ongles la pratique sportive et parfois sa violence, les traumatismes réguliers, les hématomes à répétition et bientôt ces séquelles distales avec épidermisation du lit de l’ongle, décollement qui finira, suite aux découpages itératifs, en un relèvement du bourrelet antérieur dans lequel viendra buter la pauvre tablette enfermée définitivement dans d’épais murs de chair. Coureurs parfois mal chaussés, footballeurs cramponnés… Ongles traités, retraités, surtraités… Pourtant, pas de champignons à l’horizon. On y voit l’agressivité potentielle des séjours aux sports d’hiver quand le chausseur loueur débordé n’a guère pris le temps de s’apitoyer sur les pieds qu’il habille. Trop petites, trop grandes, trop serrées… hématomes et phlyctènes bleu marine ou violines… et parfois, onycholyse, épidermisation du lit, voire désaxation ou onychogryphose séquellaire en souvenir de cette belle journée. À l’automne vient le temps des suites de randonnées estivales, onycholyses, hématomes, passés inaperçus ? Pas tant que ça, la descente fut quand même douloureuse pour les orteils ! Dans la boutique, essayer les chaussures avec les chaussettes techniques qui seront utilisées et sur plan incliné, éviterait bien des déboires. On y comprend la fréquentation des piscines et salle de sport où visiblement les sols et leurs carrelages sont toujours le refuge préféré des dermatophytes. En cas de forme curieusement proximale d’onychomycose, il est possible de découvrir une immunosuppression sous-jacente (VIH). On lit le chaussage, l’inadéquation entre le pied et la chaussure, l’un rectangulaire, l’autre triangulaire. Contention, pression, chevauchement d’ongles et d’orteils sont au rendez-vous. Et ultérieurement, parfois des années de répit plus tard, des ongles en pince, incarnés, épais, habillés de cors sous-unguéaux allant jusqu’à faire souffrir au simple frottement du drap la nuit. Devant l’onychogryphose après un certain âge, on réalise la solitude et l’isolement ; il peut être difficile de se couper des ongles des orteils épais, véritable challenge pour ceux qui, devenus vieux, n’y arrivent plus et, honteux, n’osent pas demander de l’aide aux membres de leur famille qu’ils voient si rarement. On y remarque le temps qui passe, les stries qui viennent à un âge variable, avec ou sans arthrose, rendant parfois les ongles fragiles. On suppose le contrôle du régime alimentaire et du poids qui ne doit pas dépasser un chiffre beaucoup plus bas, bien sûr, qu’il ne devrait l’être et des replis sus-unguéaux rouges, des ongles, striés, secs et cassants. Les adeptes des régimes véganes stricts se carencent en protéines, espérant malgré tout un renouvellement unguéal avec des kératines de qualité. Transpire parfois sur les extrémités la souffrance intérieure enfermée qui préfère détruire les ongles que de crier haut et fort son existence, psoriasis récalcitrant, lichen virulent, irrémédiablement récidivant au gré des événements lorsque la vie va de mal en pis (figure 7). La main est une partie du corps impliquée en permanence dans la relation au monde et aux autres, on prend conscience aussi de la difficulté de vivre avec des ongles défigurés. LA SANTÉ ? Si, en théorie, toutes les affections de l’organisme peuvent retentir sur les ongles, ces anomalies sont inconstantes et rarement au premier plan. Il est rare que le dermatologue diagnostique une maladie systémique non connue sur une atteinte unguéale. En pratique courante, seules certaines situations se présentent assez régulièrement. Les stress de l’organisme comme au cours, d’une forte fièvre, d’un accouchement, d’une maladie aiguë sévère, infarctus, septicémie… ralentissent, voire arrêtent transitoirement la croissance unguéale. Quelques semaines plus tard apparaissent les lignes de Beau sur un, plusieurs ou tous les ongles, en regard aux orteils comme toujours. Il peut aussi s’agir d’une véritable rupture entre l’ancien et le nouvel ongle, l’onychomadèse. Les deux progressent ensemble, puis le vieux quitte l’appareil, inquiétant son propriétaire. C’est le plus souvent chez le petit enfant, à distance d’une forte fièvre oubliée, que l’on est consulté en tant que dermatologue (figure 8). L’interrogatoire orienté et/ou le carnet de santé raviveront la mémoire et le souvenir de l’épisode. La guérison se fait sans séquelles. En cas de troubles circulatoires des extrémités, on ressent la froideur des mains avant même de les avoir touchées. Ce lit de l’ongle blanc laiteux porcelainé qui majore la vivacité de la ligne onychodermique à la jonction entre le lit et l’hyponychium (figure 9). Les cuticules à la fois épaisses et capables de se libérer au moindre facteur favorisant, refoulement hasardeux, macération répétée en humidité tranquille. Rarement passe par le cabinet du dermatologue un patient récemment atteint d’une hyperstriation longitudinale diffuse majeure faisant évoquer au premier abord un lichen. Jusqu’à ce que le médecin attentif et passionné aperçoive des hémorragies au sein des stries faisant opter pour une amylose, qui, systémique, révélera un myélome (figure 10). Le syndrome des ongles jaunes vient accompagner la sinusite ou l’affection respiratoire chronique parfois non prise en charge, avec un arrêt de la pousse unguéale, des tablettes épaisses, jaunes et la rupture de la barrière cuticulaire, engendrant, surtout en cas de contacts fréquents avec l’humidité, un périonyxis et une surinfection à pyocyanique affichant une coloration verdâtre aux bords latéraux des lames unguéales (figure 11). La vitamine E et l’itraconazole sont prescrits ; ce dernier, en effet, accélère la vitesse de croissance unguéale et permet souvent de relancer la repousse. Sans oublier bien sûr, la prise en charge, par le spécialiste concerné, de l’affection sousjacente. On lit, sur les tablettes unguéales et leur pourtour, les effets secondaires des médicaments, chimiothérapies, avec par argument de fréquence l’onycholyse au taxotère, les leuconychies transversales, les lignes de Beau, la fragilité, les bourgeons périunguéaux survenant sous rétinoïdes et thérapies ciblées, les mélanonychies longitudinales (chimiothérapies, cyclines…). Les fragilités importantes avec koïlonychie feront découvrir une carence en fer qu’il faut traiter, parallèlement aux mesures de protection contre l’eau et l’humidité et aux consignes d’utilisation des cosmétiques. Les lits sont pâles en cas d’anémie profonde. Les patients ayant bénéficié d’une chirurgie bariatrique sont substitués en vitamines et minéraux, sinon on lirait sur leurs ongles des signes de carence en fer, zinc, vitamine B12. L’hippocratisme digital ne vient plus révéler un empyème comme du temps d’Hippocrate, mais une affection cardiaque ou respiratoire, parfois une néoplasie, une affection hépatique ou digestive, une hyperthyroïdie. Chez les jeunes, en l’absence de tout signe d’appel, le bilan cardiorespiratoire est le plus souvent normal et l’anomalie constitutionnelle idiopathique. Viennent parfois consulter des patients présentant des pathologies connues, vascularite systémique, cirrhose, insuffisance rénale, dysthyroïdie, diabète… chez qui le dermatologue pourra observer différentes sortes de lignes longitudinales ou horizontales, lignes de Beau, Muercke et autres, ongles de Terry, ongles équisegmentés ou décolorés, toutes sortes d’anomalies… en rapport avec les perturbations humorales du moment. Presque toujours viennent au cabinet des patients qui parlent, se confient, apprécient qu’on les entende et qu’on les aide. On devine en s’occupant des ongles que, malgré la diversité des spécialités médicales, il n’existe qu’un seul art de la médecine. Hippocrate prônait une médecine bienveillante, d’écoute, d’échange et d’examen, non compatible avec l’économie du temps consacré, éléments indispensables à l’acuité du diagnostic… On apprend vite qu’un ongle est parfois… beaucoup plus qu’un ongle (figure 12).

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