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Dermatite atopique, Eczéma

Publié le 09 juil 2008Lecture 9 min

La dermatite atopique en questions. Interview du Professeur Yves de PROST

Propos recueillis par Henry Pawin
L’atopie est une pathologie fréquente, en augmentation croissante, qui peut toucher l’enfant et l’adulte. Nous avons demandé au Professeur Yves de Prost, Chef de Service de Dermatologie à l’Hôpital Necker-Enfants malades, de nous faire part de son expertise.
En quoi connaître la physiopathologie de la dermatite atopique a-t-il un intérêt ? Pr Yves de Prost – Sa connaissance est fondamentale pour comprendre les mécanismes en cause, mais aussi pour envisager l’avenir des traitements. Notre vision a été progressivement bouleversée en 20 ans. Pour en refaire rapidement l’histoire, tout a commencé par la démonstration del’implication des lymphocytes T et l’importance de la balance TH2/TH1, puis la découverte de récepteurs IgE sur les cellules dendritiques. Ces deux notions montraient le rôle dans l’atopie à la fois de mécanismes anaphylactiques (les IgE) et de l’hypersensibilité retardée (les lymphocytes T). Pour résumer en quelques mots la cascade d’événements responsables d’une poussée d’eczéma atopique : l’allergène pénètre la couche cornée épidermique, il se fixe sur les cellules dendritiques par l’intermédiaire des IgE, les cellules dendritiques transportent l’allergène jusqu’au ganglion satellite où elles le présentent aux lymphocytes qui secrètent des cytokines responsables de la réaction inflammatoire. Chacune de ces étapes peut être un point d’impact théorique de nos traitements : reconstitution de la couche cornée pour éviter la pénétration de l’allergène, anti-IgE sur les cellules dendritiques, immunosuppresseurs sur les lymphocytes T, anticytokines et antiinflammatoires sur la réaction inflammatoire. Les traitements efficaces d’aujourd’hui agissent sur certains de ces mécanismes, nous le reverrons, et celles sur lesquelles nous n’avons pas encore de moyen d’action font l’objet de recherche ou d’expérimentation. Quelles sont les nouveautés au point de vue physiopathologique ? Y. de P. – J’insisterai aujourd’hui sur la filagrine, protéine qui joue un rôle majeur dans la transformation du kératinocyte en cornéocyte. En cas d’anomalie de cette protéine, cette transformation se fait mal, les fonctions de la couche cornée sont mal assurées, en particulier elle est perméable aux allergènes et une poussée d’eczéma surviendra. Les anomalies de la filagrine sont certes d’origine génétique, mais découverte récente et passionnante, la réaction inflammatoire entraîne aussi des anomalies de la filagrine, qui sont responsables d’une augmentation de la pénétration d’allergènes, et donc d’un emballement de la poussée d’eczéma. Ces phénomènes constituent un véritable cercle vicieux qui auto-aggrave la poussée. Ainsi, agir sur l’inflammation pour traiter une poussée diminue la perméabilité cutanée, donc le risque de poussée. Quels sont les traitements actuels de la dermatite atopique ? Y. de P. – Comme tous les dermatologues le savent, la corticothérapie locale reste le traitement incontournable. Elle est beaucoup mieux acceptée aujourd’hui par les pédiatres. Elle s’accompagne évidemment de l’application d’émollients. Les inhibiteurs de la calcineurine, tacrolimus et pimecrolimus, sont très utiles et efficaces, principalement dans les localisations particulières où la corticothérapie locale a un risque plus important d’effets secondaires, c’est-à-dire principalement le visage, les fesses et les grands plis. Ils sont aussi très intéressants en cas d’échappement à la corticothérapie locale ou en cas d’effets secondaires de celle-ci. Que pensez-vous de la polémique sur les inhibiteurs de la calcineurine et le risque d’induction de lymphome ? Y. de P. – Actuellement, nous pouvons dire que ce risque est quasi nul. Si nous reprenons l’historique de cette inquiétude, une alerte a été émise par la FDA fin 2005 pour deux raisons : une prescription hors AMM importante des inhibiteurs de la calcineurine et surtout l’apparition d’une vingtaine de cas de lymphomes pour chacun de ces deux topiques. Depuis plusieurs études sont venues nous rassurer : le passage plasmatique des inhibiteurs de la calcineurine en topique est quasi nul. Par ailleurs, les types de lymphomes décrits lors de cette alerte ne correspondent pas à ceux habituellement induits par les immunosuppresseurs ; et surtout, quatre études avec cas contrôle ont démontré que l’incidence de lymphomes n’augmente pas au cours des traitements topiques par inhibiteurs de la calcineurine par rapport à la population témoin. L’alerte a été levée pour ces deux produits qui ont déjà été prescrits à plus de 10 millions de patients en près de 15 ans d’utilisation. Que faire pour les atopies sévères ? Y. de P. – Il faut bien avoir conscience que la dermatite atopique sévère est responsable d’une altération très importante de la qualité de vie. Il faut donc impérativement la traiter efficacement. Elle est plus fréquente dans les formes de l’adulte. Dans mon expérience, elle représente 10 % des patients, mais ce chiffre est probablement gonflé, car nous avons dans le service un biais de recrutement dû à notre spécialisation. Chez ces patients, une métaanalyse publiée en 2007 a montré l’intérêt de la ciclosporine utilisée depuis 20 ans aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte. Les doses prescrites sont de 4-5 mg/ kg/j pendant environ un an, puis la décroissance est très lente sur deux à trois ans. Les résultats sont en général excellents et chez certains patients l’arrêt de tout traitement, sans qu’aucune nouvelle poussée ne survienne, est possible. Ce traitement nécessite évidemment une surveillance adaptée, mais les effets secondaires sont très rares. Quelle est la place des UVA et des UVB ? Y. de P. – Ce sont des traitements complémentaires qui peuvent avoir un intérêt pour certains patients. Ils sont contre-indiqués avant 12 ans. L’antibiothérapie a-t-elle un intérêt ? Y. de P. – Le staphylocoque joue un rôle important dans le déclenchement et la pérennisation des poussées par trois mécanismes conjoints : une production de toxines ; une action antigénique ; une action superantigénique. Dès le moindre signe d’impétiginisation, il est donc important de prescrire une antibiothérapie orale antistaphylococcique pour arrêter cette triple stimulation. Dans les poussées importantes, je prolonge cette antibiothérapie entre 2 et 4 semaines. Qu’en est-il du rôle de l’allergie alimentaire ? Faut-il systématiquement mettre les atopiques sous régime ? Y. de P. – La situation est aujourd’hui claire grâce à des travaux récents. Il existe de vraies allergies alimentaires responsables d’atopie. Mais ce cas de figure est rare et représente moins de 5 % des atopies sévères. Chez ces patients, un régime éliminant l’allergène impliqué est évidemment indispensable. Chez tous les autres, trois études récentes ont montré que : les régimes sans protéine de lait de vache et/ou sans oeuf fait à l’aveugle n’avaient aucun intérêt, ne changeant ni la fréquence des poussées ni l’évolution de la maladie ; la diversification alimentaire n’a pas d’incidence sur les poussées et ne les augmente pas ; l’allaitement maternel prolongé ne prévient pas la survenue de l’atopie, même dans les familles à risque. Ainsi, il est impératif de considérer ces enfants de la même façon que les autres sur le plan alimentaire et de varier leur alimentation au même rythme. Nous voyons encore malheureusement des enfants malnutris sous prétexte d’atopie, alors que l’inutilité de ces régimes est aujourd’hui clairement démontrée. La fréquence de l’atopie augmente dans les pays occidentaux. Pourquoi ? Y. de P. – L’incidence de l’atopie est de 12 à 15 % en France. Et effectivement, elle s’accroît avecl’augmentation de l’hygiène dans nos sociétés. L’hygiène doit être considérée dans un sens large et comprend évidemment le toutà- l’égout, la toilette, mais aussi les vaccinations, la prise en charge précoce des syndromes infectieux chez l’enfant, la diminution de contact avec des éléments souillants… Le rôle du mode de vie a été parfaitement démontré par plusieurs études : l’incidence de la DA est moins fréquente chez les enfants qui vont en crèche, qui sont dans des familles nombreuses et qui vivent à la campagne. Surtout, un travail récemment publié a montré que chez les enfants du Maghreb vivant au Maghreb, l’incidence est inférieure à 1 %, alors qu’elle passe à 12-15 % chez les enfants d’origine maghrébine nés en France, chiffre identique à ceux de la population française. En fait, tout se passe comme si l’atopie était favorisée par l’immaturité du système immunitaire ; les infections précoces entraînant une stimulation immunitaire sont responsables de la maturation du système immunitaire, l’atopie est alors plus rare. De même, la diminution des poussées avec l’âge chez l’enfant serait aussi due à l’apparition d’une maturation immunitaire. Y a-t-il des conséquences pratiques à cette théorie hygiéniste ? Y. de P. – Pour l’instant peu. Les conséquences de l’arrêt des vaccinations seraient bien plus catastrophiques que le bénéfice attendu sur l’incidence de l’atopie. De même, favoriser les crèches augmente le risque de maladies infectieuses sévères comme les méningococcies. Certains ont proposé de stimuler le système immunitaire par des bactéries inactivées. Les résultats sont pour l’instant décevants : le rôle des probiotiques dans la prévention de l’atopie n’est pas démontré ; une étude avait montré une diminution de 50 % de l’incidence de l’atopie chez des sujets qui avaient été au contact de Mycobacterium vaccae, mais des études ultérieures n’ont pas confirmé ces résultats. Faut-il faire des désensibilisations ? Y. de Prost – Non. Cela ne marche pas et peut être dangereux. Quelles sont les perspectives thérapeutiques dans l’avenir ? Y. de Prost – Les recherches sont nombreuses. Je fonde toutefois beaucoup d’espoir sur la théorie hygiéniste, même si pour l’instant rien de concret n’existe. Les biothérapies, très à la mode actuellement dans le psoriasis, ont été essayées dans l’atopie. Pour l’instant, aucune d’entre elles n’a montré d’efficacité. Les anticorps anti-IgE, très séduisants sur le plan théorique, n’ont pas donné les résultats escomptés au cours de quelques essais cliniques récents. Nous attendons de nouveaux immunosuppresseurs locaux. Enfin, la qualité de la prise en charge est fondamentale, en particulier la compréhension de la maladie et du traitement par les patients améliore les résultats de nos thérapeutiques. C’est le rôle de structures comme les Écoles de l’atopie.

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