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Dermatite atopique, Eczéma

Publié le 23 aoû 2006Lecture 12 min

Eczéma et asthme : deux expressions de l'atopie étroitement liées

Guy DUTAU, Toulouse
A la question posée : « tel enfant atteint d’eczéma (dermatite atopique) risquait-t-il de devenir asthmatique », la réponse a longtemps été évasive. La spécialité du praticien (pédiatre, dermatologue et même allergologue) ne changeait pas grand-chose à l’acuité de l’avis. Depuis quelques années, on dispose d’éléments de réponse(1) et les données de la littérature sont plus précises, même s’il nous manque encore une grande enquête prospective pour répondre à la question : « est-ce que la dermatite atopique prédispose réellement à l’asthme ? ». Les objectifs de cette mise au point sont de fournir quelques points de repère.
Révision de la nomenclature en allergologie Une révision de la nomenclature en allergologie est intervenue récemment(2). La définition des symptômes obéit à un schéma général identique quels que soient les symptômes (asthme, rhinite, conjonctivite, etc). Par exemple, une rhinite peut être allergique ou non allergique. Lorsqu’elle est allergique, c’est-à-dire lorsqu’un mécanisme immunologique est prouvé, il existe deux possibilités théoriques : il s’agit soit d’un mécanisme IgE-médié, soit d’un mécanisme non IgE-médiée. Enfin, une rhinite IgE-médiée peut être atopique ou non atopique – ce qui renvoie à la définition de l’atopie(2). L’atopie est ici définie comme l’aptitude familiale ou personnelle à produire des IgE en réponse à des petites doses d’allergènes, habituellement des protéines. Les distinctions proposées par les experts de l’European Academy of Allergology and Clinical Immunology (EAACI) sont parfois difficiles à suivre : dans l’exemple de la rhinite, on a du mal à imaginer ce que peut représenter une rhinite allergique non-IgE dépendante ! (figure 1). Pour l’eczéma (dermatite atopique), où l’intervention des IgE est inconstante et de signification variable, la révision de la nomenclature reste prudente. En effet, il est recommandé d’utiliser le terme de syndrome de dermatite/eczéma atopique ou, en anglais atopic eczema/dermatitis syndrome (AEDS), ce qui ne résout pas grand-chose… et représente une appellation de transition(3,4). Pour le sous-groupe le plus fréquent, les experts recommandent d’utiliser le terme « AEDS associé aux IgE », la qualification « IgE-dépendant » paraissant exagérée(3). Quoi qu’il en soit, pour leur pratique clinique, les dermatologues (et d’autres) se satisfont, à juste titre, des outils diagnostiques usuels que sont les critères de Hanifin et Rajka, réactualisés par Williams, et du SCORAD qui permet de quantifier l’importance des lésions et de surveiller leur évolutionin(5).   Rappelons simplement que le diagnostic d’eczéma doit associer prurit et 3 ou plus des signes suivants : – antécédents de dermatose des plis, – antécédents personnels d’asthme ou de rhinite, – xérose dans l’année précédente, – eczéma visible aux plis de flexion, – âge de début inférieur à 2 ansin (5).   Liens de filiation entre l’eczéma et l’asthme   Contrairement à une opinion répandue, plusieurs études ont été effectuées entre 1963 et 1990 pour évaluer la prévalence de l’asthme au cours de la dermatite atopique (DA). Mais la plupart de ces enquêtes étaient rétrospectives, ne répondaient pas aux critères de qualité exigés actuellement par les spécialistes en épidémiologie, et comportaient des biais de sélection. • L’enquête prospective de Queille-Roussel et coll.(6) menée sur un groupe de 500 enfants atteints d’eczéma et suivis pendant 5 ans estime la prévalence de l’asthme à 35 % ; on lui reproche son ancienneté. • L’étude anglaise de Salob et Atherton(7) publiée en 1993 est une étude cas-témoins. Des questionnaires ont été envoyés aux familles de 411 enfants âgés de 1 à 15 ans qui avaient consulté pour un eczéma atopique. L’envoi contenait deux enveloppes : A et B. Avant d’ouvrir l’enveloppe A qui leur était destinée, les parents des enfants atopiques devaient donner l’enveloppe B aux parents d’un ami de leur enfant, de même âge et sexe, exempt de DA ou d’antécédent de DA. Les questionnaires A et B étaient les mêmes, mais B ne contenait pas de questions sur l’eczéma. La méthodologie était donc ingénieuse, mais elle n’écartait pas la possibilité (somme toute limitée) d’un sous-diagnostic de l’eczéma dans le groupe témoin. Résultat important, la prévalence cumulée des symptômes respiratoires a été trois fois plus importante chez les enfants atteints d’eczéma (85 %) que chez les témoins (26 % ; p < 0,001). La répartition des réponses est indiquée dans le tableau 1. Par conséquent, la prévalence de l’asthme est 3 fois plus élevée que dans la population générale(7).       La prévalence de l’asthme est 3 fois plus élevée chez les enfants avec eczéma que dans la population générale.   • Une étude prospective plus récente est également disponible, effectuée en Suède par Gustafsson et coll.(8). Après avoir recruté 100 enfants atteints de dermatite atopique, les auteurs en ont retenu 94 satisfaisant aux exigences du suivi projeté. Après l’inclusion, effectuée entre les âges de 4 mois et 3 ans (en moyenne 18,3 mois), ont été revus deux fois par an jusqu’à 3 ans, puis une fois par an jusqu’à 7 ans. Cette étude, prospective mais ne comportant pas de groupe témoin, a cependant fourni un grand nombre de renseignements dont les principaux figurent dans les tableaux 2 et 3. Cette étude confirme le bon pronostic (cutané !) de l’eczéma du nourrisson à moyen terme, puisqu’une disparition ou une amélioration des lésions est enregistrée dans 8 cas sur 10. En revanche, un asthme est apparu chez 44 patients (47 % de l’effectif). Au cours du suivi, les signes d’obstruction bronchique sont survenus à la première visite (26 %), à la deuxième (33 %) et à la troisième (43 %). La même évolution temporelle a été observée pour la rhinite allergique : de 14 à 45 %. Les 44 enfants atteints d’asthme à l’issue du suivi ont été comparés aux 50 qui n’en avaient pas développé et qui ont servi de témoins. Les facteurs de risque d’apparition de l’asthme ont été les antécédents familiaux d’atopie, un score de dermatite atopique élevé au début du suivi, un Rast® fx5 positif (tableau 3).    • Mais l’étude prospective de cohorte la plus complète connue à ce jour est l’étude allemande MAS (Multicenter Allergy Study)(9) qui, débutant à la naissance, a permis de suivre l’évolution des sensibilisations et allergies depuis une dizaine d’années. L’étude, commencée en 1990, a concerné 1 314 enfants dont l’évolution a été rapportée à plusieurs reprises sous différents aspects. La dernière version de cette étude encore en cours date de 2001. Illi et coll.(9) ont montré que le début de l’atopie était significativement beaucoup plus précoce chez les enfants atteints d’asthme actuel à l’âge de 7 ans (39,4 %) par rapport aux enfants non asthmatiques à cet âge (21 % ; (p = 0,015). Seuls les enfants qui ont développé précocement une sensibilisation (documentée par des prick-tests positifs ou la présence d’IgE spécifiques) vis-à-vis d’un allergène quelconque et qui sont sensibilisés à un pneumallergène à l’âge de 7 ans ont un risque significativement élevé d’être asthmatiques à cet âge avec un odds ratio élevé (OR : 10,12 ; IC 95 % : 3,81-26,88)(9). Et, de façon non surprenante, les auteurs observent que les antécédents parentaux d’asthme et d’allergie constituent finalement pour l’enfant les facteurs de risque les plus importants de devenir asthmatique, surtout si la mère est asthmatique. Mais, si cette « marche vers l’allergie » est globalement inscrite dans les gènes, il existe tout de même quelques particularités évolutives individuelles.   Si la « marche vers l’allergie » est globalement inscrite dans les gènes, il existe toute de même quelques particularités évolutives individuelles.   Analyse des principaux facteurs de risque d’asthme En dehors de celle de Gustafsson et coll.(8), d’autres études ont été menées pour préciser plus particulièrement tel ou tel facteur de risque. Précocité de l’eczéma • Pour l’eczémateux (passé ou actuel), le risque de développer un asthme est d’autant plus élevé que le début de l’eczéma est plus précoce, aussi bien dans la population générale(9) que chez les enfants à risque atopique(10). • Comme Gustafsson et coll.(8), Kjellman et Hattevig(10) observent, chez 84 enfants non sélectionnés, que l’asthme survenait chez 58 % des enfants si l’eczéma débutait avant l’âge de 2 ans, et seulement chez 7 % lorsqu’il débutait après cet âge. • Hattevig et coll.(11) ont étudié 115 enfants à risque (antécédents parentaux d’atopie et IgE cordales supérieures à 0,9 kU/l) : l’asthme apparaît dans 38 % des cas lorsque l’eczéma avait débuté avant l’âge de 2 ans et seulement dans 10 % des cas lorsqu’il commençait plus tardivement. Gravité de l’eczéma Plusieurs études montrent que la gravité de l’eczéma était corrélée avec le risque d’asthme(6-8,12,13). C’est l’impression clinique des « experts », mais il serait souhaitable de mieux préciser ce facteur de risque avec les instruments d’évaluation actuels de la dermatite atopique (SCORAD). Bien qu’il n’ait pas fait l’objet jusqu’à présent d’études épidémiologiques, le syndrome des allergies multiples (SAM), décrit il y a plus de 10 ans(14) survient en règle générale chez l’enfant atteint de DA. Les sensibilisations observées, le plus souvent pertinentes sur le plan clinique, mais pas toujours, méritent des investigations allergologiques approfondies pouvant aller jusqu’au test de provocation par voie orale (TPO) si les autres éléments du diagnostic (anamnèse, prick-tests, dosages d’IgE spécifiques) n’emportent pas la conviction(15,16). Le SAM peut également survenir chez l’enfant nourri au sein(17) par sensibilisation aux protéines qui peuvent passer dans le lait maternel, en particulier la bêtalactoglobuline bovine(18) et l’arachide(19). Si l’éviction par la mère du (ou des) aliment(s) en cause ne suffit pas en poursuivant l’alimentation au sein(20), une formule de substitution à hydrolyse poussée(17) ou même une formule à base d’acides aminés libres essentiels sont indispensables.   Deux tiers des enfants ayant un SAM développent un asthme vers l’âge de 3 ans.     L’apparition d’un asthme est fréquente au cours de l’évolution à moyen ou long terme de ces enfants. Dans une série de 45 enfants atteints de SAM rapportée en 1998, la DA n’a évolué favorablement que dans 42,8 % des cas à un âge moyen de 4 ans et 3 mois(15). En revanche, un asthme est apparu chez 30 enfants (66,6 % de l’effectif) à un âge moyen de 2 ans et 8 mois et une rhinite allergique 15 fois (33,3 %) à un âge moyen de 5 ans(15). Ainsi, la séquence habituelle du SAM est bien « dermatite atopique - allergie(s) alimentaire(s) -asthme - rhinite allergique », ce qui montre bien la pertinence de l’appellation ancienne de « syndrome dermorespiratoire ». Les allergies alimentaires associées étaient nombreuses : 3 allergies alimentaires (45 % de l’effectif), 4 chez 14 (31,1 %) , 5 chez 6 (13,3 %), 6 chez 2 (4,4 %) et même 9 chez un patient (2,2 %)(15). Au cours du SAM, les aliments en cause sont divers : œuf, arachide, lait de vache, poisson, noisette, blé, etc. Une observation exemplaire de SAM est rapportée page 4. Tabagisme passif Murray et Morrisson(20) ont démontré que le tabagisme maternel était un facteur de risque d’apparition de l’asthme chez l’enfant atteint d’eczéma. Ce risque d’asthme est statistiquement plus élevé chez les enfants et les adolescents eczémateux nés de mères tabagiques que chez ceux dont les mères ne l’étaient pas (79 vs 52 % ; p = 0,001)(20). En revanche, chez les enfants n’ayant pas d’antécédents d’eczéma, le tabagisme maternel n’augmente pas le risque d’asthme : 42 % pour les enfants de mères non tabagiques contre 40 % (mères tabagiques). De plus, l’asthme est plus grave chez les enfants de mères tabagiques(21).   Le risque d’asthme est statistiquement plus élevé chez les enfants et les adolescents eczémateux nés de mères tabagiques que chez ceux dont les mères ne l’étaient pas.   Sensibilisation à l’œuf • L’étude MAS déjà citée(9) montre que la présence d’anticorps dirigés contre l’œuf à l’âge de 1 an permet de prévoir l’acquisition d’une sensibilisation aux pneumallergènes à l’âge de 3 ans : lorsque le Rast® dirigé contre l’ovalbumine est supérieur à 2 kUA/l, le risque de développer une sensibilisation aux pneumallergènes est de 77 %(22). • Au cours du suivi de la cohorte de l’Île de Wight, Tariq et coll.(23) ont enregistré des faits similaires. Chez le nourrisson, une allergie à l’œuf permet de prédire la survenue d’une allergie respiratoire (asthme ou rhinite) à l’âge de 4 ans (OR : 5 ; IC 95 % : 1,1-22,3). • De même, surveillant une cohorte d’enfants à haut risque allergique depuis la naissance jusqu’à l’âge de 7 ans, Burr et coll.(24) ont enregistré une corrélation étroite entre prick-tests positifs à l’œuf (à l’âge de 1 an) et survenue d’un asthme, d’un eczéma et d’une sensibilisation aux acariens (à l’âge de 7 ans). L’allergie à l’œuf chez le nourrisson est prédictive de la survenue d’une allergie respiratoire à l’âge de 3-4 ans.   Conclusion • L’atopie, aptitude génétiquement déterminée à produire des IgE en excès en réponse à des allergènes, se manifeste par des symptômes variés (dermatite atopique, allergie alimentaire, asthme, rhinite, conjonctivite, etc.). • La dermatite atopique constitue la première phase de cette « marche vers l’allergie » dont l’un des risques majeurs est l’asthme. • Les études disponibles montrent clairement que le risque d’asthme est au moins 3 à 4 fois plus élevé au cours de l’eczéma, actif ou guéri, que dans la population générale. • Ce risque est d’autant plus élevé que le début de l’eczéma a été précoce, que l’eczéma a été plus sévère, que l’enfant développe précocement des sensibilisations aux aliments. • Toutefois, le risque d’asthme est également présent au cours des eczémas légers ou modérés, ce qui milite pour la surveillance clinique des patients qui en sont atteints, en particulier s’il existe une sensibilisation aux acariens et/ou aux pollens(25).

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