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Dermatologie générale

Publié le 13 oct 2021Lecture 7 min

Mycobactérioses atypiques cutanées

Alexis GUYOT, Service de dermatologie et de vénérologie, hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt
Mycobactérioses atypiques cutanées

Les mycobacteriaceae sont une famille d’actinobactéries, au sein de laquelle la classification distingue : les mycobactéries du groupe tuberculosis (principalement mycobacterium, M. tuberculosis, M. bovis, M. africanum), responsables de la tuberculose ; le bacille de Hansen (M. leprae), qui est l’agent de la lèpre ; et les autres mycobactéries, dites « atypiques », qui font l’objet de cet article.

Les mycobactéries atypiques sont des pathogènes opportunistes d’origine environementale, présents dans l’eau et le sol. Elles sont responsables d’infections localisées ou disséminées, les principaux organes atteints étant la peau et les tissus sous-cutanés, les ganglions, les poumons, l’appareil ostéo-articulaire. Plus d’une centaine d’espèces sont décrites, dont une dizaine sont régulièrement responsables d’infections chez l’homme. L’immunodépression est un facteur de risque d’infection cutanée à mycobactérie, quelle que soit sa cause : infection par le VIH, immunodépression médicamenteuse (transplantation d’organes, anti-TNF alpha[1]), déficits de la voie de l’interféron gamma (déficit en GATA2, auto-anticorps anti-interféron). Néanmoins, les mycobactérioses se rencontrent aussi chez l’immunocompétent. Les infections cutanées à mycobactéries sont le plus souvent le résultat d’une inoculation directe à travers la peau, mais peuvent aussi résulter d’une dissémination hématogène ou d’une extension locorégionale à partir d’un foyer profond. Outils du diagnostic Les biopsies cutanées sont indispensables au diagnostic. L’histologie standard, non spécifique, montre des lésions essentiellement granulomateuses, associées ou non à des zones suppurées. La coloration de Ziehl peut montrer la présence de bacilles acido-alcoolo-résistants (BAAR), plus ou moins fréquemment selon l’espèce mycobactérienne en cause, mais sa négativité n’exclut pas le diagnostic. Dans tous les cas, une identification d’espèce est souhaitable afin de choisir au mieux le traitement, et les prélèvements biopsiques doivent donc également être adressés au laboratoire de microbiologie. Des BAAR, non distinguables des bacilles tuberculeux, sont rarement retrouvés lors de l’examen direct. La mise en culture sur milieux spécifiques est systématique ; elle doit se faire à 37 °C, mais aussi à 30 °C, qui est la température optimale de culture pour certaines espèces (notamment M. marinum). Selon le délai de positivation des cultures, on distingue les mycobactéries à croissance rapide, qui peuvent pousser en une semaine (M. fortuitum, chelonae, abscessus...), et les mycobactéries à croissance lente, dont la pousse peut mettre jusqu’à 3 mois (M. marinum, ulcerans, avium, intracellulare, kansasii, xenopi...). L’identification d’espèce fait appel aux techniques de biologie moléculaire ; elle est indispensable à la prise en charge, car la sensibilité aux antibiotiques diffère d’une espèce à l’autre. Les tests IGRA (Interferon Gamma Release Assay, type Quantiféron - TB Gold® ) évaluent la réponse lymphocytaire T effectrice vis-à-vis de certains antigènes de M. tuberculosis. Ces antigènes sont absents de la souche vaccinale M. bovis (BCG) mais présents chez d’autres mycobactéries (notamment M marinum, leprae, kansasii...). Les tests IGRA peuvent donc être positivés en cas d’infection à ces germes, néanmoins leur sensibilité reste insuffisante dans cette indication pour pouvoir préconiser leur utilisation(2,3). Clinique et traitement Deux espèces sont responsables de tableaux cliniques bien particuliers, que nous décrirons en détail : il s’agit de M marinum et M ulcerans. L’aspect des autres mycobactérioses cutanées, en revanche, est moins spécifique. M. marinum M. marinum est la mycobactérie atypique la plus fréquemment rencontrée en pathologie cutanée, responsable du « granulome des piscines » ou « granulome des aquariums ». L’inoculation se fait par contact d’eau contaminée avec des effractions cutanées volontiers minimes, une cause classique étant le nettoyage d’aquariums sans port de gants. L’interrogatoire peut retrouver dans ce cas la notion de poissons malades ou morts. En raison de ce mode d’inoculation, et de la température de croissance optimale de 30 °C du germe, les lésions sont le plus souvent observées sur les membres. Leur aspect clinique est particulier : après une lésion initiale à type de papule ou de nodule, qui peut s’ulcérer, apparaissent de nouvelles lésions de disposition sporotrichoïde, remontant le long du trajet lymphatique (photo 1). Une extension par contiguïté est également classique, avec atteinte des tissus sous-jacents (ténosynovites)(4) (photo 2). Le diagnostic différentiel des lésions sporotrichoïdes comporte les métastases en transit, certaines autres mycobactérioses atypiques (M. kansasii) mais aussi de nombreuses autres pathologies infectieuses : sporotrichose, tuberculose, tularémie, nocardiose, chromomycose, leishmaniose... Le traitement associe usuellement deux molécules actives (rifampicine, clarithromycine, éthambutol, triméthoprime-sulfaméthoxazole, doxycycline, minocycline). Il doit être poursuivi 1 à 2 mois après guérison clinique, pour une durée totale de 2 à 6 mois. M. ulcerans L’infection à M. ulcerans porte le nom d’« ulcère de Buruli », du nom d’une région d’Ouganda où de nombreux cas ont été historiquement décrits, mais elle touche actuellement une trentaine de pays du globe répartis sur l’Afrique occidentale et centrale, l’Amérique latine, l’Asie du Sud-Est et le Pacifique occidental. L’OMS recense environ 2 000 cas annuels, majoritairement pédiatriques. Le réservoir bactérien se trouve dans les eaux stagnantes, la contamination de l’homme se faisant probablement par contact de l’eau souillée avec des brèches cutanées mineures, ou bien par piqûres d’arthropodes (moustiques, punaises d’eau). Une contamination en milieu urbain a été exceptionnellement rapportée(5). M. ulcerans sécrète une toxine, la mycolactone, responsable de destruction tissulaire, d’altération de la réponse immunitaire locale et d’hypoesthésie, rendant compte de l’aspect clinique particulier. De nouvelles méthodes de diagnostic rapide mettant en évidence cette toxine sont en cours de développement ; il pourrait également s’agir dans l’avenir d’une cible thérapeutique. L’infection à M. ulcerans atteint le plus souvent les membres inférieurs. Après une incubation de quelques semaines à quelques mois apparaît une lésion (nodule, plaque, voire simple œdème indolore) évoluant en quelques semaines vers un ulcère à bordure « sous-minée », décollée. La plupart des cas sont diagnostiqués à ce stade déjà avancé d’ulcération. L’évolution spontanée se fait vers une perte de substance profonde et extensive (photo 3), qui peut se compliquer de surinfection à germes banals, voire d’atteinte osseuse. Chez l’immunodéprimé VIH, l’évolution est plus délabrante et le pronostic plus défavorable. Le diagnostic différentiel doit évoquer, outre les causes vasculaires ou inflammatoires habituelles, les autres ulcères infec- tieux dits « tropicaux » : ulcère tropical phagédénique, tuberculose, mycétomes, leishmaniose, chromomycose... Le diagnostic et le traitement précoces sont nécessaires pour limiter la destruction tissulaire et les séquelles. Le traitement de référence associe rifampicine et streptomycine, pour une durée totale de 8 semaines quel que soit le stade clinique, la guérison complète des ulcères étant bien plus longue (4 à 6 mois). Des molécules alternatives à la streptomycine, administrables par voie orale et mieux tolérées, peuvent être utilisées en association à la rifampicine(6) : clarithromycine moxifloxacine. Un débridement chirurgical des zones nécrotiques est souvent associé à l’antibiothérapie, et des greffes cutanées peuvent être réalisées pour accélérer la cicatrisation. La physiothérapie est importante pour limiter les séquelles fonctionnelles à type de contractures. Autres mycobactéries atypiques Après M. marinum, les espèces les plus fréquemment impliquées dans les infections cutanées sont les mycobactéries à croissance rapide (M. fortuitum, chelonae, abscessus). L’inoculation peut être provoquée lors d’un geste à visée esthétique (piercing, tatouage, pédicurie, épilation) ou médicale (acupuncture, mésothérapie). Des infections de site opératoire sont classiques, ainsi que des infections de matériel (prothèse, cathéter veineux central, cathéter de dialyse péritonéale). Les lésions cutanées peuvent prendre des aspects cliniques divers : papules, nodules (photo 4), abcès, ulcérations, dermo-hypodermite. Ces lésions peuvent être uniques ou multiples, selon le mode d’inoculation, l’immunité de l’hôte et l’espèce en cause. M. fortuitum donne plus fréquemment lieu à une lésion unique, M. chelonae et abscessus à des lésions multiples. Une extension aux structures sous-jacentes est là aussi possible : ténosynovite, myosite, ostéomyélite, arthrite. En l’absence d’études randomisées contrôlées, le traitement n’est pas standardisé et repose sur des avis d’experts, les dernières recommandations américaines datant de 2007(7). L’antibiothérapie doit être prolongée, en général pendant 4 à 6 mois. Elle peut être associée à un traitement chirurgical, notamment en cas d’infection de matériel. Pour M. abscessus, le traitement repose sur la clarithromycine, en association à un antibiotique injectable (amikacine, céfoxitine, imipénem). L’existence de sous-espèces porteuses d’un gène de résistance in vitro aux macrolides doit toutefois être connue(8) . Pour M. chelonae, la clarithromycine est quasi toujours efficace et peut même être utilisée en monothérapie en cas d’atteinte peu sévère cliniquement. Les autres antibiotiques efficaces sont la tobramycine, le linézolide, l’imipénem, l’amikacine, la clofazimine. M fortuitum, enfin, est habituellement résistant à la clarithromycine ; le traitement repose sur les fluoroquinolones et les sulfamides(9).  

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