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Dermatologie générale

Publié le 21 mar 2019Lecture 9 min

Les prurigos de l’enfant, conduite à tenir

Martin PERROMAT, Franck BORALEVI, Polyclinique Saint-Jean-de-Luz, hôpital des Enfants, Bordeaux et Claire MARIDET, Centre Hospitalier Côte de Lumière, Les Sables d'Olonne

C’est une pathologie fréquente (2 à 5 % des consultations de dermato-pédiatrie), surtout dans la moitié sud de la France et les Dom-Tom. Elle touche plutôt l’enfant atopique (70 % des prurigos). L’âge de début varie de 1 à 6 ans. La responsabilité d’arthropodes (acariens ou insectes) est le plus souvent évoquée. Ces prurigos sont soit de type aigu, non allergiques, soit chroniques sur plusieurs mois par allergie de type retardé. Ils peuvent altérer gravement la qualité de vie, surtout dans la forme perannuelle aux acariens (« prurigo atopique »). Une immunothérapie spécifique est alors possible.

Diagnostic d'un prurigo Définition clinique La lésion cutanée élémentaire est de petite taille (5 à 10 mm), très prurigineuse, surtout la nuit. Elle peut être papuleuse, urticarienne, et évoluer vers un nodule infiltré de plus grande taille ; ou bien au sein de la papule survient une vésicule, très prurigineuse, rapidement écorchée par le grattage. Il se forme une croûte qui disparaît en 4 à 5 jours, ou elle s’impétiginise. Cette vésicule peut aussi parfois évoluer vers une bulle, ou se grouper pour ressembler à un eczéma nummulaire. Diagnostic positif Cette lésion élémentaire n’est pas toujours caractéristique d’un parasite donné (figure 1). C’est donc, surtout, par leur topographie, l’épidémiologie et la chronologie des poussées que l’on peut identifier le responsable. L’interrogatoire notera donc l’influence des saisons, le contact avec des animaux, des végétaux, des éléments du mobilier ou de la literie, etc. La topographie des lésions peut être unique, groupée en bouquet ou en chapelet, localisée soit dans les zones découvertes, aux ceintures ou aux extrémités (voir infra). Dans les formes allergiques, qui relèvent plutôt d’une hypersensibilité retardée, les tests cutanés, lus à J0, J2 et J4, confirment les soupçons. Figure 1. Lésion élémentaire non spécifique. Diagnostic différentiel Une gale présente des lésions élémentaires semblables, mais la dermoscopie détecte le sarcopte ; dans notre expérience, elle peut évoluer vers un prurigo chronique perannuel (cf. infra). Un prurigo surinfecté peut mimer un impétigo, mais ce dernier n’est pas prurigineux. Dans une varicelle, les vésicules sont ombiliquées puis croûteuses, d’âge différent. Le contexte est fébrile. Les papules d’une urticaire, d’apparition fugace, n’évoluent pas vers des vésicules. Dans le syndrome de GianottiCrosti postviral, les papulovésicules réparties symétriquement sur le siège les membres et le visage, peuvent imiter un prurigo étendu, mais le prurit est modéré ou absent. Une dermatose à IgA linéaire (figure 2) peut parfaitement imiter un prurigo chronique, mais la disposition en rosette et l’histologie avec immunofluorescence sont caractéristiques. Dans le pityriasis lichénoïde (figure 3), l’éruption, étendue, est faite de papules rosées entourées d’un halo rouge, évoluant vers des vésicules puis des croûtes noirâtres, peu ou pas prurigineuses. Figure 2. Dermatite à IgA linéaire. Figure 3. Pityriasis lichénoïde. Évolution (figure 4) Soit le prurigo est aigu, occasionnel : sous l’effet de différents facteurs (traumatismes de la piqûre, enzymes injectées par l’insecte, dermographisme du patient, etc.) se produit une papule rouge infiltrée, dans un délai variant de quelques minutes à plusieurs heures, spontanément résolutive. Soit le prurigo est chronique, de nature allergique, évoluant sur plusieurs jours ou plusieurs mois après une phase immédiate passée souvent inaperçue. La durée d’évolution est soit perannuelle ou saisonnière selon le parasite en cause. Ce sont ces modalités évolutives que nous allons détailler. Figure 4. Différences entre prurigo aigu et chronique. Les prurigos aigus occasionnels (figure 5) Soit la réaction est immédiate, et on a vu la bête (c’est rare). C’est une papule urticarienne prurigineuse centrée par un point plus ou moins purpurique. Son intensité varie avec le degré d’allergie immédiate du patient, un choc anaphylactique étant possible, ou avec la réactivité cutanée du patient (dermographisme, urticaire chronique, mastocytose). Les insectes incriminés sont les guêpes ou abeilles ou encore certaines punaises. Le plus souvent la réaction est tardive, on n’a pas vu l’insecte. La papule est ferme, centrée par une vésicule, une bulle ou un petit hématome. Elle évolue parfois vers un nodule infiltré. Si l’insecte n’est pas identifié et éliminé, ce type de prurigo récidive. Examinons le mode d’agression de la peau de chacun de ces insectes. Figure 5. Arbre simplifié des arthropodes. • Par ponction capillaire directe – Le moustique perce la peau grâce à son stylet, il injecte des enzymes salivaires et ponctionne le sang de sa victime. Sur la peau de l’enfant, cela donne de petites papules fermes de petit diamètre (figure 6), prurigineuses, touchant les parties découvertes (visage, extrémités des membres). Ces papules peuvent évoluer vers une vésicule, une bulle, un œdème (si la piqûre est à proximité des orbites), surtout si l’enfant devient allergique (voir plus loin). – La punaise et la puce ont un rostre piqueur et suceur de sang. Quelques heures après, apparaissent des papules prurigineuses soit groupées en grappe, pouvant mimer un zona au début, soit en chapelet linéaire sous les vêtements à proximité des ceintures, tableau donc très évocateur (figures 7 et 8). Figure 6. Prurigo au moustique chez le petit enfant. Figure 7. Prurigo à la puce. Figure 8. Prurigo à la punaise. • Par dilacération – Le chef de file, c’est le taon : sa pièce buccale dilacère la peau et suce un mélange de sang et de tissu broyé. Il s’attaque, surtout l’été, aux animaux ; mais la morsure chez l’homme, très douloureuse, donne une réaction inflammatoire parfois bulleuse (figure 9). – La simulie, petite mouche noire de 1 à 5 mm, mord les zones de peau fine. Ses morsures sont douloureuses suivies d’une inflammation prurigineuse. – Autres diptères responsables de réactions locales : les culicoïdes, les yen yen, trouble-fêtes de l’heure du punch aux Antilles, les phlébotomes (aussi responsables de la transmission de la leishmaniose), présents dans le sud de la France. Figure 9. Piqûre de taon. • Par fixation puis liquéfaction des tissus – Les tiques, arachnides voisines des acariens, parasites hématophages des animaux et de l’homme, sont le plus souvent dans nos contrées des Ixodes ou « tiques dures » qui se fixent à la peau par leurs chélicères ; elles dilacèrent les tissus, injectent une salive (vectrice potentielle de borrelia) (figure 10). Soit la tique passe inaperçue, confondue parfois avec une croûte ou même un nævus, soit elle provoque une papule prurigineuse tardive et durable. Figure 10. Tique. • Les acariens – Les acariens domestiques (D. pteronyssimus ou farinae) ne piquent pas. Mais par contact, ils peuvent provoquer une urticaire et réveiller un prurigo préexistant. – Les aoûtats : c’est la larve et non l’adulte qui, en fin d’été, se niche, depuis les végétaux, dans les zones de peau chaudes et humides (plis, zones de striction). Comme la tique, elle se fixe solidement et injecte sa salive. La réaction, tardive le plus souvent, est une papulovésicule très prurigineuse, durable et pénible (figure 11). – Les cheyletiellas sont présents dans les poils des chats, chiens et lapins. Dans les zones de contact intimes de la fourrure infestée avec la peau humaine se produisent des maculopapules urticariennes, rarement bulleuses. – Les pyemotes (ventricosus) parasitent les vrillettes des vieux meubles. Elles donnent des papulovésicules en « comète » ou en virgules, durables et rebelles au traitement local (figure 12). – La gale : le prurit postscabieux est connu mais nous avons observé plusieurs cas de prurigos chroniques aux acariens (voir plus loin) déclenchés par une gale pourtant guérie. Figure 11. Prurigo aux aoûtats. Figure 12. Prurigo aux pyémotes en comète. • L’araignée du matin : chagrin ou mythe ? Ce sont des insectes très redoutés mais la « terrible » tégénaire noire de nos maisons est inoffensive (figure 13). Plus dangereuses sont les loxoscèles américaines (source de nécrose cutanée), certaines mygales, par contact ou écrasement sur la peau. Citons également la tarentule du sud de la France. Figure 13. La tégénaire de nos maisons. • Autres animaux, autres boutons Citons la papillonnite de Guyane, la dermite aux chenilles processionnaires, le prurigo très prurigineux au Scleroderma ventricosus, « mini-guêpe » noire de 2-3 mm, parasite des vrillettes du bois, au contact de la peau par le linge plié dans de vieilles armoires. • Tous ces arthropodes sont responsables de réactions immédiates parfois violentes IgE-dépendantes. • Ces prurigos aigus peuvent se répéter par une exposition persistante au parasite non éradiqué. • Ils peuvent passer à la chronicité par allergie retardée (tableau 1). Les prurigos chroniques allergiques • Aspects cliniques Ces prurigos que nous avons particulièrement étudiés ont une évolution longue sur plusieurs semaines ou plusieurs mois. L’âge de début : entre 3 et 5 ans avec une prédominance masculine. Le terrain atopique est fréquent (66 %). La lésion élémentaire est semblable à celle du prurit aigu, souvent non spécifique. Le diagnostic du coupable se fait par la convergence des données topographiques, chronologiques (saisons), les circonstances d’apparition et les tests cutanés. • Formes cliniques (tableau 2) – Prurigo estival chronique C’est le plus fréquent. L’aspect clinique est comparable au prurigo aigu, mais les lésions persistent plus longtemps (nodules, bulles, excoriations, etc.) (figure 14). Elles récidivent chaque été parfois sur plusieurs années. La topographie des zones découvertes est typique. La positivité tardive du test au moustique par prick recouvert d’un film PU confirme le diagnostic. Il existe aussi des prurigos estivaux chroniques aux aoûtats. Figure 14. Prurigo allergique au moustique, bulleux. – Prurigo non estival chronique : il est ubiquitaire et se dispose en grappes ou en chapelets de papulovésicules persistantes (figure 15). Il serait lié à une hypersensibilité retardée aux piqûres de puces (chat, chien) ou de punaises. Mais ces extraits étant indisponibles, une preuve indirecte est apportée par la très nette fréquence de la positivité tardive de la blatte (44 %, cette dernière présentant une parenté antigénique maintenant prouvée). Figure 15. Prurigo chronique à la puce. – Prurigo perannuel : il est en majorité (80 %) un prurigo perannuel aux acariens, prurigo atopique (PA), nouvelle entité clinique que nous avons décrite comme un équivalent de dermatite atopique sévère (encadré) (figures 16 à 19). Figure 16. Prurigo atopique sévère. Figure 17. Prurigo atopique (même patient). Figure 18. Prurigo atopique évoluant vers un eczéma nummulaire. Figure 19. Prurigo atopique postgale. Comment tester un prurigo en 2018 Dans deux études précédentes, le manque de fiabilité des pricks tests lus à 30 minutes, la nette positivité des tests à 48 et 96 h plus pertinente, a confirmé le caractère retardé de l’allergie. Nous avons longtemps utilisé les extraits en vaseline (acariens domestiques et de stockage, blattes, moustiques, etc.) sous finn-chambers qui donnaient des positivités pertinentes surtout pour les acariens. Mais l’opacité du film papier empêchait toute lecture après la pose. Ces extraits en vaseline n’étant plus disponibles nous utilisons la technique « prick et patch » (figure 20). La goutte d’allergène, une fois « prickée », est recouverte d’un film transparent en polyuréthane, ce qui permet un suivi optique et photographique de la réaction sur 96 h, par le patient et par le médecin. Le dosage des IgE spécifiques n’est pas indispensable. L’exploration allergologique est inutile dans les prurigos aigus occasionnels. Figure 20. « Prick et patch » aux acariens et insectes lu à 48 h. Traitement du prurigo • Pour tous les prurigos, il faut lutter contre le prurit. Les antiH1, souvent délaissés dans la littérature, nous paraissent indispensables dans notre expérience. Ils limitent les conséquences du prurit (insomnie, excoriations). Un dermocorticoïde de classe forte (III à IV) peut être appliqué après un antiseptique 2 fois par jour en attaque puis 1 fois par jour jusqu’à régression des lésions, relayé ensuite par une crème cicatrisante et apaisante type dalibour. • Pour le prurigo chronique rebelle – La corticothérapie locale pourra être alternée puis remplacée par du tacrolimus topique, ou même les dérivés de la vitamine D. Une antibiothérapie per os sera nécessaire dans les formes impétiginisées. – Des traitements plus lourds pourront être envisagés chez le grand enfant ou l’adulte (puvathérapie, méthotrexate, ciclosporine, etc.), mais nous n’avons pas l’expérience. – L’immunothérapie spécifique (ou désensibilisation) par voie orale, est plus utilisée en médecine vétérinaire (DA et prurigo du chien). Pourtant, elle peut être efficace chez des patients recoupant les preuves de la responsabilité des acariens (lésions réactivées par l’inhalation ou le contact de poussière, un tableau clinique et une topographie évocatrice, des tests positifs à 48 et 96 h à l’allergène). Dans notre série nous avons obtenu : – dans le groupe « moustiques », 80 % de bons à très bons résultats mais les extraits ne sont plus actuellement disponibles ; – dans le groupe « acariens » (prurigo atopique perannuel), 60 % de bons à très bons résultats, les doses de départ devant être très faibles (0,01 IR). Prévention du prurigo • Pour le déparasitage domestique des acariens et apparentés, des moyens simples tout d’abord existent : froid sec, éviction des animaux dans les chambres, des meubles en textile et nids à acariens (moquettes, papiers, litière d’animaux, etc.), lutte contre l’humidité et surtout le bicarbonate de soude, lui aussi actif sur les acariens. Quant aux moyens chimiques, les acaricides contenant des pyréthrines ou du butoxyde de pipéronyl peuvent être utilisés pour la lutte. • Pour la lutte antimoustiques, bien sûr les moustiquaires et les vêtements amples au besoin imprégnés de répulsif (5/5, insect écran). Éviter l’eau stagnante. Les raquettes antimoustiques et appareils à UV n’ont pas toujours convaincu. • Pour la lutte antiblattes + punaises, on utilise le même type d’insecticide et, pourquoi pas, le bicarbonate (encadré). Il faut savoir anticiper : par exemple, avant un pique-nique près d’un étang, être sous antiH1 et appliquer des répulsifs.

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