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Acné

Publié le 09 jan 2017Lecture 11 min

L’acné sur peau noire - Une pathologie banale… bien souvent déroutante

C. FITOUSSI, Paris

Si l’acné est comme en dermatologie générale le motif le plus courant de consultation des patients à peau noire(1), leur demande est essentiellement tournée vers le traitement de sa conséquence la plus visible, les lésions hyperpigmentées(2), toujours désignées par le terme « taches » – qui sera donc utilisé ici par simplicité – souvent considérées à tort comme des cicatrices résiduelles alors que leur évolution est transitoire, témoin d’une acné encore active, contrairement aux cicatrices déprimées.

Particularités cliniques Si les sujets assez clairs (les « chabins ») peuvent présenter des formes classiques papulopustuleuses plus ou moins rétentionnelles (figure 1), deux particularités séméiologiques notables, l’absence d’érythème et l’évolution rapidement pigmentogène (parfois d’emblée), rendent la présentation de l’acné souvent atypique : les papulessont hyperpigmentées ou plus palpables que visibles, les pustules sont fugaces, souvent excoriées, tandis que les comédons et microkystes sont peu visibles. Ainsi, l’aspect le plus courant au visage, sur un fond de séborrhée surtout médiane, est un ensemble de petites taches plus ou moins foncées, dont certaines sont encore un peu papuleuses, donnant un tableau souvent décrit avec justesse par le patient comme « un pain aux raisins » (figure 2), et, dans la moitié des cas, sur le haut du dos, les épaules et le décolleté, un semis de petites taches sur peau sèche (figure 3).     Ces lésions pigmentées liées à une mélanogenèse inflam- matoire persistent quelques semaines, plus longtemps si les lésions ont été manipulées, et finissent par disparaître spontanément après plusieurs semaines d’évolution ; mais en l’absence de traitement, de nouvelles lésions d’acné se succèdent et cette évolution pigmentogène donne une fausse impression de permanence ; or, elles constituent un élément précieux de surveillance puisqu’elles sont un bon reflet de l’évolution. À noter le risque rare mais très péna lisant d’évolution chéloïdienne (même en l’absence de manipulation) dans les zones malaires, scapulaires, et présternale. Cette complication est très difficile à prendre en charge car les lésions sont souvent multiples et peu sensibles aux traitements (figure 4). Enfin, le patient se plaint dans un quart des cas d’un prurit de ses lésions (parfois lié à des traitements mal tolérés), ce qui peut égarer le diagnostic, d’autant que la poussée est parfois présentée comme une allergie. Ce prurit va aggraver le tableau en ajoutant des lésions de grattage, elles-mêmes parfois responsables de surinfection.     Particularités évolutives   Si la majorité des cas est postpubertaire, il n’est pas rare d’observer des cas en dehors de l’adolescence, ce qui rend l’acné, de fait, plus fréquente. Ainsi, on peut observer : • des formes prépubertaires parfois sévères (figure 5), à explorer pour diagnostiquer éventuellement une puberté précoce(4) ; • des débuts à l’âge adulte, souvent à l’arrivée en métropole, probablement liés à la réduction de l’ensoleillement par le biais de la diminution d’épaisseur de la couche cornée telle qu’on l’observe après l’été sur toute peau bronzée ; • des évolutions prolongées à la maturité surtout chez la femme (figure 6), très décourageantes et cause d’une perte de confiance dans le corps médical, contribuant à l’essor de gammes cosmétiques et d’instituts se disputant cette clientèle prête à de grands sacrifices financiers, même en situation modeste. Il faut alors évoquer plusieurs causes, parfois intriquées : – Un climat hyperandrogénique chez la femme, comme en témoigne la présence fréquente de duvet au menton (figure 7) et d’une implantation à limite supérieure losangique de la pilosité pubienne parfois péri- et sus-ombilicale (figure 7 bis). Par ailleurs, depuis l’avènement des dispositifs contraceptifs progestatifs, stérilet hormonal et implant, on observe une recrudescence des rechutes d’acné à la trentaine, après deux ou trois grossesses ; ces contraceptions sont souvent préconisées à bon escient chez les femmes noires compte tenu de la plus forte fréquence des fibromes utérins(5) et leur remplacement est toujours problématique.     – Le rôle de l’alimentation, souvent évoqué par les patients est encore controversé ; pourtant, le rôle du sucre a été récemment bien établi(6), alors que les produits laitiers destinés à l’outremer sont volontairement plus sucrés ; notons, par ailleurs, la fréquente constatation d’une nette aggravation après des excès d’épices. – Certaines habitudes cosmétiques : application de crèmes comédogènes, fonds de teint épais destinés à camoufler les taches (figure 8), laits de toilette non rincés, vaselines capillaires. – Un cas très particulier : l’acné cortisonique liée à l’utilisation des corticoïdes locaux à visée dépigmentante(7). Rappelons qu’une grande partie (difficilement évaluable car pratique « cachée ») des femmes (et certains hommes) africaines utilisent quotidiennement des dermocorticoïdes de classe I et II dans un but de dépigmentation volontaire. L’aspect caractéristique est celui d’une peau claire, plutôt rose, parfois nettement atrophique avec couperose, parsemée de pustules, furoncles et parfois nodules kystiques auxquels s’ajoutent des taches très foncées résultant de l’évolution des lésions (figure 9). L’utilisation de dermocorticoïdes est rarement reconnue mais rappelons les deux signes caractéristiques permettant d’en établir la certitude : – l’hyperchromie nette du dos des articulations des doigts et des orteils ; – les larges vergetures de la face interne des bras et des cuisses. La prise en charge est délicate, d’autant qu’une partie de ces femmes est en situation irrégulière et sans couverture sociale. Elle nécessite d’abord une mise en confiance, sans jugement, mais en condamnant fermement cette pratique et en expliquant ses risques. Le traitement repose sur l’antibiothérapie générale prolongée et sur l’arrêt des dermocorticoïdes, indispensable mais qui est dans les faits difficile à obtenir, car cette pratique a une dimension addictive ; l’arrêt ne doit donc pas être brutal, sous peine du déclenchement de phénomènes inflammatoires et d’un rebond pigmentaire. Il est utile de le programmer sur quelques semaines, soit en espaçant progressivement les applications, soit en baissant la classe des produits utilisés. Malheureusement, après ces mois de « réparation », cette patiente, que vous avez soutenue et guérie, revient souvent en vous demandant si vous n’avez pas quand même « une petite crème pour retrouver le teint clair », demande à laquelle une réponse adéquate peut être une crème bien hydratante qui améliorera au moins l’aspect terne et une photoprotection dès les beaux jours.     Diagnostic différentiel   Alors qu’il se pose assez peu en dermatologie classique, il faut l’évoquer ici en raison des nombreuses atypies déjà décrites : intensité des lésions pigmentées contrastant avec la rareté des lésions élémentaires, formes pigmentaires pures localisées au dos ou au thorax sans atteinte ni hyperséborrhée du visage, absence d’antécédents à l’adolescence, mise en avant de signes fonctionnels inhabituels (prurit). • Devant un tableau chronique de petites taches disséminées, d’âge différent, avec peu ou pas de lésions élémentaires, on peut hésiter avec un prurigo, un eczéma impétiginisé, une folliculite chronique, une toxidermie, mais l’anamnèse et la topographie permettent en général aisément de faire le diagnostic. • Quant aux formes avec petites papules, surtout péri orificielles, elles peuvent faire évoquer, surtout si la peau n’est pas de type acnéique : une sarcoïdose, l’épiloïa, ou des hidradénomes éruptifs. • À noter la fréquence des kystes à duvet (figure 10), pouvant faire évoquer par erreur une persistance d’acné.   Particularités thérapeutiques   La question des taches   C’est dans l’acné que se pose de la façon la plus déroutante le problème de la divergence d’objectif entre le patient qui vient en toute simplicité demander une crème « vraiment efficace pour effacer les taches » ou plus difficile encore « unifier le teint » (après avoir bien précisé que les médecins précédents avaient « traité les boutons et non les taches »!), et le médecin qui sait qu’il est nécessaire de contrôler le processus inflammatoire responsable. Il faut donc toujours convaincre de la nécessité du traitement de l’acné, qui à lui seul en traitant l’affection, agira aussi sur ses séquelles pigmentées. Mais bien souvent, malgré des explications claires, la consultation se termine par la même question : « et vous ne me donnez rien pour les taches ? » objectivant que ce malentendu fondamental dans la perception du problème n’est pas levé. Dans ce cas, il semble que la meilleure attitude est de préciser que les topiques antiacné ont une action dépigmentante propre directe et, si le scepticisme persiste, d’ajouter au traitement une crème cosmétique à action dépigmentante modérée à l’exclusion des traitements dépigmentants majeurs. On évitera ainsi au moins l’utilisation incontrôlée de produits dépigmentants moins anodins, avec toutefois le risque que l’observance s’y limite. Une autre difficulté provient de la réactivité de la peau noire qui doit rendre très prudent quant à l’emploi des traitements locaux : l’acide rétinoïque surtout (et l’adapalène), mais également le peroxyde de benzoyle, les AHA et même les lotions antibiotiques, surtout s’ils sont appliqués après toilette au savon, peuvent entraîner des dermites irritatives ou de contact (figure 11), sources d’hyperpigmentation surajoutée. Il faut donc les débuter progressivement avec des concentrations faibles, des applications d’abord espacées, et des petites doses à bien préciser (« grain de riz », « pois » etc.), car la tendance générale de ces patients est d’appliquer d’importantes quantités de produits et de frotter. La concentration et la fréquence d’application seront ensuite adaptées en fonction de l’efficacité et de la tolérance. Il est indispensable de bien prévenir les patients de cette éventualité afin d’éviter la poursuite d’un traitement irritant avec l’idée que cette irritation est signe d’efficacité ou au contraire l’abandon de la totalité du traitement. Ces réactions sont souvent le motif d’un appel ou d’une consultation en urgence : si elles sont intenses, il peut être utile de prescrire une courte corticothérapie locale en suspendant le traitement topique, puis en le reprenant progressivement pour identifier le responsable. Cette réactivité cutanée (dont les patients nous préviennent en général en apportant la liste des traitements mal tolérés antérieurement) nous prive donc souvent de l’efficacité de certains traitements topiques, et conduit à l’utilisation pré férentielle des traitements systémiques, qui présentent également des particularités notables : – l’antibiothérapie générale doit tenir compte des données sur l’hypersensibilité à la minocycline qui touche essentiellement les Noirs(8). Il faut donc proscrire ce médicament, même si des prises antérieures ont été bien tolérées. La doxy cycline est habituellement bien tolérée, la phototoxicité est peu observée (photoprotection naturelle de la peau noire ?) ; toutefois, mieux vaut en prévenir les patients en cas de retours en zone intertropicale (avec une peau éclaircie en Europe), mais la large utilisation dans la chimioprophylaxie du paludisme résistant(6) montre que ce risque est modéré, surtout avec un prise au dîner ; – chez la femme, la constatation d’une hyperandrogénie clinique, associant à l’acné un hirsutisme (figures 7 et 7 bis) et/ou une alopécie, surtout en cas de dysménorrhée ou notion de kystes ovariens, doit faire pratiquer un bilan hormonal à la recherche d’une anomalie biologique : delta-4-androstènedione (reflet de l’activité ovarienne), SDHA (reflet de l’activité surrénalienne), testostérone, 17-OH-progestérone, prolactine, androstènediol urinaire des 24 h (reflet de l’activité de la 5 α-réductase) et, en cas de signe d’appel, une échographie abdomino-pelvienne ou un test au synacthène pour préciser le diagnostic : anomalie fonctionnelle surrénalienne (bloc enzymatique) ou syndrome des ovaires polykystiques. Le plus souvent, le bilan biologique est dans les limites de la normale(7), mais un traitement hormonal antiandrogène peut être alors préconisé selon les modalités habituelles : acétate de cyprotérone associé à un estrogène naturel. Si la patiente est déjà sous contraception estroprogestative, proposer un changement en accord avec son gynécologue. On peut d’ailleurs s’interroger sur le caractère pathologique, de cette hyperandrogénie clinique, si fréquente chez les femmes noires qu’elle pourrait presque apparaître comme constitutionnelle : la seule étude (aux États-Unis) comparant les données hormonales(8) n’a pas montré de différence significative quant aux taux hormonaux de base.   L’isotrétinoïne   Elle est donc souvent nécessaire en raison de la mauvaise tolérance ou de l’inefficacité des autres traitements et surtout du caractère affichant et de la sévérité du retentissement de l’affection. Elle est soumise aux règles habituelles, sans crainte excessive toutefois, car contrairement aux idées reçues, les patients se plient volontiers aux règles des traitements si elles sont bien expliquées. Afin d’éviter les aggravations de début de traitement, il est important d’observer les règles usuelles, surtout de ne pas le débuter en pleine poussée et le faire précéder d’une antibiothérapie générale et si besoin d’un nettoyage dermatologique. La dose cumulative de l’isotrétinoïne sera, comme pour les autres patients, comprise entre 100 et 150 mg/kg afin de limiter au maximum les récurrences ; mais il faut tenir compte des réponses particulières et l’on peut être amené à rester à de très faibles posologies en cas d’effets secondaires importants, ou au contraire, en cas de relative résistance avec peu de signes d’imprégnation, à maintenir la dose de 1 mg/kg.   Tolérance   Le dessèchement cutanéomuqueux est particulièrement intense sur ces peaux présentant souvent une xérose constitutionnelle (aggravée par la désa daptation climatique) et doit donc être prévenu d’emblée par l’utilisation de sticks ou baumes pour les lèvres. Par ailleurs, les complications ostéo-articulaires, dont l’intensité est dose-dépendante, sont fréquentes, probablement en raison d’une activité physique souvent importante ou professionnelle ; il faut d’ailleurs interroger les patients sur d’éventuelles compétitions, pour lesquelles il semble prudent d’interrompre le traitement quelques jours avant. Il est aussi utile de s’informer des projets de séjours en zone ensoleillée qui n’ont pas forcément lieu en été ; en effet, la mauvaise tolérance du traitement au soleil et à la chaleur gâcherait des vacances souvent attendues depuis longtemps (congés bonifiés), imposerait l’interruption du traitement pendant plusieurs semaines, rendant les résultats aléatoires.   Résultats   Ils sont d’autant plus spectaculaires qu’on constate, après 4 à 6 semaines, la guérison des lésions d’acné proprement dites et la disparition progressive des taches (figures 11 et 11 bis). De façon plus générale, cette régression des cicatrices pigmentées est le témoin de l’évolution de l’affection et de l’efficacité des traitements ; ainsi, on peut considérer qu’une acné est guérie quand les taches ont disparu et il est rare d’avoir besoin d’un traitement complémentaire. Dans les rares cas de cicatrices pigmentées persistantes après guérison effective et stable de l’acné, un traitement topique dépigmentant classique appliqué très localement et de courte durée peut être préconisé, voire un peeling à l’acide glycolique. En cas de cicatrices déprimées (heureusement rares, sauf dans notre expérience et chez les sujets ayant une ascendance d’Asie du sud : « les coolies »), se pose le difficile problème de la dermabrasion ou des peelings moyens et profonds sur peaux noires. Quant aux lasers, que ce soit à visée dépigmentante ou en laserbrasion, ils ont peu de place dans cette indication, compte tenu du caractère imprévisible des suites.     Au total   L’acné sur peau noire présente, comme toute la dermatologie sur ces peaux, des particularités cliniques et thérapeutiques parfois déroutantes pour lesquelles une certaine expérience est nécessaire mais c’est avant tout sur l’abord empathique et impliqué de ces patients que repose le point important de la prise en charge : il faudra comprendre l’importance du retentissement des taches, rechercher des facteurs étiologiques inhabituels et les accompagner au cours de traitements parfois mal tolérés ; en retour, pour le praticien : la satisfaction au vu de résultats parfois spectaculaires.   Pour en savoir plus • Ophelia E. Dadzie, Antoine Petit, Andrew F. Alexis. Ethnic Dermatology: Principles and Practice. Ed. Wiley-Blackwell 2013 ; 318 p.

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