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Thérapeutique

Publié le 04 jan 2015Lecture 9 min

Traitement des kératoses actiniques : quelle stratégie ?

M.-L. BARBET, Paris
Très fréquentes, les kératoses actiniques posent le problème de leur possible progression vers un carcinome épidermoïde, évolution dont les critères cliniques de risque ne sont pas parfaitement établis. Leur élimination est donc requise. De nombreux traitements, essentiellement topiques, sont disponibles, classiques ou plus récents, ces derniers permettant de mieux répondre à la nécessité, récemment soulignée, de traiter les lésions cliniques et subcliniques, c’est-à-dire ce qu’il est devenu habituel de désigner sous le terme de « champ de cancérisation ». Comment choisir et que choisir parmi toutes les approches possibles ?
Les kératoses actiniques (KA) se présentent sous la forme de lésions érythémateuses, squameuses, croûteuses touchant les zones photo-exposées. Divers facteurs ont été identifiés comme pouvant favoriser une évolution vers un carcinome épidermoïde invasif : localisation sur des zones à risque (lèvres, nez, oreilles, paupières) sujet âgé, sexe masculin, immunosuppression, antécédent de cancer cutané non mélanique, phototype I/II, exposition persistante aux ultraviolets. Cliniquement, l’induration, l’inflammation, un diamètre supérieur à 1 cm, un saignotement, une ulcération indiqueraient un risque plus élevé de transformation maligne. Cette éventuelle « gravité » des lésions, leur localisation mais aussi l’âge du patient, ses comorbidités peuvent guider le choix de la thérapeutique tout autant que les habitudes du praticien. Encore faut-il préciser l’efficacité des options disponibles. Le choix du traitement dépend aussi du coût et des habitudes du praticien !   Les agents topiques Les topiques actuellement disponibles pour traiter les kératoses actiniques sont le 5 fluoro-uracile, la crème à l’imiquimod 5 %, le gel de diclofénac à 3 %, la photothérapie dynamique et le plus récent qui est commercialisé en France depuis cette année : le mébutate d’ingénol.   Le 5-fluoro-uracile (Efudix®) Cet antagoniste de la pyrimidine est utilisé pour son action cytotoxique. En Europe, on dispose de la seule crème à 5 % appliquée 2 fois par jour pendant 2 à 4 semaines. Ceci conduit à la disparition de 96 % des KA dans les études contrôlées, mais les résultats sont moins favorables en pratique clinique (50 à 70 %) en raison d’une observance difficile amenant à réduire la fréquence des applications. Le traitement a en effet de nombreux effets secondaires : érythème, érosions, desquamations pendant la première semaine, sensation de brûlures et/ou de prurit. Une cicatrice et une décoloration peuvent être rarement observées au décours du traitement. L’utilisation en association de corticoïdes topiques peut diminuer la sévérité de l’inflammation, mais au prix d’une diminution possible de l’efficacité. D’autres présentations existent en dehors de nos frontières : crème à 0,5 %, à 1 %, solution à 5 %.   L’imiquimod (Aldara®) Dérivé de l’imidazoquinoline, il active les monocytes et les macrophages par le biais de leur Toll Like Receptors, conduisant à une augmentation de la présentation des antigènes aux cellules T et la synthèse et la libération de cytokines pro-inflammatoires. Dans les essais cliniques contrôlés, la crème à l’imiquimod 5 % appliquée trois fois par semaine pendant 4 semaines entraîne un taux de disparition des KA de 85 %, mais là encore, les résultats sont moins bons en pratique courante. Bien que l’imiquimod soit plutôt mieux toléré que le 5-FU, il entraîne néanmoins aussi douleurs, érythème, brûlure, érosion et ulcération, mais décoloration et cicatrice sont plus rares. Des symptômes grippaux, fatigue, angio-œdème ont été occasionnellement rapportés avec l’imiquimod. Des formules à 2,5 et 3,75 % existent aux États-Unis. L’efficacité est moindre qu’avec la crème à 5 %, mais la tolérance est meilleure. L’application quotidienne facilite l’observance.   Le diclofénac (Solaraze®) Le diclofénac 3 %, formulé dans l’acide hyaluronique 2,5 % sous forme de gel, inhibe les enzymes COX 1 et COX 2. Son action antitumorale est supposée reposer sur l’inhibition des métabolites de l’acide arachidonique qui joue un rôle dans la croissance des tumeurs épithéliales. Dans une étude où le gel était appliqué deux fois par jour pendant 60 à 90 jours, le taux de guérison complète a été de 58 %, 30 jours après l’arrêt du traitement. L’association à la cryothérapie augmente le taux d’évolution favorable (64 % contre 32 % avec la cryothérapie seule. La tolérance est meilleure que pour le 5-FU et l’imiquimod, cependant, un léger érythème, un prurit, une xérose peuvent être observés de même qu’une sensibilisation. Le diclofénac doit être évité chez les patients sensibilisés à l’aspirine en raison d’une possible réaction croisée.   Le mébutate d’ingénol (Picato®) Dérivé d’une plante (Euphorbia peplus), le mébutate d’ingénol est le plus récent des traitements proposés pour les KA. Il agirait en entraînant une rupture des membranes mitochondriales provoquant une cytotoxicité, l’activation de cytokines pro-inflammatoires, le recrutement de neutrophiles et la production d’anticorps spécifiques de la tumeur. Il est disponible en France depuis février 2014 sous le nom de Picato® avec deux formulations à 0,05 % pour le corps et 0,015 % pour le visage. Il doit être appliqué une fois par jour pendant deux jours consécutifs sur les lésions du corps et trois jours consécutifs sur les lésions de la face et du cuir chevelu. Le taux de résolution complète 57 jours après traitement est de 47 % (p < 0,001) pour le visage et le cuir chevelu avec une réduction médiane du nombre de KA de 87 %. La métaanalyse de 4 essais aboutit à des résultats identiques : 42,2 % de guérison complète sur le visage et cuir chevelu et 34,1 % sur le corps (vs placebo). Les effets secondaires sont à type d’érythème, de desquamation maximaux entre 3 et 8 jours résolutifs en 2 à 4 semaines. L’observance est évidemment meilleure qu’avec les autres topiques, mais des études comparatives sont encore nécessaires.   Photothérapie dynamique Elle consiste en l’application, après curetage des lésions les plus épaisses, d’un photosensibilisant sur la zone à traiter (acide 5-aminolévulinique [5-ALA] ou plus récemment sa forme méthylée : le méthyl-aminolévulinate [Metvixia®]). La crème est laissée en place sous pansement occlusif pendant plusieurs heures. Après retrait du pansement et de la crème, l’exposition lumineuse se fait par lumière rouge ou bleue. Des taux de guérison allant jusqu’à 90 % ont été rapportés. C’est une option de choix pour les patients qui ne répondent pas aux autres traitements et ont de multiples kératoses volontiers confluentes. Les effets secondaires sont à type d’érythème, d’œdème (pouvant persister pendant un mois), de brûlures, de douleur, de vésicules et de croûtes avec décoloration transitoire. Une photoprotection est nécessaire pendant les deux mois qui suivent la séance.   D’autres alternatives à venir ? • Un gel combinant 5-FU à 0,5 % et acide salicylique (10 %) est disponible dans certains pays d’Europe et actuellement en cours d’évaluation aux États-Unis. L’acide salicylique est supposé améliorer la pénétration du 5-FU. Les applications se font à l’aide d’une « brosse » une à deux fois par jour sur le visage et le cuir chevelu pendant 12 semaines. Les taux de guérisons obtenus sont supérieurs à ceux du gel de diclofénac (74,5 % vs 54,6 %), mais les effets secondaires sont aussi plus fréquents (érythème, inflammation, irritation douleur, érosions). Il n’y a pas eu d’étude comparative avec le 5-FU seul ou l’imiquimod. • Le resiquimod est une imidazoquinoline, 10 à 100 fois plus puissant que l’imiquimod. Appliqué une fois par jour, trois fois par semaine pendant 4 semaines, il conduit à un taux de guérisons complètes de 40 à 74,2 %. • Le piroxicam, anti-inflammatoire non stéroïdien qui bloque les COX 1 et 2 a été testé en gel à 1 % dans une étude italienne, à raison de deux applications par jour pendant 12 semaines : le taux de guérisons est de 50 % pour les kératoses actiniques du visage. Les effets secondaires sont comparables à ceux provoqués pas le diclofénac. • L’acide bétulinique est un composé naturel dérivé de l’écorce de hêtre : il promeut la différenciation des kératinocytes et induit des effets cytotoxiques et apoptotiques. En application sous forme de gel deux fois par jour pendant 3 mois, il se montre efficace dans le traitement des KA céphaliques. Ajoutons que les rétinoïdes topiques et oraux ont une action préventive sur le développement des carcinomes cutanés non mélanocytaires. Leur effet thérapeutique sur les KA est moins bien établi. Enfin, les peelings (acide trichloroacétique) peuvent éliminer les KA, mais avec un taux de récidives élevé. La cryothérapie a encore de belles heures devant elle.   Les traitements classiques La cryothérapie Universellement employée, elle a certainement encore de belles heures devant elle : c’est le traitement de choix en première ligne, car efficace et rapide, qu’elle soit utilisée en contact ou sous forme de cryospray. Selon une étude rétrospective, le taux de guérisons pourrait aller jusqu’à 98 %, mais il dépend clairement du temps de contact avec un taux de guérisons variant de 39 % pour 5 secondes de contact à 83 % pour 20 secondes. Douleur, érythème, œdème, bulle sont les effets secondaires habituels avec également un risque d’hypo- et d’hyperpigmentation et des conséquences cosmétiques plutôt moins bonnes qu’avec les autres méthodes. Des cryopeelings sont possibles. Enfin, la cryothérapie peut être utilisée pour potentialiser les effets des autres topiques.   Le laser L’utilisation des lasers (CO2, Erbium : Yag) sur un mode ablatif ou en resurfacing permet une destruction physique des KA. Il n’y a quasiment pas d’études prospectives ayant évalué ce mode de traitement. Selon les résultats de petites séries rétrospectives, le taux de réponses se situerait entre 58 et 100 % et serait très opérateur-dépendant. Le risque de récidive semblerait néanmoins élevé. Les effets secondaires comprennent : douleur, inflammation locale, dyschromies, cicatrices.   La chirurgie C’est évidemment une approche classique bien que rarement utilisée. Aucun essai prospectif bien conduit ne l’a jamais évaluée ni ne l’a comparée avec d’autres méthodes. Le shaving plus ou moins profond peut être le traitement de choix pour une KA unique, épaisse avec la possibilité d’une analyse histologique. Des études de petites séries de cas signalent l’efficacité curative, mais aussi préventive (4 ans sans récidive), de la dermabrasion pour les KA multiples et diffuses. Cette dernière reste néanmoins plus complexe à mettre en œuvre. Au total, les données de la littérature ne permettent pas de distinguer lequel des agents topiques disponibles est le meilleur, s’il en est un. La tolérance, la faisabilité, la préférence des patients et le coût doivent finalement entrer en ligne de compte, la combinaison de différentes approches, incluant notamment la cryothérapie, pouvant également se révéler optimale.

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