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Plaies et cicatrisation

Publié le 09 mai 2025Lecture 12 min

Tatouages : quels conseils donner au patient ?

Nicolas KLUGER, Aava Medical Centre, Helsinki, Finlande, Department of dermatology, Tampere University Hospital, Finland Consultation « tatouages », service de dermatologie, hôpital Bichat–Claude-Bernard, Paris

Le tatouage peut entraîner une grande variété de complications, dont la prévalence et l’incidence restent encore floues. Les allergies aux pigments représentent actuellement les complications les plus courantes, mais elles ne sont pas prévisibles. Les infections sont, elles, directement liées au manque d’asepsie et d’hygiène pendant la procédure de tatouage ou pendant la phase de cicatrisation. Les patients souffrant d’une maladie cutanée connue doivent être avertis du risque de localisation de leur maladie sur le tatouage. Une éruption cutanée faite de papules ou de nodules épars sur un tatouage peut révéler une sarcoïdose. Les patients souffrant de maladies chroniques et/ou d’une immunité déficiente devraient discuter avec leur médecin de la possibilité et du moment de se faire tatouer.

Le tatouage est défini par l’introduction de pigments ou de colorants exogènes dans le derme afin d’obtenir un dessin permanent de la peau. Le maquillage permanent (sourcils, cils, contours des lèvres) et le microblading (sourcils) sont des tatouages. La prévalence du tatouage en France était de l’ordre de 17 % en 2017(1), mais il est possible que ce chiffre ait augmenté depuis. Notons cependant que, depuis quelques années, les recherches sur Google concernant les tatouages sont en baisse alors que celles sur le détatouage continuent d’être en hausse(2), témoignage indirect d’un début de désintérêt de cette pratique dans la population. Les célébrités se mettent d’ailleurs à afficher leurs peaux détatouées(3). Hormis les regrets ou les déceptions liées à des tatouages esthétiquement « ratés » ou qui ne correspondraient pas aux attentes du client, le tatouage n’est pas une procédure dénuée de risque. La fréquence des complications cutanées sur tatouage est mal connue, car les patients consulteront volontiers pour une réaction sévère, invalidante (prurit, douleur…), persistante ou en cas d’aggravation des symptômes ou de cicatrisation anormale. De fait, les données disponibles proviennent des différentes « tattoo clinics » hospitalières comme l’hôpital Bichat à Paris(4,5) ou ailleurs en Europe (Copenhague, Amsterdam, Helsinki, etc.), mais elles ne fournissent que des chiffres en rapport avec un biais de recrutement. La Task Force « Tattoos and body art » de l’EADV a produit plusieurs fiches à destination des patients(6). Ces fiches sont traduites ou en cours de traduction en français et publiées dans les Annales de dermatologie et de vénéréologie FMC.   Conseils de soins post-tatouage   Les conseils de cicatrisation peuvent varier d’un tatoueur à l’autre, selon ses habitudes et son expérience, mais la trame reste la même(7). Une fois la séance de tatouage achevée, la zone est nettoyée et désinfectée. Une couche de vaseline est appliquée et l’ensemble est recouvert d’un simple film alimentaire pendant un ou plusieurs jours. Les soins consistent ensuite habituellement en un lavage à l’eau claire et au savon deux fois par jour, associé à l’application répétée d’une couche épaisse de pommade, le plus souvent à base de dexpanthénol. Quelques conseils sont également prodigués : éviter les traumatismes et les frottements, le contact avec l’eau chlorée ou salée, l’exposition solaire en phase de cicatrisation. Le délai de cicatrisation d’un tatouage est habituellement de 2 à 3 semaines. Une norme européenne de standardisation de soins d’hygiène et de cicatrisation post-tatouage, à laquelle la France a participé avec l’AFNOR, a été publiée en 2020. D’autres options peuvent être proposées par les tatoueurs comme l’application d’un film de type SUPRASORB®/ TEGADERM® pendant plusieurs 5 à 7 jours ou bien à l’opposé une cicatrisation dite « sèche », c’est-à-dire sans l’application de topique durant toute la cicatrisation. Aucune méthode ne peut prétendre à ce jour être scientifiquement meilleure qu’une autre, si bien que le choix dépend du tatoueur et du client.   Quelles complications après un tatouage ?   • Complications aiguës Les complications aiguës comprennent une infection cutanée bactérienne ; un eczéma de contact à un topique cicatrisant sera évoqué devant un érythème aigu vésiculeux prurigineux au site d’application du produit (figure 1). L’éruption est bien délimitée et dé passe les limites du tatouage lui-même. Figure 1. Eczéma réactionnel à tatouage ou à crème cicatrisante post-tatouage.   Une diffusion de la couleur (« tattoo blowout ») dans l’hypoderme peut être observée en cas de tatouage sur une zone de peau claire et fine (face interne des bras, des avant-bras et dos du pied). Il se présente sous la forme d’un halo flou bleuâtre ou noir inesthétique autour du tatouage. Pris initialement par le client pour un hématome, il se résorbe pas(8). Un traumatisme dû aux aiguilles sur un tatouage trop travaillé (« overworked tattoo ») doit enfin être évoqué devant un tatouage qui ne cicatrise pas normalement dès le début, un tatouage douloureux, croûteux, en partie ou en totalité. Il s’agit d’un problème technique durant la séance notamment en raison d’aiguilles possiblement usées, coupantes. Le diagnostic est évoqué rétrospectivement à l’interrogatoire notamment sur la base d’une séance longue, anormalement douloureuse pour le client, l’impression que le tatoueur a « forcé » pour tatouer ou que le tatoueur a rapporté des difficultés « à faire rentrer la couleur »(9). Le traitement passe par une intensification de l’application de topiques gras et un traitement antibiotique, car il est difficile de faire la part entre un problème de cicatrisation simple et une surinfection ajoutée. Il est possible que cette dernière complication s’observe plus fréquemment avec les nouvelles encres respectant la régulation REACH, car pour de nombreux tatoueurs leur rendu n’est pas bon et pousse justement à trop travailler la peau des clients(10).   • Complications infectieuses Celles-ci sont liées à l’introduction de germes durant la séance ou la phase de cicatrisation. Elles comprennent avant tout les surinfections bactériennes superficielles avec inflammation locale, douleur, pus et croûtes. Les infections profondes (érysipèle, gangrène) ainsi que les septicémies sont tout à fait exceptionnelles. Elles sont dues à une immunodépression sous-jacente combinée à un manque de respect des règles d’hygiène, et des germes inhabituels peuvent alors être retrouvés. Des cas de mycobactérioses environnementales (Mycobacterium chelonae, Mycobacterium fortuitum, etc.) ont été rapportés par l’utilisation d’eau du robinet pour diluer l’encre ou plus rarement en cas de contamination du flacon d’encre. Elles sont à évoquer en cas d’éruption papulopustuleuse monomorphe restreinte aux tracés d’une couleur, habituellement des ombrages gris, dans les semaines suivant la séance. Plusieurs clients d’un même studio peuvent présenter les mêmes symptômes durant la même période sur un mode épidémique. Plus rarement ont été décrits des cas d’efflorescence de verrues vulgaires et de molluscum contagiosum sur tatouage. L’inoculation virale pourrait être causée par les instruments, une modification de l’immunité locale induite par le pigment, ou une dissémination de lésions infracliniques préexistantes. Quelques rares cas de mpox ont été répertoriés chez des patients après tatou age. Le tatouage est exceptionnellement en cause pour la transmission de l’infection par le VIH (tatouage en prison par échange d’aiguilles) et n’est actuellement plus considéré comme un facteur de risque de transmission du virus de l’hépatite C s’il est réalisé dans des conditions réglementaires d’asepsie et d’hygiène. Enfin, quelques cas d’endocardite aiguë ont été rapportés après tatouage chez des patients avec une cardiopathie(8).   Reconnaître une allergie à l’encre de tatouage   Les allergies aux encres de tatouage surviennent dans des délais variables allant de quasi immédiatement après la séance à des semaines, des mois, voire des années après. Elles se présentent sous forme de papules, de nodules ou d’une infiltration complète prurigineuse, voire douloureuse, d’une seule couleur. On retrouve parfois une photo-aggravation ou un photo-déclenchement des lésions. Le rouge, le rose et le violet restent le plus pourvoyeur de ces réactions allergiques (figure 2). Figure 2. Eczéma sur encre rouge d’un tatouage.   Diverses réactions histologiques ont été décrites : lichénoïdes, eczématiformes, lympho-histiocytaires, ou pseudo-lymphomateuses. Une réaction lichénoïde doit faire rechercher de principe un lichen plan cutané ou muqueux. Les patch tests ne sont pas utiles en raison de résultats discordants. Les réactions persistent pendant des mois ou des années. Une résolution spontanée est possible, mais dans un délai impossible à déterminer. Le traitement est habituellement difficile et comprend : dermocorticoïdes de très forte activité, infiltrations locales de corticoïdes ou tacrolimus en topique en hors AMM. En dernier recours, l’exérèse chirurgicale du tatouage in toto ou la destruction par laser CO2 ou NdYAG peut être proposée(11).   Reconnaître une réaction granulomateuse (non infectieuse) sur tatouage   En théorie, le diagnostic de réaction granulomateuse (non infectieuse), qu’elle soit à corps étranger, sarcoïdosique avec ou sans atteinte systémique est histologique(12). Par ailleurs, certaines réactions granulomateuses peuvent être en relation avec des infections atypiques (mycobactéries environnementales, lèpre, mycoses rares, etc.). En pratique, certains aspects particuliers permettent d’évoquer ce diagnostic sur la présentation clinique. Tout d’abord, les réactions granulomateuses se portent dans la grande majorité sur la couleur noire, sous la forme de papules ou de nodules épars chroniques ou récidivants, touchant de façon aléatoire un ou plusieurs tatouages. On peut parfois voir des infiltrations partielles de tatouage, mais elles sont rarement complètes sur l’ensemble du tatouage sauf dans le cas particulier de maquillage permanent. À ce titre, la survenue d’une éruption papulo-nodulaire sur maquillage permanent est très évocatrice de granulomes. Les lésions peuvent parfois aller et venir spontanément ou même régresser après biopsie. Cette prédominance des réactions granulomateuses sur le noir a fait suggérer à certains de renommer cette éruption Chronic inflammatory Black Tattoo Reaction (CIBTR)(13). Cependant, il existe de rares cas d’inflammations chroniques sur d’autres couleurs, comme le rouge (figures 3, 4 et 5). Figure 3. Réaction granulomateuse sur encre rouge d’un tatouage. Figure 4. Autre réaction granulomateuse sur encre rouge d’un tatouage. Figure 5. Sarcoïdose sur tatouage.   En cas de découverte de réaction granulomateuse sur tatouage, on recommande un bilan minimum de sarcoïdose systémique (que l’anatomopathologiste rapporte une réaction à corps étranger ou des granulomes sarcoïdosiques)(14). Les patients seront ensuite classés en réactions granulomateuses sur tatouage ou en sarcoïdose cutanée ou systémique(12,14). La découverte de lésions cutanées à distance, comme des sarcoïdes sur cicatrice, permet de confirmer la sarcoïdose. Plus rarement des patients avec un antécédent de sarcoïdose peuvent développer des granulomes sur tatouages. Les traitements comprennent : traitements locaux (dermocorticoïdes, inhibiteurs de la calcineurine), hydroxychloroquine, cyclines, méthotrexate… Les patients avec une réaction granulomateuse sur tatouage sans sarcoïdose identifiée ne nécessitent pas d’avoir d’examen de suivi, sauf si de nouveaux symptômes apparaissent.   Risques de cancers chez un individu tatoué   À ce jour, seul le kératoacanthome semble lié au tatouage. Il peut être unique ou multiple éruptif, très souvent associé au rouge et survient chez des patients de plus de 50 ans(15). Son traitement est l’exérèse chirurgicale. Les autres cancers cutanés (mélanome ou non-mélanome) sur tatouage sont actuellement toujours considérés comme fortuits(16). Le mélanome se développe le plus souvent de novo au sein du tatouage, qui peut masquer sa détection précoce rendant le diagnostic tardif(17). Un tatoueur peut également tatouer un grain de beauté accidentellement ou une lésion déjà suspecte. Quant aux risques de cancers internes, les études n’ont jusqu’à aujourd’hui pas montré de lien robuste avec les lymphomes. Certaines études sont négatives, d’autres limitées par des biais méthodologiques, mais malheureusement ces dernières sont bien souvent à tort médiatisées(18).   Peut-on se faire tatouer…   • … quand on souffre de dermatose chronique ? Un grand nombre de dermatoses chroniques ont été observées sur tatouages(8) : psoriasis, lichen, vitiligo, etc. En théorie, toute dermatose peut virtuellement se localiser sur un tatouage. Quelques règles de bon sens sont de mise : toute affection cutanée doit être traitée et stabilisée ou guérie avant le tatouage ; le tatouage sur des lésions cutanées inflammatoires doit être évité ; le tatouage sur une peau d’apparence saine de patients ayant des antécédents de phénomène de Koebner et/ou une maladie cutanée active comporte un risque accru de « koebnerisation » du tatouage. Un patient peut tout à fait développer une lésion fortuite sur son tatouage durant sa vie. Le traitement de la dermatose est le même que sur peau non tatouée.   • … quand on est sous traitement d’isotrétinoïne ? En cas de traitement par isotrétinoïne en cours, les tatouages doivent être reportés jusqu’à la fin de la cure en raison de l’impact sur la cicatrisation(19). Un délai de 1-2 mois après l’arrêt est suffisant.   • … sur un nævus ? Le tatouage est strictement contre-indiqué sur tout nævus mélanocytaire et doit être évité sur une zone qui en est pleine. Si un nævus ne peut être évité, les dessins du tatouage épargneront les lésions pigmentées. Nous recommandons arbitrairement une marge libre de 0,5 à 1 cm autour du nævus.   • … en cas d’antécédent personnel de mélanome ? Un antécédent personnel de mélanome n’est pas une contre-indication stricte au tatouage, mais nous recommandons une discussion avec le patient et une planification prudente s’il ne peut pas être dissuadé. Le tatouage est strictement contre-indiqué sur les cicatrices chirurgicales et celles de curage ganglionnaire. Un examen complet de la peau avant le tatouage est obligatoire pour exclure toute récidive. Les lésions suspectes seront examinées et enlevées si nécessaire. La zone de tatouage doit être discutée et planifiée en concertation avec le dermatologue. Les zones pleines de nævus doivent être évitées, et tout grain de beauté sur les sites de tatouage doit être épargné par le tatouage, avec une marge libre de 1 cm pour permettre son suivi. Le modèle de tatouage doit également être discuté. Nous déconseillons fortement les grands aplats de couleur, tels que les manchettes entièrement noires.   • … sur une cicatrice ? Le tatouage est une contre-indication stricte sur les cicatrices chirurgicales de tumeurs et de mélanomes présentant un risque élevé de récidive locale, car il peut masquer une rechute locale à la fois dans la cicatrice et dans la zone cicatricielle environnante, et compliquer le suivi clinique. Si le tatouage ornemental sur une autre cicatrice oncologique est envisagé, une décision au cas par cas doit être prise après consultation de l’oncologue/chirurgien oncologique. Le calendrier est laissé à l’appréciation du médecin, en fonction des antécédents médicaux du patient. On décalera le tatouage selon les risques d’effets secondaires dus au traitement oncologique concomitant. Les cicatrices de brûlure (et de radiothérapie) sont un facteur de risque de cancer de la peau, principalement de carcinome épidermoïde ; cependant, le délai médian est excessivement long (30 ans). Les avantages du tatouage en termes d’impact sur l’image corporelle peuvent dépasser le risque de camouflage d’un carcinome épidermoïde tardif ; toutefois, les patients doivent être informés de ce risque rare, possible à long terme. Tout changement dans la zone tatouée au-dessus de la cicatrice de brûlure doit amener à consulter. Toute autre cicatrice ancienne (> 1 an d’âge) n’est pas une contre-indication au tatouage. Le patient doit avoir des attentes réalistes en ce qui concerne le résultat final, car le tatouage masquera une dyschromie, mais ne corrigera pas les changements de texture de la peau.   • … sous immunosuppresseurs ? Le patient doit toujours demander conseil et discuter de son souhait de tatouage avec son médecin traitant ou son dermatologue. Les contre-indications peuvent être temporaires et dépendent de la phase de la maladie et de son traitement. Par ailleurs, certains traitements ne posent pas de soucis, comme le dupilumab. Le tatouage peut toujours être reconsidéré lors de l’arrêt du traitement ou à un niveau d’entretien. En revanche, il reste raisonnable de retarder/éviter tout tatouage lorsque la maladie est active et que les traitements sont donnés à haute dose. La corticothérapie à 10 mg/j ou plus a un impact sur la cicatrisation. Si l’autorisation de se faire tatouer est accordée, le patient doit choisir un tatoueur qui respecte les règles d’asepsie et d’hygiène dans son salon. Le tatoueur doit être informé de l’état de santé du patient et prendre le maximum de précautions pour éviter une inoculation potentielle, comme l’utilisation de nouveaux flacons d’encre de tatouage stériles, la réalisation d’une séance courte et l’attention portée à tout symptôme local inhabituel avant une nouvelle séance. Si une réaction anormale est observée, le ta toueur doit reporter tout traitement ultérieur et conseiller au patient de consulter immédiatement un médecin. Un suivi parfait pendant la période de cicatrisation est essentiel pour éviter une inoculation secondaire. Le tableau 1 résume les complications qui ont été rapportées sur tatouage.   Les situations à risque où la possibilité d’un tatouage devrait être discutée avec le médecin traitant/référent, voire évitée, sont résumées dans le tableau 2. Il existe un nombre important de situations, toutes ne pouvant être abordées dans cet article(20).

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