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Cas cliniques

Publié le 04 déc 2008Lecture 8 min

Une névralgie pigmentée

M. VLAICU BUSTUCHINA*,**, C.A. VALERY*, A. ROUSSEAU****, A.C. BEZIAUD**, R. HABAS***, R.VAN EFFENTERRE*, *Service de Neurochirurgie, Pitié-Salpêtrière, Paris **Service de Neurologie, Hôpital Saint-Joseph, Paris ***Service de Neuroradiologie, Hôpital Quin
Un patient de 36 ans consulte au printemps 2008 pour des douleurs permanentes sans accès paroxystiques, mais persistantes depuis plusieurs mois dans la région de l’hémiface droite. Elles siègent en fait au niveau du territoire du trijumeau V1 et V2. Il n’existe pas de zone gâchette. Récemment, les douleurs sont devenues de plus en plus importantes et elles ne sont pas soulagées par la carbamazépine. Par ailleurs, deux mois après l’installation de ces douleurs, est apparue une diplopie. L'examen clinique retrouve une hypoesthésie dans le territoire du V1 et du V2 droit et une atteinte du VI du même côté.
Quel est votre diagnostic ? Dans les antécédents, on note à l’âge de 11 ans, un lymphome B immunoblastique amygdalien gauche stade 2, traité par chimiothérapie COPAD et radiothérapie encéphalique (dose totale de 18 gray). Actuellement, le patient est considéré comme en rémission complète et n’a plus de suivi depuis 1991. Du point de vue sémiologique, on élimine immédiatement une névralgie trigéminale essentielle, car le caractère de la douleur, la réponse non favorable au traitement par la carbamazépine, l’hypoesthésie V1-V2 et la présence d’une paralysie du VI droit, responsable de la diplopie, sont des arguments formels en faveur d’une névralgie du trijumeau secondaire. Une IRM cérébrale met en évidence une lésion de la région caudale du cavum de Meckel droit (figure 1) de nature hématique, pouvant évoquer une structure vasculaire ayant saigné, de type angiome caverneux.   Figure 1. Processus occupant de l’espace à la partie caudale du cavum de Meckel droit. Séquence T1 : processus occupant de l’espace à la partie caudale du caum de Meckel droit, de forme ovoïde, bien délimité, mesurant 12/9/7 mm, en signal hétérogène, caractérisé par un hypersignal spontané périphérique et un hyposignal central. Ce processus coiffe la 5e paire crânienne droite. Il n’existe pas de relation entre ce processus occupant de l’espace et l’artère carotide interne intrapétreuse et intracaverneuse proche et le contenu qui le contourne par en-dedans et en-dessous. Il s’appuie sur la face inféro-interne du lobe temporal. Le cavum trigéminal controlatéral est normal. Conclusion : lésion de la région caudale du cavum du Meckel droit de contenu hématique, pouvant évoquer une structure vasculaire de type angiome caverneux.   Une intervention neurochirurgicale par voie soustemporale droite est proposée devant l’importance des douleurs et la gêne représentée par la diplopie qui ne régresse pas. Elle retrouve une lésion qui adhère et infiltre intimement les différents filets nerveux du trijumeau : elle est constituée dans son ensemble de tissu noirâtre, un peu gluant et d’un petit hématome. Le résultat de l’examen histologique confirme l’infiltration du V par la lésion (figure 2A) et conclut à un mélanome malin (technique de Fontana positive, techniques complémentaires immuno-histochimiques : immunomarquage anti-HMB45 [figure 2B] antiprotéine S100, anti-Ki67).   Figure 2B. Expression de l’antigène HMB-45 par la prolifération entouré de cellules tumorales pigmentées. Coloration par l’hémalun-éosine. G x 400. Figure 2A. Infiltration du V par la lésion. Au centre, un neurone tumorale mélanocytaire. Immunohistochimie (G x 400).   L’évolution postopératoire est marquée par une disparition des douleurs trigéminales et une régression progressive de la diplopie. Le patient est traité actuellement par une radiothérapie en conditions stéréotaxiques sur l’image résiduelle de 3 mm à la pointe du rocher droit. Discussion Chez ce patient qui présente une névralgie invalidante et « pharmacorésistante » dans le territoire V1 et V2 droit et une diplopie, l’imagerie par résonance magnétique a mis en évidence une masse dans la partie droite du cavum de Meckel. Du fait des antécédents de lymphome amygdalien, on a pu émettre l’hypothèse qu’il s’agissait à nouveau d’un lymphome, lequel peut ressembler à un schwannome du trijumeau du point de vue clinique et radiologique. Cependant, le patient n’était pas immunodéprimé puisqu’il est en rémission totale depuis 1991. La possibilité d’une tumeur radio-induite a pu également être suggérée. Même si les neurinomes radioinduits ne sont pas très fréquents, il ne pouvait être totalement exclu que la lésion puisse être secondaire à  l’irradiation ancienne, reçue pour le lymphome amygdalien… Pour un possible neurinome du trijumeau, il paraissait néanmoins très inhabituel qu’il saigne et qu’il se révèle par des douleurs trigéminales aussi importantes, ces arguments ne pouvant bien sûr pas éliminer le diagnostic. On pouvait enfinimaginer qu’il s’agisse d’un saignement dans un angiome caverneux (radio-induit ?). Les deux hypothèses ont été d’ailleurs évoquées au vu du bilan d’imagerie cérébrale. Mais les caractéristiques radiologiques de la lésion ne permettaient pas d’en affirmer la nature avec certitude. Le mélanome été une découverte chirurgicale confirmée par l’examen anatomopathologique. Ce patient ne présentait sur le plan cutané aucun mélanome et n’avait aucun antécédent de tumeur élanique opérée. Dans ce contexte, il a été décidé de réaliser un bilan général (examen dermatologique approfondi, examen de la muqueuse conjonctivale, buccale, génitale, péri-anale) sans particularités. Le bilan complet à la recherche d'une possible extension d’un mélanome primitif s’est également révélé négatif : scanner thoracoabdomino- pelvien, PET-scan, fibroscopie gastrique duodénale et coloscopie, examens ophtalmologiques et ORL. Commentaire La forme la plus fréquente des névralgies du trijumeau est la forme dite essentielle. Lorsque la présentation est atypique, la névralgie, alors qualifiée de symptomatique ou secondaire, est souvent le premier signe d’une lésion au voisinage du ganglion de Gasser ou des branches du trijumeau quelle qu’en soit l’origine :tumorale, vasculaire (syndrome de Wallenberg), conflit neurovasculaire ou maladie démyélinisante… Les étiologies tumorales des névralgies trigéminales Les tumeurs du sinus caverneux constituent 1 % de l’ensemble des tumeurs intracrâniennes (1). Elles sont essentiellement représentées par les méningiomes (41 %), les tumeurs nerveuses (20 %), les chondromes et chondrosarcomes (3,7 %), les chordomes (3,7 %) et les métastases (28 %). Les autres néoformations du sinus caverneux sont rares (3,6 %) : hémangiomes caverneux, mucocèles du sinus sphénoïdal, kystes épidermoïdes extraduraux, hémangiopéricytomes, lymphomes. Les neurinomes du sinus caverneux affectent dans la plupart des cas un des éléments du nerf trijumeau. Une étude de la littérature révèle que la fréquence des neurinomes du nerf V est relativement faible (2). La plupart des neurinomes du trijumeau (93,4 %)sont de nature bénigne. Les schwannomes malins primitifs du nerf V sont exceptionnels. Les autres correspondent à des neurofibromes, comme ceux que l’on observe dans la maladie de Recklinghausen. Grâce à l'imagerie par résonance magnétique ont été diagnostiqués quelques cas de métastases cérébrales se manifestant par une mononeuropathie du nerf trijumeau (métastase du V dans un cas de cancer du sein (3)). Les angiomes caverneux peuvent affecter également le nerf trijumeau et provoquer une névralgie (4). Comme il a été dit plus haut, un lymphome peut imiter un schwannome du trijumeau à la fois cliniquement et radiologiquement. Le diagnostic de lymphome doit être envisagé devant des lésions affectant le cavum de Meckel surtout pour les patients immunodéprimés (5). Le système nerveux central (SNC) peut être le siège d’une large variété de tumeurs mélanocytaires. Les métastases des mélanomes malins dans le SNC sont assez communes avec une incidence approximativement de 5 à 10 % de l’ensemble des tumeurs métastatiques du SNC. En revanche, les mélanomes primitifs du SNC sont exceptionnels. Par ailleurs, l’évolution neurotrope des tumeurs malignes vers l’endocrâne concerne principalement les nerfs trijumeau et facial. Mais là encore, parmi les types histologiques de tumeurs neurotropes, le mélanome est très rare. Enfin, dans la maladie de Recklinghausen, des mélanomes malins primaires ont été décrits sur la peau aussi bien que dans l’uvée, l’iris et les méninges (6). Les particularités du mélanome neurotrope Le mélanome neurotrope est une forme anatomopathologique particulière correspondant à une prolifération dermique de cellules desmoplasiques à différenciation neuronale. Les mélanomes neurotropes avec envahissement des faisceaux nerveux par des cellules tumorales, révélés par une névralgie faciale, sont rares. Comme pour d’autres tumeurs de la tête et du cou (carcinomes épidermoïdes, adénokystiques, lymphomes), la possibilité de propagation périneurale a été décrite pour le mélanome malin dans cette localisation (7). Parmi les différents sous-types de mélanomes, la variante desmoplasique (8) semble avoir un neurotropisme particulier. Le mélanome desmoplasique est une forme anatomopathologique rare, consistant en une prolifération de cellules fusiformes dans un stroma fibreux, fréquemment associée à une composante neurotrope. Dans une étude rétrospective de huit patients ayant présenté une neuropathie associée à un mélanome (9), cinq avaient un mélanome desmoplasique et le délai moyen d'apparition de la neuropathie clinique a été de 4,9 ans après la découverte de la lésion primitive. La propagation périneurale de la tumeur s’est faite le plus souvent le long du nerf facial et des branches du nerf trijumeau, mais d'autres nerfs crâniens pouvaient également être impliqués. Cependant, l’atteintedu nerf trijumeau était présente chez tous les patients. Dans certains cas, le diagnostic de névralgie trigéminale « bénigne » avait été retenu à tord. La reconnaissance de la propagation périneurale de la tumeur par l'IRM a des conséquences importantes sur la prise en charge thérapeutique des patients. De nos jours, l'extraordinaire développement de l'imagerie cérébrale permet de localiser au millimètre près les processus occupant de l'espace et comprimant les nerfs crâniens. Conclusion Il s’agit donc ici d’un cas de mélanome de cavum de Meckel révélé par une névralgie faciale. En l’absence de mélanome cutané, muqueux ou oculaire permettant d’évoquer une malignité extracrânienne, il semble que ce mélanome puisse être considéré comme primitif. Seule l’évolution pourra dire si cette hypothèse est exacte.

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