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Troubles pigmentaires

Publié le 28 aoû 2006Lecture 7 min

Peau noire et dépigmentation volontaire en France

C. Fitoussi, Paris
Depuis une trentaine d’années, la dépigmentation volontaire fait partie intégrante des habitudes cosmétiques d’un grand nombre de femmes africaines. Or cette pratique entraîne des complications d’autant plus difficiles à traiter que ce comportement est ancré dans les mœurs.
En Afrique, la dépigmentation volontaire (DV) a été décrite et documentée, sur le plan de l’épidémiologie et des complications(1,2). Elle concerne généralement les femmes (plus rarement les hommes) et touche l’ensemble de l’Afrique en particulier : – l’Afrique de l’Ouest : surtout le Sénégal (nom usuel Khessal) mais aussi le Mali, le Togo, le Bénin et le Nigeria ; – l’Afrique centrale : Congo et République démocratique du Congo (ex Zaïre) ; – l’Afrique du Sud.      Figure 1. Ochronose exogène.   En France, la DV est également largement répandue, mais il est difficile de savoir dans quelle proportion pour plusieurs raisons. La DV est rarement un motif primaire de consultation, la question étant parfois simplement évoquée au cours d’une consultation pour un autre motif. En revanche, les consultations pour un effet secondaire ou une complication sont plus fréquentes, mais elles ne peuvent donner un juste reflet de l’étendue de cette pratique rarement avouée. Les complications semblent moins fréquentes et moins sévères qu’en Afrique, en raison d’une part de l’utilisation de produits moins « exotiques », et d’autre part, du probable rôle du moindre ensoleillement en France. Les Africaines à leur arrivée en France retrouvent rapidement les réseaux commerciaux et poursuivent la DV (malgré l’éclaircissement naturel lié à la réduction de l’ensoleillement), alors que les Antillaises ne sont pas concernées, en dehors de l’utilisation des traitements localisés de séquelles pigmentaires d’affections inflammatoires.   Les produits les plus utilisés   L’utilisation de détergents et de dérivés mercuriels est abandonnée ici au profit des dépigmentants plus efficaces, faciles à se procurer mais toujours suspects d’être des contrefaçons. Jusque dans les années 80, les produits les plus couramment utilisés étaient des crèmes à l’hydroquinone (de 2 à 5 %), notamment Trois fleurs d’Orient, Ambi, Aïda, Dear. On peut en constater les effets secondaires prolongés chez les femmes de la cinquantaine. Outre les classiques confettis achromiques, on peut observer une dermatose tout à fait spécifique : l’ochronose exogène(3) (figure 1) : il s’agit de plaques très hyperpigmentées, inhomogènes, avec quelques éléments papuleux touchant essentiellement les pommettes et la lèvre supérieure, mais aussi le cou et le décolleté. Son mécanisme repose sur une déviation de la synthèse de la mélanine et sa localisation aux zones photoexposées fait évoquer un facteur phototoxique.      Figure 2. (gauche) Crèmes au propionate de clobétasole « confisquées» à des patientes.    Il n’y a aucun traitement et le camouflage est difficile compte tenu de l’intensité de l’hyperpigmentation. Depuis une vingtaine d’années, les dermocorticoïdes (classe I ou II) ont supplanté les crèmes à l’hydroquinone, et avant tout le propionate de clobétasol souvent vendu sous son nom anglais Dermovate® ou sous forme de générique : Movate®, Clovate® (figure 2). Ces derniers sont utilisés dilués dans un lait corporel et appliqués quotidiennement sur l’ensemble du corps et du visage. Il est très facile de s’en procurer pour quelques euros dans les boutiques « exotiques » ou auprès de vendeurs de rue (figure 3) dans les quartiers à forte densité de population noire ; ce commerce fructueux se développe en dehors de toute réglementation.     Figure 3. (droite) Vendeuse de crèmes dépigmentantes - Marché de Château-Rouge, Paris 18e.    Les résultats et les complications   Dans un premier temps, un éclaircissement réel est obtenu donnant cependant un teint brun-clair bien reconnaissable (figure 4), avec conservation de la pigmentation du dos des articulations des doigts, des orteils et du dos des pieds, signe constant permettant d’objectiver cette pratique rarement reconnue. L’arrêt des applications entraîne un retour à la teinte initiale, parfois transitoirement accentuée.     La poursuite de la corticothérapie, nécessaire pour maintenir cet éclaircissement, entraîne inéluctablement l’apparition des effets secondaires classiques de la corticothérapie locale prolongée : atrophie avec couperose et larges vergetures de la racine des membres (figure 5), hypertrichose, infections cutanées avec folliculites, voire acné cortisonique, souvent nodulokystique.   (avec l’autorisation des éditions Flammarion-Médecine).   La prise en charge    Les difficultés d’ordre socioculturel Soulignons d’emblée que la prise en charge est difficile car elle impose d’abord l’aveu puis l’arrêt de cette pratique. Or, celle-ci est très ancrée dans les mœurs, pour des motifs dépassant largement la simple coquetterie, reposant sur des motivations sociologiques complexes et entretenues par une importante pression médiatique.  La dépendance aux corticoïdes Il existe après quelques années une véritable « dépendance » : l’arrêt brutal expose à un problème de sevrage avec rebond pigmentaire et phénomène de dermite eczématiforme diffuse justifiant parfois la mise en place d’un sevrage progressif sous contrôle médical. • Le traitement des phénomènes infectieux repose sur l’antibiothérapie générale, mais il ne suffit pas toujours si l’acné s’est autonomisé : dans ce cas le recours à l’isotrétinoïne est parfois nécessaire, avec les réserves concevables chez ce type de patientes. • L’atrophie cutanée régresse peu mais devient moins visible au visage quand le teint redevient plus foncé. • Les vergetures sont évidemment définitives, mais étonnamment bien acceptées. • Quant aux dermites réactionnelles ou allergiques, fréquentes en raison de l’origine douteuse d’une bonne partie des produits, liées à une sensibilité à un corticoïde ou à un autre composant, elles imposent, paradoxalement un traitement par dermocorticoïdes de fort niveau (tachyphylaxie). Au long cours, après guérison des complications, la dépigmentation volontaire est habituellement reprise, parfois après avoir demandé notre accord, voire nos conseils ! L’avenir ?    En Afrique, la DV par dermocorticoïdes se généralise de façon inquiétante, avec actuellement une nouvelle tendance à la corticothérapie générale per os ou en injections de corticoïdes retard(2). Quant au risque carcinogène, il reste pour l’instant théorique, mais tout à fait vraisemblable chez ces personnes perdant volontairement leur protection mélanique et vivant en zone à fort ensoleillement ; ce risque est d’ailleurs très redouté au sein de cette population et la question est souvent posée. On pourrait espérer que cette crainte constitue un frein à cette pratique, mais dans le même ordre d’idée, en Europe, l’information sur les dangers du soleil a peu modifié les comportements face au bronzage.  En France, l’évolution générale concernant cette pratique est difficile à évaluer. Les personnes établies depuis plusieurs années conservent cette habitude, cependant il semble que la jeune génération née en France soit nettement moins concernée. Une large étude épidémiologique est actuellement en cours pour évaluer ces données. Quant aux nouveaux dépigmentants destinés au traitement des hyperpigmentations localisées (AHA, acide kojique, rucinol, arbutine, etc.), leur coût élevé est incompatible avec une utilisation sur l’ensemble de la peau et un usage prolongé et l’innocuité non établie pour ce type d’utilisation.   Conclusion   Le souhait de modifier son apparence est une constante chez toutes les femmes, mais pour les femmes noires la volonté de changement de couleur va au-delà d’un simple comportement de mode. À charge pour nous dermatologues de les convaincre, malgré des demandes pressantes allant dans le sens contraire, d’abandonner cette pratique à risque, et de modifier les comportements de façon durable.

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