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Dermatologie générale

Publié le 29 juin 2008Lecture 9 min

Kératoses actiniques : aspects cliniques, physiopathologiques, histologiques et thérapeutiques

B. DOEBELIN, Hôpital Edouard-Herriot, Lyon
Les kératoses actiniques (KA), également dénommées kératoses solaires, kératoses séniles, kératoses pré-épithéliomateuses ou précancéreuses, sont des lésions cutanées hyperkératosiques localisées survenant sur des zones photo-exposées chez des sujets adultes. Elles ont été identifiées en 1926 par Freudenthal et mieux décrites en 1958 par Pinkus. Elles correspondent à une prolifération et une différenciation focale anormale de kératinocytes pouvant progresser vers un carcinome épidermoïde invasif. Plusieurs auteurs considèrent que les KA sont d’authentiques carcinomes épidermoïdes in situ.
Aspect clinique Les kératoses actiniques sont des lésions squamo-croûteuses kératosiques mesurant quelques millimètres à quelques centimètres de diamètre (figure 1).   Figure 1. Kératoses actiniques du pavillon de l’oreille. Leur morphologie est variable : rugosité à peine visible, papules étendues pigmentées, érythémateuses ou télangiectasiques, plaques par confluence de papules, cornes cutanées. Elles sont principalement situées sur les zones photo-exposées : dos des mains, visage (nez, joues, tempes, front), cuir chevelu (chez les patients chauves), vermillon de la lèvre inférieure (figures 2, 3 et 4). Elles sont très fréquentes, isolées ou multiples, et apparaissent volontiers chez les adultes après 60 ans à peau claire, et sujette à l’héliodermie.   Étiologie – physiopathologie La plupart des kératoses actiniques sont secondaires à l’exposition chronique aux rayons ultraviolets (UV) : d’une part, elles apparaissent sur les zones photo-exposées et, d’autre part, des mutations de p53 (gène suppresseur de tumeur) liées aux UVB ont été démontrées dans les KA et seraient  à l’origine de la transformation des kératinocytes. Un phototype clair de type caucasien, à savoir des yeux bleus, des cheveux blonds et la présence d’éphélides, est corrélé à une augmentation du risque de voir apparaître des KA qui n’existent pratiquement pas chez les sujets noirs ou asiatiques. Leur prévalence augmente avec l’âge et le sex-ratio est de deux hommes pour une femme. Le mode de vie influe également sur le risque de survenue : profession en milieu extérieur, loisirs ensoleillés (nautisme, sports extérieurs), cabines de bronzage. Leur prévalence est forte chez les patients immunodéprimés, tels que les greffés d’organes ; elles apparaissent alors précocement et évoluent plus fréquemment vers un authentique carcinome invasif. D’autres facteurs de risque sont reconnus, l’arsenic ou les anomalies génétiques, telles que le xeroderma pigmentosum ou l’albinisme, par exemple.     Figure 2. Chéilite actinique de la lèvre inférieure. Figure 3. Nombreuses kératoses solaires temporales droites. Figure 4. Kératoses actiniques diffuses du vertex avec un carcinome épidermoïde invasif pariétal gauche. Histologie La biopsie peut être nécessaire afin d’exclure un envahissement dermique, notamment en cas de lésion de grande taille, ulcérée, hémorragique ou indurée. Les anomalies histologiques sont focales. L’architecture de l’épiderme est désorganisée en raison  d’une acanthose irrégulière et hyperplasique. Les kératinocytes sont dysplasiques et présentent des noyaux hyperchromatiques, parfois mitotiques. Ces atypies cellulaires sont situées principalement dans les couches inférieures de l’épiderme, mais peuvent s’étendre sur toute la hauteur épidermique. En surface, la couche cornée est hyperkératosique et parakératosique, à l’origine de l’aspect clinique des KA. Le derme est quant à lui le siège d’une élastose solaire plus ou moins marquée. Malgré l’acanthose et l’hyperkératose, les KA sont par définition intra-épidermiques, la jonction dermo-épidermique étant respectée (figures 5 et 6).   Figure 5. Prolifération des kératinocytes basaux de l’épiderme avec pléomorphisme nucléaire et parakératose de surface. Figure 6. Atypies kératinocytaires étagées avec de nombreuses mitoses. Pas d’envahissement dermique. Le diagnostic histologique repose donc sur des critères à la fois cytologiques et architecturaux. Au niveau histologique et architectural, sept variétés de KA sont décrites : hypertrophique, atrophique, bowénoïde, acantholytique, épidermolytique, lichénoïde et pigmentée. De plus en plus d’auteurs pensent qu’il existe un continuum entre la KA et le carcinome épidermoïde invasif ; les KA seraient assimilables à une néoplasie kératinocytaire intraépithéliale ou KIN (Keratinocyte intraepidermal neoplasia) par analogie à la CIN (Cervical intraepithelial neoplasia). Dans les KIN I, les atypies kératinocytaires sont confinées au tiers inférieur de l’épiderme. Elles atteignent les deux tiers inférieurs dans les KIN II, alors qu’elles touchent toute la hauteur épidermique dans les KIN III qui sont assimilables à la maladie de Bowen (ou carcinome épidermoïde in situ). Le nombre exact de KA qui évolue vers un authentique carcinome invasif est inconnu à ce jour, certaines d’entre elles pouvant se stabiliser, voire régresser spontanément. Au moins 60 % des carcinomes épidermoïdes cutanés sont secondaires à des KA. De plus en plus d’auteurs pensent qu’il existe un continuum entre la KA et le carcinome épidermoïde invasif. Traitement Étant donné qu’aucun facteur ne peut actuellement prédire quelles KA vont évoluer vers un carcinome épidermoïde invasif, toutes les lésions doivent être traitées. Le meilleur traitement est la prévention et passe par une autosurveillance et une photoprotection drastique : éviction solaire (dès l’enfance et surtout entre 11 et 16 h), vêtements/ lunettes/ chapeaux protecteurs, écrans solaires. Les traitements curatifs sont soit chirurgicaux, soit médicaux. Étant donné qu’on peut prédire quelles KA vont évoluer vers un carcinome épidermoïde invasif, toutes les lésions doivent être traitées.   Traitements chirurgicaux   Curetage et électrocoagulation Peu employée en France, cette méthode permet d’éradiquer des lésions superficielles à faible risque de dégénérescence. La surface est curetée au scalpel ou au bistouri. Cette technique est simple, rapide et permet un examen anatomopathologique du matériel recueilli, bien que celui-ci soit de qualité médiocre en raison du caractère fragmenté du prélèvement. Des récidives peuvent survenir, car il est difficile d’établir si le geste a été complet.   Cryothérapie C’est le traitement le plus utilisé avec un fort taux de guérison (jusqu’à 98 %) ; il est rapide, ne nécessite pas d’anesthésie locale et peut être répété, mais il est opérateur-dépendant. L’azote liquide détruit les KA au prix d’une douleur minime et d’une cicatrice parfois dyschromique. Il est particulièrement indiqué pour des lésions peu nombreuses et bien délimitées. La cryothérapie est le traitement le plus utilisé avec un fort taux de guérison.   Dermabrasion Également peu répandue en France, elle permet de traiter des champs assez larges.   Laser C’est une alternative au traitement chirurgical lorsque les KA sont étendues, résistantes aux autres traitements ou localisées sur le visage.   Exérèse chirurgicale Elle est indiquée en cas de corne cutanée ou pour éliminer un processus invasif.   Radiothérapie Elle n’est pratiquement plus utilisée en France, d’autant que les rayons sont eux-mêmes carcinogènes.   Traitements médicaux   5 fluorouracile 5 % crème (5FU) Le 5FU détruit les KA en interférant avec la synthèse d’ADN et d’ARN. En général, le patient applique lui-même la crème 1 à 2 fois/j sur les KA et leur périphérie pendant quelques semaines. Des zones larges peuvent ainsi être traitées au prix d’une inflammation locale, d’une dermite irritative avec parfois des érosions. Le taux de récidive est plus élevé qu’avec la cryothérapie. Le taux de récidive est plus élevé avec le 5FU qu’avec la cryothérapie.   L’imiquimod crème 5 % est un immunomodulateur topique à appliquer par le patient 3 fois par semaine pendant 4 semaines. Le taux de récidive est faible, mais le coût du traitement est relativement élevé. Des réactions locales irritatives sont fréquemment observées.   Diclofénac gel 3 % + acide hyaluronique Le mécanisme d’action de cet anti-inflammatoire non stéroïdien topique inhibiteur des cyclo-oxygénases reste à préciser. Le patient applique le produit 2 fois/j pendant 2 à 3 mois. Dans une étude comparative, le diclofénac serait aussi efficace que le 5FU avec moins d’effets secondaires sévères ; c’est pourquoi il peut être proposé en première intention dans le traitement des KA multiples, diffuses, légères à modérées, non hypertrophiques.   Rétinoïdes locaux et généraux La trétinoïne locale est partiellement efficace dans le traitement des KA, alors que les rétinoïdes systémiques (isotrétinoïne, acitrétine) ont un effet antitumoral et sont utilisés de façon curative et prophylactique.   Photothérapie dynamique (PDT) Les KA sont l’indication la plus commune de cette technique qui consiste en l’application d’un composé photosensibilisant (méthylaminolévulinate, par exemple) sur la zone à traiter, suivie d’une irradiation sélective des lésions avec une lumière visible (de longueur d’onde comprise entre 600 et 700 nm). L’hyperkératose de surface est curetée avant l’application en couche épaisse millimétrique du méthylaminolévulinate sur la lésion et 5 mm autour ; après 3 heures de pansement occlusif, les lésions sont illuminées. Certains patients rapportent des sensations de picotements ou de brûlures pendant la séance, mais les cicatrices sont réduites et le résultat cosmétique meilleur qu’avec les traitements conventionnels. La PDT est efficace lorsque les lésions sont étendues.   Autres traitements Peelings (acide trichloroacétique, alphahydroxyacides…), interféron alpha 2b intralésionnel ou topique sont parfois proposés, mais sont peu utilisés en France.   Conclusion Les KA sont des lésions cutanées très fréquentes photo-induites qui nécessitent un traitement spécifique, car elles sont le lit d’authentiques carcinomes épidermoïdes invasifs. Selon le siège, la taille, l’étendue, les caractéristiques cliniques des KA et selon l’âge et l’état général du patient, différents traitements locaux ou instrumentaux sont proposés afin de détruire les kératinocytes anormaux et de prévenir les récidives. La prévention par photoprotection drastique, de même que le suivi régulier sont fondamentaux ; un prélèvement histologique doit être effectué au moindre doute de transformation en carcinome invasif.         Points forts   La plupart des kératoses actiniques sont secondaires à l’exposition chronique aux rayons ultraviolets (UV).   Un phototype clair de type caucasien, à savoir des yeux bleus, des cheveux blonds et la présence d’éphélides, est corrélé à un risque augmenté de KA qui n’existent pratiquement pas chez les sujets noirs ou asiatiques.   Les anomalies histologiques sont focales. Le diagnostic histologique repose sur des critères à la fois cytologiques et architecturaux : l’architecture de l’épiderme est désorganisée en raison d’une acanthose irrégulière et hyperplasique ; les kératinocytes sont dysplasiques et présentent des noyaux hyperchromatiques, parfois mitotiques.   Il existe probablement un continuum entre la KA et le carcinome épidermoïde invasif.   Toutes les KA doivent être traitées.   Le meilleur traitement est la prévention et passe par une photoprotection drastique.   Les traitements curatifs sont soit chirurgicaux, soit médicaux.  

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