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Cancérologie

Publié le 07 juin 2011Lecture 11 min

Conduite à tenir devant une tumeur pigmentée de la conjonctive

J.-L. MICHEL, Saint-Étienne

Les nævi sont des tumeurs d’une grande fréquence sur la conjonctive (1,2). Les nævi peuvent s’observer sur toute la surface de la conjonctive, avec des sites privilégiés comme le limbe, la conjonctive bulbaire et la région interne avec le repli semi-lunaire et la caroncule (3). L’attitude thérapeutique devant une lésion conjonctivale suspecte de nævus reste souvent un dilemme entre observation et exérèse (4). L’apparition des nævi conjonctivaux se fait dans les deux premières décennies. Mais certains échappent à l’observation et ne sont découverts qu’à l’âge adulte. Pour ces nævi découverts tardivement, la prudence recommande l’exérèse avec examen histologique de la lésion. 

 
Les nævi conjonctivaux Il s’agit des tumeurs conjonctivales les plus fréquentes. Ce sont des lésions bien limitées, situées le plus souvent sur la conjonctive bulbaire dans l’aire palpébrale, mais également dans la caroncule, le repli semi-lunaire et les bords libres des paupières ; ils sont au contraire rares dans les culs-de-sac et la conjonctive tarsale : 23 % ont une localisation nasale, 51 % temporale, 9 % supérieure, 4 % inférieure, et 13 % caronculaire ; 60 % des nævi touchent le limbe et 20 % envahissent la cornée (4,5) (figures 2 à 3).   Épidémiologie Ils peuvent s’observer dans toutes les races, mais la plupart, voire la totalité des cas, se voient chez des patients caucasiens. L’âge moyen des patients au moment de la documentation du nævus conjonctival est de 27 ans. Ils apparaissent en général à la puberté avec un ratio hommes/femmes de 4/10 (1). Leur découverte tardive dans la vie d’un individu est possible. S’il n’y a pas connaissance d’une tumeur pigmentée conjonctivale stable sur l’oeil, alors une exérèse est proposée. La chirurgie permet de confirmer le diagnostic de nævus et d’assurer une exérèse complète. Au moment du diagnostic, la lésion conjonctivale est en moyenne connue depuis 15 ans. Les nævi sont invisibles tant qu’ils ne sont pas pigmentés ; 40 % des lésions sont pigmentées, 40 % sont partiellement pigmentées. La pigmentation apparaît vers la 2e ou 3e décade, mais 20 % restent achromes. Leur couleur varie du marron clair au noir. Une transformation maligne est possible. Tout changement d’aspect, accroissement de taille, vascularisation… est suspect.   Figure 2. Nævus bulbaire avec un aspect en flammèche suspect de l’oeil gauche. Jusqu’à 20 % des mélanomes conjonctivaux se développeraient à partir de nævi préexistants. Toute lésion pigmentée n’est pas nævique pour autant (6).   Conduite à tenir Devant une lésion conjonctivale diagnostiquée cliniquement comme nævus, une attitude d’observation semble appropriée. La croissance d’un nævus après l’âge de 18-20 ans ou chez l’adulte doit faire suspecter une lésion maligne. Un anneau plat de mélanose près ou autour d’un nævus indique la présence de mélanose acquise primaire en association avec ce nævus qui doit être enlevée en même temps que le nævus. Il est rare qu’un mélanome se développe à l’intérieur d’un nævus préexistant. Histologiquement, une ligne nette de démarcation entre les lésions bénignes et les lésions malignes peut rarement être notée. Le plus souvent, le nævus est complètement remplacé par le tissu malin. Si un nævus est symptomatique, il doit être excisé et examiné avec soin sur le plan histologique. Les nævi conjonctivaux récidivent rarement. Si un nævus conjonctival récidive après excision, la nouvelle tumeur doit être suspecte de mélanose acquise primaire ou de mélanome et doit être excisée et examinée de manière approfondie sur le plan histologique. Une surveillance de la cicatrice doit donc être proposée pour toute exérèse de tumeur pigmentée. Une surveillance de la cicatrice doit être proposée pour toute exérèse de tumeur pigmentée. La crainte du patient, l’apparence suspecte de la lésion, des symptômes irritatifs et une croissance tumorale peuvent justifier une exérèse chirurgicale. Dans une série portant sur 343 cas de nævi conjonctivaux, après un suivi moyen de 30 mois (4), une exérèse chirurgicale de la tumeur est pratiquée chez 25 % des patients. Figure 3. Nævi caronculaires. Les motifs de celle-ci étaient l’anxiété (40 %), l’apparence suspecte (33 %), l’irritation induite par la lésion (20 %) et la croissance tumorale (6 %). Une croissance tumorale est objectivement documentée chez 1 patient. Dans tous les cas excisés de cette série, l’examen anatomopathologique confirme la nature bénigne du nævus conjonctival. Cependant, une récidive est survenue chez 2,7 % des patients, et une transformation en mélanome malin a été observée dans 1 cas. Des kystes intralésionnels sont identifiés dans 50 % des tumeurs ; c’est un signe en faveur de la bénignité. Les auteurs anglo-saxons parlent de « nævus kystique bénin » (préférable au dermo-épithéliome de Parinaud) (figures 4 et 5).   Figure 4. Dermo-épithéliome de Parinaud. La formation des kystes favoriserait l’augmentation de volume du nævus.   Nævus de Ota Généralités La pigmentation touche les territoires des trois branches du trijumeau, mais le plus souvent la 1re et la 2e branche sont concernées : orbite, périorbitaire (paupière supérieure et inférieure), temporale, aire zygomatique, front, sourcil, nez (6). Cet hamartome n’est pas héréditaire. Les femmes (80 %) et les sujets de phototype élevé sont majoritaires (50 % sont des Asiatiques) (7). Il est présent à la naissance, mais peut se révéler sous influence hormonale, à la puberté ou au cours d’une grossesse. La lumière de Wood accentue la pigmentation épidermique. Clinique La mélanose oculaire est observée dans deux tiers des cas, surtout si la forme cutanée est étendue (figure 6). Elle touche principalement la sclère (100 % des cas). La conjonctive bulbaire et palpébrale, la cornée, l’iris, le nerf optique, la graisse rétrobulbaire, le périoste peuvent être intéressés.   Figure 5. Trichofolliculome sébacé. Habituellement, il n’y a pas de répercussion sur la fonction visuelle. Un hémangiome choroïdien peut toutefois être découvert au cours de la surveillance ou d’une baisse d’acuité visuelle, le plus souvent unilatéral, mais parfois bilatéral au cours de nævi de Ota bilatéraux.   Complications La dégénérescence en mélanome est plus fréquente chez les Caucasiens (5 %). Il prédispose plus souvent au mélanome uvéal qu’au mélanome conjonctival, cutané, orbitaire ou même méningé (8,9).   Traitement Pour l’atteinte cutanée, on peut proposer un traitement par laser pigmentaire déclenché : Q-switched Ruby laser (l = 694 nm), durée d’impulsion de 25 à 40 ns ; ou Q-switched Alexandrite laser (l = 755 nm), durée d’impulsion de 100 ns, 7 J/cm2. Figure 6. Nævus de Ota. Les coques de protection oculaire sont obligatoires pour le traitement des paupières. Le traitement des localisations oculaires est peu connu et demande à être précisé.   Mélanose acquise primitive Il s’agit d’une pigmentation conjonctivale brune, unilatérale(2,6) qui se développe durant la seconde moitié de la vie chez les personnes blanches (figure 7). La mélanose primitive acquise (MPA) peut siéger n’importe où sur la conjonctive (il faut donc penser à retourner les paupières) et comporter des plages en cours de développement et d’autres où la pigmentation régresse spontanément. La pigmentation est intraconjonctivale et reste donc mobile par rapport au globe sous-jacent. Il faut la différencier d’un nævus, d’une mélanose raciale (bilatérale, chez certaines ethnies pigmentées) ou secondaire (maladie d’Addison, grossesse, iatrogène par chlorpromazine ou épinéphrine, inflammation chronique, trachome) : la MPA peut envahir le limbe et se développer sur la cornée. Certaines MPA contenant des atypies mélanocytaires peuvent dégénérer en mélanome. En cas d’atypie, il y a 50 % de risque de progression vers un mélanome invasif dans les 10 ans.   Figure 7. Mélanose acquise primitive : précoce (a) ; évoluée (b). La présence de cellules næviques épithélioïdes atypiques est fortement associée à la progression et à un mauvais pronostic du mélanome survenant secondairement. Les mélanomes invasifs peuvent être bien moins colorés que la mélanose elle-même. Une zone nodulaire qui se développe au sein d’une zone initialement plane doit attirer l’attention, de même qu’une zone devenant adhérente au globe sous-jacent. Il est nécessaire de réaliser plusieurs biopsies pour dépister les lésions susceptibles de se transformer. Selon le type de lésion, le traitement va de la simple surveillance à l’exérèse complète ou incomplète en cas de lésion très étendue. Une surveillance au long cours est indispensable. Certaines MPA contenant des atypies mélanocytaires peuvent dégénérer en mélanome. Mélanome Épidémiologie Le mélanome conjonctival représente 2 % de l’ensemble des tumeurs malignes oculaires (5,6). C’est une tumeur rare, l’incidence étant de 2 à 8 cas pour 10 millions d’habitants et par an. Il est exceptionnel chez les mélanodermes. Le mélanome conjonctival survient presque exclusivement chez le sujet d’origine caucasienne (ratio caucasien/ africain de 13/1). L’exposition aux ultraviolets jouerait un rôle inducteur, la fréquence du mélanome conjonctival augmente en zone équatoriale. L’âge de survenue est de 50 à 60 ans, même si cette tumeur peut apparaître à tout âge. Il n’y a pas de prépondérance de sexe. Les mélanomes ont trois origines : MPA (environ 75 %), nævi (environ 7 %) et de novo (20 %). Son pronostic est grave avec un taux de mortalité de 20 % à 5 ans et de 50 % à 10 ans. Par rapport aux mélanomes des autres muqueuses (nasale, anale, sinus), le mélanome conjonctival est de meilleur pronostic que le mélanome cutané du fait d’une visibilité directe favorisant une découverte et un traitement précoce.   Clinique Le mélanome conjonctival est visible par l’examen clinique (7-9). Il se présente généralement comme un nodule brun, noir ou achromique franchement saillant (figures 8 et 9). Figure 8. Mélanome conjonctival. Il est très vascularisé avec un gros vaisseau nourricier ou une vascularisation anarchique de surface. Il en découle un caractère volontiers hémorragique ou ulcéro-hémorragique. Les formes conjonctivales plurifocales ne sont pas rares. Devant une tumeur mélanocytaire de la conjonctive, on pratique toujours un examen ophtalmologique complet avec fond d’oeil, car des nævi iriens peuvent être associés à un mélanome conjonctival(5). De plus, l’association de mélanomes cutanés et intraoculaires est établie. La baisse d’acuité visuelle peut être le premier signe d’un mélanome oculaire. Une augmentation de la pression intraoculaire se voit chez 10 % des patients, et parfois évolue vers un glaucome quand l’infiltration mélanocytaire du trabéculum et du canal de Schlemm gêne l’écoulement de l’humeur aqueuse.   Extension et pronostic L’extension est locale puis générale via les relais lymphatiques oculaires (ganglion prétragien et sous-mandibulaire), puis hématogène (métastases hépatiques surtout, mais aussi osseuses et pulmonaires)( 8,9). Des métastases peuvent survenir plus de 10 ans après la localisation initiale. Le traitement est chirurgical. La mortalité est de 25 %. Les facteurs de mauvais pronostic sont : tumeur de novo, développement sur une MPA, localisation palpébrale, tumeur nodulaire, invasion orbitaire, envahissement de la conjonctive palpébrale, du fornix ou de la caroncule, forme pagétoïde, atypie cellulaire sévère, nombreuses mitoses, absence de réaction inflammatoire.   Figure 9. Mélanome conjonctival évolué. Trois facteurs aggravent fortement le pronostic : le siège, l’épaisseur tumorale et la récidive tumorale. Toutes les localisations en dehors de la conjonctive bulbaire sont plus difficiles à repérer, et donc découvertes plus tardivement. Une épaisseur > 0,8 mm et comprise entre 1,8 et 4 mm sont les seuils de gravité ascendante. La taille moyenne de la base de la tumeur est de 11 mm pour les mélanomes sur MPA, 6 mm pour les mélanomes sur nævus, et 10 mm pour ceux de novo. À 5 ans (10 ans), des métastases sont présentes dans 19 % (25 %) des mélanomes sur MPA (p = 0,003), 10 % (26 %) des mélanomes sur nævus (p = 0,193), et 35 % (49 %) dans les cas de novo. À 5 ans (10 ans), le taux de décès rattaché au mélanome est de 5 % (9 %) pour les mélanomes sur pour les méla nomes sur nævus (p < 0,057) et 17 % (35 %) pour ceux apparaissant de novo. Les mélanomes de novo ont un risque plus élevé de métastase et de décès. Il y a une comorbidité du mélanome oculaire et cutané chez les patients ayant une expression élevée du phénotype des nævi atypiques et du mélanome conjonctiv al. La mutation CDKN2A n ’a pas été retrouvée chez les patients atteints de mélan ome ocula ire. Les métastases conjonctivales de mélanome cutanées sont exceptionnelles. L’extension conjonctival e d’un m é lanome d u co rps ciliaire doit être éliminée.   Traitement L’exérèse doit se faire avec une marge de 3 mm. L’exentération n’est plus recommandée car elle n’améliore la marge de sécurité que de 1 à 2 mm sans amélioration pronostique. La radiothérapie associée diminue le taux de récidive (50 % de récidive pour la chirurgie utilisée en monothérapie). L’ irradiation comporte cependant beaucoup d’effets secondaires : uvéite, kératinisation cornéenne, glaucome néovasculai re, xérophtalmie, télangiectasies palpébrales, dépigmentation, per te des cils. Le cur age ganglionnaire n’est effectué qu’en cas d’envahissement clinique. La chimiothérapie et l’immunothérapie sont inefficaces.  

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