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Dermatologie générale

Publié le 07 sep 2011Lecture 15 min

Adaptation au froid chez l’homme et chez les autres êtres vivants

S. GALL*, Y. GALL** *École vétérinaire, Toulouse **Service de dermatologie, CHU de Toulouse
La peau joue un rôle important dans la préservation de l’homéostasie entre l’homme et son environnement. Son réseau vasculaire possède une grande capacité d’adaptation et participe activement à la thermorégulation. L’homme est peu protégé du froid par son revêtement cutané. Certaines régions, notamment les extrémités, ne possèdent qu’une mince couche hypodermique. Ses poils sont peu nombreux et peu efficaces. Paradoxalement, il supporte mieux l’hypothermie (la température cutanée peut descendre très bas et celle du corps peut atteindre 26 ou 28 °C) que l’hyperthermie (les températures au-delà de 41 °C sont rapidement mortelles). Pour comparer les mécanismes d’adaptation au froid, nous évoquerons seulement les effets directs du froid sur la peau avant d’étudier comment les animaux s’adaptent à des températures très basses sans lésions particulières.

Adaptation au froid chez l’homme et pathologies induites par le froid Les effets du froid sur la structure et le fonctionnement de la peau humaine Le froid intense provoque une congélation des tissus, responsable de gros dégâts cellulaires induits par les cristaux de glace : en effet, les molécules d’eau, dès que la température descend audessous de 4 °C, s’agglutinent sous la forme d’amas irréguliers et acérés qui dénaturent les protéines et les membranes cellulaires. Lorsque le froid est modéré, la microcirculation est ralentie, et l’activité enzymatique altérée. Lorsqu’il est intense et prolongé, la vascularisation est interrompue et le métabolisme cellulaire arrêté. Les effets du froid sont de deux types : – les cellules endothéliales libèrent un peptide vasoconstricteur (endothéline 1) ; – le réflexe sympathique induit une vasoconstriction à partir des thermorécepteurs cutanés (lorsque la baisse de température est modérée), puis du centre hypothalamique (lorsque la baisse de température induit une chute de la température sanguine). L’impact du froid sur les veines est plus important que sur les artères, expliquant l’oedème observé au cours de la revascularisation et les sensations de brûlures et de prurit qui s’y rattachent. Parallèlement, d’autres phénomènes interviennent : une augmentation de la viscosité du sang et de l’adhésivité plaquettaire ainsi qu’un ralentissement de la conduction nerveuse et de la dissociation de l’oxyhémoglobine.   Les mécanismes cutanés d’adaptation au froid chez l’homme La peau est soumise aux conditions extérieures et les échanges se font selon plusieurs processus (1) : – par conduction du fait du contact direct avec le milieu extérieur (exemple contact avec l’eau) ; – par convection du fait du renouvellement du milieu ambiant (exemple de l’air en cas de vent) ; – par radiation (un corps émettant spontanément une certaine quantité de chaleur) ; – par évaporation (grâce à la sueur et à la perte insensible en eau). Les mécanismes d’adaptation de la peau au froid se font à la fois au niveau central et au niveau périphérique. Le centre de régulation de la température corporelle se situe dans l’hypothalamus. La peau se comporte à la fois comme un détecteur et un régulateur : – il existe des thermorécepteurs périphériques cutanés sensibles au froid. Certains fonctionnent sur le mode statique (ils mesurent la température), d’autres sur le mode dynamique (ils sont sensibles aux variations de la température) ; – la lutte contre le froid induit une vasoconstriction dans le but de diminuer le gradient de température entre la peau et le milieu extérieur. L’architecture de la microcirculation dans la peau (figure 1) est adaptée à la fonction de thermorégulation : – les réseaux capillaires superficiels (réseau sous-épidermique, réseaux périsudoraux et périfolliculaires) sont très développés et répondent instantanément à une exposition au froid par une vasoconstriction (le sang est déplacé vers les viscères profonds) ; – le sang parvenant au plexus hypodermique périaponévrotique est détourné de la peau par l’ouverture des shunts artério-veineux. Au niveau des extrémités (doigts, orteils, nez, oreilles), ce système de shunt est renforcé par les glomi de Masson qui renforcent la vasoconstriction en répondant directement aux commandes de l’hypothalamus. En cas d’exposition prolongée au froid, on observe des alternances de périodes de vasodilatation et de vasoconstriction pour éviter l’anoxie des tissus. Lorsque l’exposition au froid cesse, une vasomotion cutanée opérée par les fibres musculaires lisses des artérioles facilite l’écoulement sanguin et la restauration progressive de l’irrigation. Figure 1. Architecture de la microcirculation cutanée : 1. artère souscutanée, 2. artère dermique profonde, 3. artère en candélabre, 4. arcade artérielle, 5. plexus artériel sous-papillaire, 6. artériole péricapillaire, 7. métaartériole, 8. anse de la papille dermique, 9. premier plexus veineux sous-papillaire, 10. deuxième plexus veineux sous-papillaire, 11. et 12. plexus veineux dermiques profonds, 13. veines sous-cutanées, 14. glomus myoartériel de Masson. Les différentes réactions de la peau au froid Les réactions de la peau soumises à un froid intense sont de plusieurs types (2) : – certaines sont « physiologiques » après une exposition intense ou chronique au froid : c’est le cas des gelures ou du pied des tranchées ; – d’autres sont en rapport avec une sensibilité anormale au froid comme le syndrome de Raynaud, le livédo réticulaire, l’urticaire au froid ou la panniculite au froid, etc. ; – d’autres, enfin, peuvent révéler une pathologie sous-jacente : présence d’agglutinines froides ou de cryoglobulines. Certaines lésions dépendent directement de l’intensité et de la durée de l’exposition au froid. • La gelure est secondaire à une forte exposition au froid (après immersion dans l’eau, séjour en montagne, une nuit dehors par grand froid, etc.). Elle se traduit dans un premier temps par un blanchiment suivi d’oedème et de bulles, et parfois de nécrose, laissant après cicatrisation des séquelles à type de paresthésies, d’hyperhidrose, etc. • Le pied des tranchées (3) est secondaire à une exposition prolongée à une ambiance d’humidité froide dans des chaussures peu isolantes et serrées (figure 2). Il laisse le même type de séquelles. Ce phénomène se rapproche du « moonboot foot syndrome » observé chez les skieurs qui gardent leurs après-skis humides et occlusifs plus de 24 heures. « Dans la tranchée, nous vivions constamment dans l’humidité, la boue, la neige, et, surtout, le froid. L’hiver (1915) était particulièrement rigoureux. Depuis que j’étais en ligne, à savoir pas loin de 8 jours, je ne m’étais pas réchauffé une seule fois. On avait froid au nez, aux oreilles, aux mains… nos pieds enserrés dans des chaussures pleines d’eau macéraient, gonflaient. Il était formellement interdit de se déchausser. Il en résultait des espèces d’engelures qui s’infectaient et les pieds gelaient. Une affection extrêmement sérieuse, qui me fit évacuer un grand nombre d’hommes, dont certains restèrent estropiés pendant des années. » Extrait du livre de Louis Maufrais, J’étais médecin dans les tranchées, 2 août 1914-14 juillet 1919, Éditions Robert Laffont. D’autres réactions sont dues à une susceptibilité anormale au froid. Figure 3. Engelures récidivantes à chaque hiver. • L’engelure touche surtout les extrémités (phalanges, orteils, nez, oreilles, etc.) et se manifeste par une réaction inflammatoire localisée, prurigineuse, puis oedémateuse avec sensation de cuisson et évolution vers une coloration violine (figure 3). Il existe une sensibilité personnelle et familiale. Figure 4. « Ice fish » des mers australes.  • Le syndrome de Raynaud et la maladie de Raynaud sont une réaction paroxystique à une exposition au froid : le premier témoigne et peut révéler une affection sous-jacente (collagénose, intoxication médicamenteuse ou professionnelle, etc.), la seconde correspond à une sensibilité particulière au froid sans pathologie sous-jacente. • L’urticaire au froid est une entité clinique particulière facilement reconnaissable. La panniculite au froid survient après exposition au froid dans des vêtements serrés (panniculite de la cavalière ou du cycliste…). Elle se traduit par des plaques infiltrées dermohypodermiques plus ou moins violine, régressant progressivement en plusieurs semaines.   Les adaptations des animaux au froid La température la plus basse ayant été enregistrée sur Terre est de -89,2 °C à Vostock, en Antarctique. Les températures moyennes de ce continent sont de -33 °C l’été et -68 °C l’hiver. Pourtant, de nombreux animaux y vivent tout au long de l’année comme le célèbre manchot empereur. Les animaux des régions plus septentrionales doivent également faire face pendant une partie de l’année à des températures pouvant être très basses (-41 °C en France). Les stratégies qu’ils mettent en oeuvre sont ingénieuses et souvent étonnantes. Voici quelquesunes des plus remarquables d’entre elles.   Vivre aux pôles : comment s’adapter à un froid permanent  Les animaux à sang froid Chez les animaux « à sang froid » ou poïkilothermes, la température est celle du milieu ambiant. Ainsi, un lézard exposé au soleil brûlant d’un jour d’été peut avoir le sang plus chaud que le nôtre ! Les poissons de l’océan austral, eux, sont constamment soumis à des températures voisines de - 2 °C. À cette température, l’eau de mer ne gèle pas en raison de sa teneur en sel. Les fluides contenus dans le corps de ces poissons, appartenant au sous-ordre des Notothenioidei, sont hypotoniques (moins concentrés en solutés) par rapport à l’eau de mer. Ils risquent donc de geler. Or, lorsque des cristaux de glace se forment dans une cellule, ils détruisent ses membranes et provoquent la mort. Figure 5. Le cube A a une surface égale à la somme des surfaces de ses faces soit : S = (2 x 2) x 6 = 24 cm2. Son volume est égal au cube de son côté : V = 23 = 8 cm3. En utilisant les mêmes formules pour le cube B dont le côté mesure 4 cm : S = (4 x 4) x 6 = 96 cm2 et V = 43 = 64 cm3. Ces poissons produisent des molécules anti-gel spécifiques qui se fixent aux cristaux de glace naissants, empêchant leur formation. De plus, leurs enzymes ont dû s’adapter afin d’avoir une activité correcte malgré ces températures basses. Toutefois, l’activité physiologique est ralentie et la croissance est lente. Mais vivre dans ces eaux glaciales présente quelques avantages : les températures y sont pratiquement constantes d’un bout à l’autre de l’année, mettant les poissons à l’abri des chocs thermiques auxquels ils sont très sensibles. Plus étonnant, ces poissons ont une hémoglobine peu active et certains n’en produisent plus du tout ! En effet, la quantité de gaz dissous dans un liquide augmente avec la diminution de la température. Ainsi, l’oxygène, présent en grande quantité dans l’eau glacée, passe dans le sang du poisson jusqu’à ses organes sans qu’une protéine de transport soit nécessaire.  Les animaux à sang chaud Les animaux « à sang chaud » ou homéothermes doivent non seulement éviter de geler, mais aussi maintenir leur organisme à une température constante et élevée. Ils contrôlent les déperditions de chaleur en limitant le rapport surface corporelle/volume. Pour comprendre le principe, utilisons une figure géométrique simple : le cube (figure 5). Un cube dont le côté est deux fois plus grand voit sa surface multipliée par 4 alors que son volume l’est par 8. C’est pourquoi il n’existe pas de petits oiseaux ni de petits mammifères aux pôles. La déperdition de chaleur serait trop importante en raison d’une grande surface d’échange avec l’extérieur par rapport au volume. Une taille conséquente permet également de parcourir de plus grandes distances pour rechercher sa nourriture souvent rare sous ces climats.   Figure 6. Poils blancs et peau noire chez l’ours blanc. C’est d’ailleurs au pôle Nord que l’on trouve le plus grand prédateur terrestre : l’ours blanc. Étant principalement terrestre à la différence de nombreux animaux polaires, il a développé d’ingénieuses techniques pour limiter ses pertes de chaleur. L’hypoderme de sa peau est très épais, la graisse isolant du froid. Il est également recouvert d’une couche de poils allant de 5 à 10 cm d’épaisseur. Ces poils sont creux, ce qui emprisonne davantage d’air et isole l’animal. Plus étonnant : ces poils ne sont pas blancs mais transparents (figure 6) : ils laissent ainsi passer la lumière qui réchauffe la peau noire, agissant comme une serre ! Ces étonnantes adaptations permettent aux animaux polaires de résister au froid permanent de ces contrées. Toutefois, survivre à un froid passager et intense pendant l’hiver en région tempérée peut aussi être une gageure.   Le passage de l’hiver dans les régions tempérées Lorsque l’hiver survient, certains animaux choisissent de le fuir : ce sont les migrateurs, généralement des oiseaux.   Figure 7. Loir hibernant. D’autres choisissent de l’affronter : – en restant actifs comme les cerfs, les chevreuils ou les lapins, grâce à des mécanismes similaires (en moins perfectionnés) à ceux de l’ours polaire ; ralenti : c’est l’hibernation.  Hibernation et hivernation Les poïkilothermes ne craignent pas une baisse de la température de leur organisme tant qu’elle n’atteint pas 0 °C. Ils s’abritent dans une anfractuosité, sous terre ou dans un arbre creux… Leur métabolisme, très ralenti par le froid, consomme peu d’énergie et leur permet de vivre longtemps sur leurs réserves. C’est l’hivernation. Ainsi, une tortue de terre n’absorbe ni eau ni nourriture pendant 6 mois sans perdre plus de 10 % de sa masse ! Parmi les homéothermes, certains mammifères se plongent simplement dans un état de torpeur sans chute significative de la température corporelle comme l’ours, d’autres utilisent leurs réserves pour passer l’hiver. Ils abaissent leurs activités métaboliques grâce à l’hibernation. Avant l’hibernation, l’animal se gorge de nourriture afin de se constituer une réserve de graisse. Son poids est multiplié par 2 ou par 3. Aux premiers froids, il s’abrite dans un terrier ou un gîte pour s’isoler au mieux du froid. Il adopte alors une position repliée qui limite les pertes de chaleur puis ralentit sa thermogenèse. Ses activités métaboliques chutent de 98 %, ses rythmes respiratoire et cardiaque diminuent fortement : chez la marmotte, ils passent de 125 à 4 battements/minute. La température est voisine de celle de l’abri. Les réserves en métabolites des cellules s’épuisent, car les enzymes ne peuvent fonctionner à des températures si basses. C’est pourquoi, tous les 7 jours pour la marmotte et tous les 15 jours pour le loir (figure 7), l’animal augmente sa température corporelle jusqu’à sa valeur normale afin de reconstituer les réserves des cellules et éliminer les déchets. C’est à ces moments que les réserves de graisse sont consommées. Indépendamment de ces réveils périodiques, si la température descend en dessous de 0 °C, le réveil de l’animal lui permet de se préserver du gel. Ces animaux possèdent à la fois de la graisse blanche et de la graisse brune. La blanche est localisée dans l’hypoderme où elle sert de manteau isolant et de réserve énergétique alors que la brune, située profondément autour des organes, permet l’apport énergétique et la thermogenèse (figure 8).  Figure 8. Comparaison de la physiologie des adipocytes bruns riches en glycogènes (libération de chaleur) et des adipocytes blancs riches en triglycérides (stockage). Les adipocytes bruns sont des cellules polygonales de 20 à 50 μm de diamètre (plus petites que les adipocytes blancs). Du point de vue cellulaire et moléculaire, les adipocytes bruns se distinguent nettement des adipocytes blancs (4). Les lipides qu’ils renferment sont répartis dans de multiples petits globules, alors que dans les adipocytes blancs sont stockés dans une unique vésicule géante. Figure 9. Grenouille des bois pendant l’été (a) et congelée (b). Vous trouverez ici la vidéo de son gel et de son dégel Mais surtout les adipocytes bruns sont très riches en mitochondries qui jouent un rôle bien différent de celui qu’elles assurent dans tous les autres types cellulaires : au lieu de produire de l’énergie sous forme d’ATP, elles en dégagent sous forme de chaleur (c’est la thermogenèse). Cette capacité spécifique découle de l’expression, dans les adipocytes bruns, d’une protéine qui n’est exprimée dans aucun autre tissu : la protéine UCP1. Chez l’être humain, on trouve du tissu adipeux brun en quantité notable chez la femme enceinte et chez le petit, où il sert à lutter contre l’hypothermie, en faible quantité chez l’adulte. Il n’existerait pas en cas d’obésité(5). À l’inverse, quelques rares animaux à sang froid sont capables d’affronter les froids les plus rigoureux : c’est le cas de la grenouille des bois.  La protéine anti-gel La grenouille des bois (Lithobates sylvaticus) est une grenouille de 5 à 7 cm de longueur vivant en Amérique du Nord. Elle affectionne les milieux boisés. Quand l’hiver vient, elle se réfugie sous les feuilles, ce qui la protège peu du froid parfois rude. Étant poïkilotherme comme tous les amphibiens, sa température suit celle du milieu ambiant. Lorsque celle-ci descend trop bas, le corps de la grenouille gèle (figure 9). Mais cela ne la condamne pas car lorsque le printemps revient, elle dégèle et reprend son activité. Pour abaisser la température de fusion de ses fluides corporels, elle augmente leur teneur en glycérol. L’eau cellulaire, en congelant, forme des cristaux qui déchirent les organites. La grenouille synthétise alors des protéines antigel qui se fixent sur les cristaux pour éviter qu’ils ne deviennent trop grands. Elle adopte aussi une position ramassée et concentre l’eau de son corps dans ses organes vitaux. La périphérie du corps gèle, notamment la peau, mais le centre, constitué d’eau très concentrée en glycérol, garde une circulation sanguine. Ainsi, bien que les deux tiers de l’eau qui la composent soit gelés, cette grenouille survit au rigoureux hiver nord-américain.   Conclusion La comparaison des mécanismes d’adaptation au froid est intéressante, car elle met en lumière des phénomènes ingénieux chez certains animaux, comme la protéine anti-gel, qui trouvera peut-être un jour des applications thérapeutiques chez l’homme, ou le rapport tissu adipeux brun/tissu adipeux blanc, qui est l’objet de recherches intenses dans le domaine de l’obésité et de la cellulite.  

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