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Congrès

Publié le 10 fév 2022Lecture 6 min

Prurit chronique, une prise en charge complexe

Denise CARO, Boulogne-Billancourt

La stratégie thérapeutique du prurit chronique est d’autant plus complexe que les progrès accomplis dans la compréhension des mécanismes aboutissant à ce symptôme conduisent au développement de nouveaux traitements. Outre l’identification de la cause du prurit, l’objectif est d’interrompre le plus rapidement possible le cercle vicieux « prurit-grattage-prurit » responsable de la survenue d’un prurigo chronique.

L'existence d’une sensibilisation périphérique et centrale au prurit, responsable de la chronicisation du symptôme, est maintenant bien établie(1). Le prurigo chronique est une maladie distincte définie par la présence d’un prurit chronique depuis au moins six semaines, avec un grattage répété, et de multiples lésions cutanées prurigineuses localisées ou généralisées (papules blanchâtres ou rosées, nodules et/ou plaques). Le grattage initial peut être de n’importe quelle origine(2). Les stratégies thérapeutiques proposées dans le prurit chronique sont en constante évolution depuis quelques années(3). De multiples voies physiopathologiques sont en cours d’exploration, avec des essais cliniques – récemment achevés ou en cours – sur les anti-IL4/IL13, les inhibiteurs de la phosphodiestérase 4 (PDE4), les anti-IL31, les anti-NK1 et les inhibiteurs de JAK, les agonistes des récepteurs Kappa, les antagonistes μ des opiacés. Des recommandations européennes ont été publiées en 2012 et réactualisées en 2019(4). Le prurit est un symptôme présent dans de nombreuses maladies ; il peut être d’origine dermatologique, rénale, hépatique, hématologique, endocrinienne, métabolique, neurologique, psychogène, sénile ou iatrogène (penser à interroger les patients sur leurs traitements). Simultanément à la recherche de la cause et à son traitement spécifique, la prise en charge du prurit chronique se situe à plusieurs niveaux : règles générales, conseils cosmétiques, traitements topiques, traitements systémiques et nouveaux traitements. Fait important, l’origine du prurit conditionne la stratégie thérapeutique. Conseils généraux et traitements locaux Quelques recommandations sont utiles : appliquer un antiprurigineux pour éviter de se gratter, couper les ongles court, se laver à l’eau tiède, utiliser des pains surgras ou des syndets, recourir aux soins émollients et aux hydratants, éviter les irritants (antiseptiques) et les anti-inflammatoires (stéroïdiens ou non), porter des vêtements adaptés (pas trop serrés, excluant laine et nylon), préférer la fraîcheur à la chaleur. Certains cosmétiques revendiquent une activité antiprurigineuse : produits mentholés (Pruritol, AtopiControl Intensive), polidocanol (Sensinol), extraits d’algues (XeraCalm A.D.), calamine, Lipikar, etc. Seul l’AtopiControl Intensive (anti-TRP8) a fait l’objet d’une étude contrôlée principe actif contre excipient. Concernant les traitements topiques, les dermocorticoïdes ne sont indiqués que s’il y a une dermatose inflammatoire. Les inhibiteurs de calcineurine (tacrolimus, pimécrolimus) peuvent être intéressants. Les anesthésiques locaux sont réservés à un usage ponctuel (en cas de zona, par exemple). La capsaïcine existe en préparation magistrale. Des patchs de capsaïcine hautement concentrée (Qutenza), indiqués dans le prurit neuropathique localisé, ne sont délivrés que par des centres spécialisés et autorisés. Traitements systémiques et psychogènes De nombreux traitements généraux sont utilisés dans le prurit, souvent hors AMM. Les antihistaminiques sont recommandés seulement si l’histamine joue un rôle (urticaire), ce qui n’est pas le plus fréquent. Dans les autres cas, ils aggravent le prurit. La naltrexone est un antagoniste des récepteurs μ des opiacés indiqué dans le sevrage alcoolique, avec une certaine efficacité dans le prurit et une tolérance acceptable. Les gabapentinoïdes (gabapentine et prégabaline) bloquent les canaux calciques liés aux récepteurs du GABA. Ils ont une AMM dans l’épilepsie, l’anxiété, la douleur neuropathique. Ils peuvent être utiles, même pour des prurits non neuropathiques (insuffisance rénale, par exemple). Les doses seront augmentées progressivement (prégabaline 150-600 mg/j, gabapentine 900-3 600 mg/j) pour limiter les effets secondaires (somnolence, vertiges, céphalées, prise de poids). Rappelons que depuis mai 2021, face à l’augmentation d’abus, de dépendance, de mésusage et d’ordonnances falsifiées, la prescription de prégabaline est identique à celle des stupéfiants. Les psychotropes peuvent avoir une place, en particulier les sérotoninergiques ; la prescription d’anxiolytiques doit être limitée dans le temps. La duloxétine, un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (AMM dans la dépression, l’anxiété, les douleurs neuropathiques) a de bons résultats dans le prurit neuropathique. Les anticholinergiques peuvent être essayés dans le prurit aquagénique. Enfin, il ne faut pas négliger les approches psychologiques qui peuvent améliorer le prurit et le grattage. Diverses formes de psychothérapies sont proposées : psychothérapies de soutien, relaxation, biofeedback, yoga, sophrologie, TCC (thérapie cognitive comportementale), hypnose. La musicothérapie a été essayée pour calmer le prurit. Enfin, l’éducation thérapeutique est très utile, elle diminue le grattage et améliore le prurit. Des approches différentes en fonction de la cause Outre ces considérations générales, le traitement du prurit chronique dépend également de son origine. Un certain nombre de recommandations ont été faites dans ce domaine, incluant de nouvelles approches thérapeutiques. Au cours des dermatoses, la conduite à tenir est la suivante : à côté des conseils généraux, des émollients et des cosmétiques antiprurigineux, l’administration d’antihistaminiques est proposée ; en deuxième intention, le choix porte sur les gabapentinoïdes et les antagonistes des récepteurs μ-opioïdes ; on passera ensuite aux antidépresseurs, aux inhibiteurs de NK1 (anti-substance P) au premier rang desquels l’aprépitant(5). En cas de prurit persistant, en dépit du traitement de la dermatite atopique, on peut essayer la ciclosporine, le dupilumab (anti-IL4/IL13), le némolizumab (anti-IL31RA), les antidépresseurs, les inhibiteurs de JAK, les inhibiteurs de la phosphodiestérase 4, les agonistes des récepteurs Kappa des opiacés et les anti-NK1(6). Au cours de l’insuffisance rénale chronique, on commence par des émollients et des mesures générales. Si cela ne suffit pas, on propose : la capsaïcine (si localisé) ou les UVB (si généralisé), puis la gabapentine ou prégabaline. Avant l’arrivée de nouvelles options, la thalidomide était le dernier recours. Récemment, des antagonistes μ des opiacés (nalbuphine) ont montré une efficacité intéressante dans le prurit urémique(7). Un réel espoir porte sur un agoniste Kappa, la difelikefaline, qui a montré une efficacité très supérieure au placebo chez les patients hémodialysés souffrant de prurit(8). La difelikefaline n’est pas encore commercialisée. Dans le prurit hépatique, en plus du traitement de la cause, la cholestyramine, les UVB, la rifampicine, les gabapentoïdes, la naltrexone et les antidépresseurs (sertraline) peuvent être essayés. Concernant le prurit neuropathique, outre le traitement étiologique, les mesures générales et le soutien psychologique, des traitements topiques sont utiles en cas de prurit localisé ; on choisit en première intention la capsaïcine 0,025 % ou les anesthésiques locaux, puis la capsaïcine 8 %, l’acupuncture ou la neurostimulation. Si le prurit est généralisé, on peut proposer les gabapentinoïdes, et, en cas d’échec, l’aprépitant, la thalidomide, les opioïdes ou une neurostimulation transcrânienne(9). Prise en charge du prurigo nodulaire Des recommandations ont été publiées en 2020 sur la stratégie thérapeutique du prurigo nodulaire(10). On commence par des inhibiteurs de la calcineurine topique, des dermocorticoïdes ou des anti-H1. La deuxième étape repose sur la capsaïcine topique, des corticostéroïdes intralésionnels ou de la photothérapie. En cas d’échec, on peut se tourner, soit vers la gabapentine, la prégabaline et des antidépresseurs, soit vers la ciclosporine et le méthotrexate. La quatrième ligne repose sur la thalidomide et surtout sur de nouveaux médicaments comme les antagonistes NK1R (serlopitant), les antagonistes des récepteurs μ-opioïdes, le dupilumab, le némolizumab. Un essai a montré que le serlopitant est plus efficace que le placebo sur des prurits d’intensité légère ou modérée, avec quelques effets secondaires(11). Très prometteur, le némolizumab (anti-IL31) s’est avéré, dans un essai de phase 2, largement supérieur au placebo chez les patients atteints de prurigo nodulaire sévère à modéré(12). Enfin, une étude multicentrique française a mis en évidence l’efficacité et la bonne tolérance du dupilumab dans cette indication(13). À côté de ces innovations thérapeutiques, la création en 2019 de l’Association France prurigo nodulaire mérite d’être soulignée ; très active, elle apporte son aide aux patients et aux médecins(14). Le prurit est une cause de souffrance, autant que la douleur. Sa prise en charge est complexe avec un éventail thérapeutique élargi. Dans ce contexte, le développement de centres experts anti-prurit serait très souhaitable.

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