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Allergologie

Publié le 24 nov 2020Lecture 10 min

Allergies aux persulfates

Christian GÉRAUT*, Laurent GÉRAUT** - *Académie nationale de médecine, Paris ; **Service de médecine de prévention du ministère de la Défense, Paris

Les allergies aux persulfates utilisés autrefois en boulangerie dans la pâte à pain comme agent de levage, sont actuellement observées essentiellement chez les coiffeurs avec l’émergence de nombreuses autres utilisations comme la décontamination des sols. Il s’agit d’irritation cutanée, d’eczéma, d’urticaire, de rhinite, d’asthme, voire de choc anaphylactique. La prévention, reposant surtout sur l’éviction, est essentielle.

Professions exposées Actuellement, les persulfates d’ammonium, de potassium et de sodium sont massivement utilisés comme accélérateurs de décoloration dans la coiffure. Ils sont utilisés également comme fixateurs de permanentes. L’eau oxygénée à 20, 30 ou 40 volumes permet d’emblée un éclaircissement, renforcé par l’adjonction d’ammoniaque. Pour obtenir un éclaircissement supérieur, il est indispensable d’ajouter des persulfates à ce mélange. Ces produits de décoloration à base de persulfates se présentent sous forme soit de poudre en pot ou sachet à mélanger au moment de l’emploi uniquement avec un oxydant crème, soit de poudre à mélanger à une huile ou une crème et un oxydant crème. Ces poudres décolorantes contiennent des persulfates de sodium, de potassium, d’ammonium, des charges inertes (silicates, carbonates, phosphates), un chélateur, des agents de texture, etc. Toutefois, les industriels proposent désormais des formes compactes à volatilité réduite. Ces présentations sont moins facilement inhalables, mais plus onéreuses, ce qui en limite l’usage par les professionnels(1). Les publications récentes portant sur des séries de coiffeurs présentant des dermatoses de contact rapportent une prévalence de sensibilisation au persulfate d’ammonium variant de 10,8 % à 21,7 % des cas. Ces résultats semblent stables dans le temps, voire en légère augmentation(1-3). Les persulfates constituent donc un allergène cutané majeur pour les coiffeurs, parfois en première position devant les allergènes fréquents que sont la paraphénylène diamine, le nickel, les thioglycolates des permanentes, les biocides(1,2). Ils sont également utilisés dans l’industrie chimique, métallurgique, pharmaceutique, cosmétique, agro-alimentaire, certains traitements dentaires (nettoyage et blanchiment de prothèses), la photographie, la gravure à l’eau, le traitement de surface, le traitement des textiles ou du papier. Les persulfates sont également des réactifs d’analyse chimique et des catalyseurs de polymérisation. Ils sont utilisés en grande quantité pour la décontamination de sols souillés par des solvants ou hydrocarbures. Les persulfates présentent un intérêt commercial et industriel majeur du fait de leurs grandes propriétés oxydantes, en particulier le persulfate d’ammonium ([NH4]2 S208), le persulfate de potassium (K2 S208) et le persulfate de sodium (Na2 S208)(1). Aspects cliniques Dermatites de contact Les lésions présentent une rythmicité professionnelle, disparaissant lors de congés suffisamment prolongés et récidivant à la reprise du travail. Les localisations préférentielles chez les coiffeurs sont les mains et les avant-bras du fait du travail en milieu humide (puissant facteur irritatif) et des contacts prolongés avec les produits de coiffure(1-3). Chez les personnes traitées, elles se situent dans le cuir chevelu et sur le front sous forme de brûlures, d’œdème et d’érythème(1-3). Dermatites irritatives Chez l’homme, les solutions aqueuses dépassant 5 % de persulfates peuvent être irritantes(1-3). Les lésions sont classiquement subaiguës ou chroniques, parfois aiguës, limitées en surface aux zones en contact direct avec les produits irritants, et ont un aspect érythémateux, souvent œdémateux, fissuraire et suintant, rarement vésiculeux, plus ou moins douloureux sur un fond cutané de déshydratation. Eczémas de contact par hypersensibilité retardée Les lésions d’eczéma de contact comportent des zones prurigineuses, puis érythémato-œdémato-vésiculeuses et suintantes, débordant largement la zone de contact direct avec les allergènes. Concernant les eczémas de contact de type retardé, le caractère immunologique peut être établi par la positivité de tests épicutanés (réaction vésiculeuse à la 48e heure) avec le persulfate d’ammonium et le persulfate de potassium dilués à 0,1 %, 1 %, 2,5 % ou 5 % dans la vaseline. Le test à 2,5 % dans la vaseline est le plus couramment utilisé(1). Urticaires de contact Des réactions œdémato-urticariennes correspondant à des allergies cutanées immédiates ont été décrites suite à l’application cutanée de crèmes contenant du persulfate d’ammonium. Le cuir chevelu est particulièrement concerné par les solutions décolorantes. Ces urticaires de contact sont parfois géantes et associées à d’autres manifestations (œdème de Quincke)(1,4,5). Les urticaires aux persulfates sont relativement rares. En outre, pour les persulfates, l’application cutanée de patchtests ou de prick-tests expose au risque de survenue de manifestations immédiates, œdémato-urticariennes, ORL, voire générales. Les prick-tests ne sont pas pratiqués de façon routinière et doivent être effectués avec précaution, en milieu spécialisé, pour éviter tout risque de manifestation asthmatique ou anaphylactique. Maladies respiratoires allergiques causées par les persulfates Les persulfates ont des propriétés irritantes modérées pour les voies aériennes et la muqueuse oculaire(1). Mélangés à l’eau oxygénée, ils induisent une hyperréactivité bronchique(6). Rhinite allergique La rhinite allergique se traduit par un prurit nasal, des éternuements, une rhinorrhée et une obstruction nasale bilatérales ; elle est évoquée devant plus de 2 symptômes plusieurs semaines par an. Elle est fréquemment associée à une conjonctivite(6). La rhinite survient au travail les jours où sont manipulés les persulfates. L’asthme accompagne d’emblée la rhinite ou, le plus souvent, la complique après un délai de quelques semaines ou mois. Il convient de distinguer en milieu professionnel 2 types de rhinites(1,7) : la rhinite allergique professionnelle, maladie inflammatoire de la muqueuse nasale, manifestée par une hyperréactivité nasale spécifique à l’égard d’une substance présente sur le lieu de travail ; la rhinite aggravée par le travail, allergique ou non, préexistante ou récemment apparue, dont les manifestations sont exacerbées et non induites par l’exposition aux nuisances professionnelles. L’inflammation de la muqueuse nasale est favorisée par le caractère irritant des persulfates. La prévalence de la rhinite a été estimée en 1998 à 2 % des coiffeurs(1,7). Ces symptômes surviennent en coiffure chez des professionnels très jeunes, avec une médiane de l’âge de survenue des premières manifestations de la maladie de 21,5 ans. En effet, ils sont exposés aux allergènes dès le début de leur apprentissage à l’âge de 16 ans(7). Une rhinoscopie antérieure permet de savoir s’il existe une polypose nasale ou des signes de sinusite ou une déviation nasale ; une muqueuse pâle et œdématiée, la présence d’un mucus aqueux sont des éléments d’orientation en faveur d’une rhinite allergique. Les tests immunologiques comprennent classiquement le dosage in vitro des immunoglobulines spécifiques et les tests cutanés (prick-tests). La confirmation du diagnostic étiologique peut être obtenue grâce à des tests d’exposition spécifiques (test de provocation nasale en cas de rhinite isolée ou accompagnant un asthme, test de provocation bronchique en cas d’asthme). Le test de provocation nasale est intéressant en cas de rhinite isolée ou accompagnant l’asthme. Figure 1. Application de persulfates pour décoloration de cheveux. Figure 2. Test épicutané positif aux persulfates. Avec les persulfates, l’inhalation du produit en poudre mélangé à du lactose reproduit la réaction syndromique et s’accompagne d’un doublement des résistances nasales(1,7). La présence d’une rhinite aux persulfates est un facteur favorisant l’apparition d’un asthme. Asthme Les asthmes aux persulfates présentent les caractéristiques générales des asthmes liés aux allergènes de faible poids moléculaire (rôle de l’atopie discutable, immunoglobulines de type E [IgE] retrouvées de façon inconstante). En milieu professionnel, il convient de distinguer deux situations : l’asthme préexistant qui est aggravé par le travail ; l’asthme professionnel qui est directement causé par les expositions en milieu de travail. L’asthme professionnel est lui-même divisé en 2 catégories : l’asthme sans période de latence de mécanisme irritatif (par exemple, le syndrome de Brooks) ;  l’asthme avec période de latence dont le mécanisme présente une dominante immuno-allergique. La coiffure est une profession à risque pour les asthmes professionnels. Dans l’étude RHINE, le risque relatif pour un coiffeur de développer un asthme professionnel en comparaison avec la population générale est de 1,9 (en limite de significativité)(8,9). Sur la période 2008-2011, l’Observatoire national des asthmes professionnels (ONAP) identifie les persulfates alcalins en 4eposition des agents étiologiques d’asthmes professionnels, étant responsables de plus de 8 % des asthmes professionnels expertisés(9). L’ONAP estime en France que l’incidence annuelle moyenne de l’asthme professionnel est de 308 cas par million pour les coiffeurs(9). Dans le cas de l’asthme professionnel, les explorations comporteront : la recherche d’un terrain atopique (interrogatoire, tests cutanés aux pneumallergènes domestiques, dosage des IgE totales) qui pourrait expliquer une susceptibilité particulière aux irritants respiratoires(1) ; des épreuves fonctionnelles respiratoires qui seront importantes pour le diagnostic (troubles ventilatoires obstructifs réversibles) et le suivi de la pathologie. Elles comprennent la spirométrie, la courbe débit-volume, le test de réversibilité, et cet examen des EFR est utilement complété par la recherche d’une hyperréactivité bronchique non spécifique au moyen d’un test de provocation à la métacholine ou bien à l’histamine. Il est utile de réaliser des enregistrements du débit de pointe au cours des périodes d’activité professionnelle et des congés, afin de détecter les fluctuations de valeur (décroissance du débit de pointe pendant les périodes de travail, amélioration pendant les congés). Les mesures sont au minimum biquotidiennes, pratiquées au moment des symptômes et réalisées pendant des congés d’au moins 3 semaines. Le test de provocation bronchique spécifique est souvent considéré comme le test le plus élaboré permettant de confirmer ou d’infirmer l’asthme professionnel. Il est pratiqué en cabine sur le sujet hospitalisé. Il a été décrit avec les persulfates. L’exposition consiste à reproduire le geste professionnel : mélange de poudre de persulfates avec du peroxyde d’hydrogène pour obtenir une pâte décolorante. Une réponse bronchique immédiate et de courte durée est d’origine irritative. N’étant pas dénués de risques, ces tests sont menés en milieu hospitalier(10). Les agents qui sont exposés de façon prolongée à une substance déclenchant chez eux des symptômes asthmatiques ont un risque accru de persistance de l’asthme à distance de l’éviction complète. Choc anaphylactique Deux cas de chocs anaphylactiques ont été rapportés récemment par M. Hoekstra et coll. aux Pays-Bas et en Allemagne chez une personne subissant une décoloration et chez un coiffeur(11). Prévention des affections respiratoires Les affections professionnelles dues aux persulfates obligent habituellement le sujet atteint à changer d’activité surtout en cas d’asthme professionnel. Le traitement curatif de la rhinite et de l’asthme de mécanisme allergique et d’origine professionnelle est l’éviction totale et précoce de l’allergène(1,12). Il existe des traitements médicamenteux symptomatiques de la rhinite allergique : les antihistaminiques, les chromones et les corticoïdes locaux. Il semble que ces traitements permettent une amélioration importante mais transitoire, avec à terme un risque de récidive et d’évolution vers la maladie asthmatique. Éviction des contacts avec les persulfates Pour limiter les intolérances professionnelles aux persulfates, il est conseillé d’utiliser des poudres décolorantes compactes (non volatiles) et surtout des crèmes de décoloration anhydres. L’éviction totale s’avère en pratique très difficile à mettre en place. Une étude menée en 1995 avait montré que dans les 3 années après le diagnostic d’asthme professionnel, 44 % des patients avaient quitté leur précédent travail et que 25 % étaient sans emploi. 32 % des personnes étaient maintenues au même poste et avec les mêmes expositions(10). Ventilation La présence d’un local technique réservé pour la préparation de ces produits de décoloration constitue une mesure utile de prévention. Il semblerait que les salons de coiffure soient prochainement tenus de disposer de hottes aspirantes permettant une aspiration à la source lors de la préparation des décolorations. Prévention des affections cutanées Le port de gants en nitrile est indispensable pour la pratique des décolorations, ainsi que lors de la manipulation des cheveux fraîchement traités. Les soins accompagnés au besoin par un arrêt de travail suffisant sont indispensables avant l’application de mesures de prévention, celle-ci n’étant vraiment efficace que sur peau saine, car la macération sous gants est un facteur de récidive rapide sur peau encore malade(13). Organisation, techniques de travail Une hygiène soignée des mains est indispensable avec des savons peu agressifs, de type surgras. Le lavage soigneux des instruments et du matériel contaminés, ainsi qu’une bonne répartition des tâches dans les salons de coiffure est souhaitable. Dans une enquête menée auprès de coiffeurs danois, il apparaît qu’environ 10 % d’entre eux utilisent des gants pendant les shampoings et 50 % lors des procédures de coloration ou décoloration(14). Compte tenu de la fréquence élevée de dermatite de contact dans les métiers de la coiffure, la prévention s’avère essentielle dès l’apprentissage du métier. Elle doit être précoce et insister sur les risques associés au travail en milieu humide et à la manipulation des produits de la coiffure. Réparation Pour les salariés du régime général, la rhinite et l’asthme contractés lors de la manipulation professionnelle des persulfates alcalins sont réparés par le tableau des maladies professionnelles n°66. Les dermatites eczématiformes sont réparées par le tableau n°65. Cette protection ne concerne les travailleurs indépendants et les employeurs que lorsque ceux-ci y adhèrent et cotisent ; ce qui est rare.

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