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Maladie de système, Médecine interne

Publié le 29 juin 2020Lecture 8 min

L’urticaire neutrophilique

Jean-Benoit MONFORT, Service de dermatologie, allergologie et médecine vasculaire, hôpital Tenon, Paris

L’existence de l’urticaire neutrophilique est débattue. Pour certains, il s’agit d’une réelle entité, avec des caractéristiques cliniques, biologiques particulières, ainsi qu’une prise en charge thérapeutique différente. Pour d’autres, il s’agit d’une urticaire chronique simple. Cet article tente de faire une mise au point sur la littérature et de guider la prise en charge thérapeutique.

L’existence de l’urticaire neutrophilique (UN) en tant qu’entité nosologique est encore aujourd’hui débattue. L’urticaire est caractérisée sur le plan histologique par un oedème dermique, une dilatation capillaire et un infiltrat inflammatoire souvent discret (figure 1). Celui-ci peut être composé de lymphocytes, de polynucléaires éosinophiles et neutrophiles (PNN) dans des proportions variées. Dans certaines urticaires, il a été noté une richesse particulière en PNN (figure 2), d’où le terme d’urticaire neutrophilique, qui pourrait correspondre à une entité nosologique à part, avec des caractéristiques cliniques et biologiques particulières. Figure 1. Urticaire banale. Discret infiltrat péri-capillaire polymorphe constitué de lymphocytes, polynucléaires neutrophiles et éosinophiles. Figure 2. Urticaire neutrophilique : riche infiltration du tissu interstitiel dermique par des polynucléaires neutrophiles. En 1985, une étude rétrospective de 241 biopsies de patients atteints d’urticaire chronique met en évidence une richesse particulière en PNN sur 10 biopsies. Ces PNN infiltraient la paroi veinulaire, mais sans image de vascularite nécrosante (« veinulite neutrophilique »). Les auteurs concluaient qu’il s’agissait probablement d’une nouvelle entité, différente de la vascularite urticarienne et de l’urticaire chronique. En 1988, apparaît dans la littérature le terme d’UN. Il s’agissait d’une étude rétrospective de 265 biopsies de patients, où il existait dans 23 cas (soit 8,7 %) une image d’infiltrat neutrophilique diffus, sans vascularite. Les patients avaient une urticaire aiguë dans 6 cas et une urticaire chronique dans 17 cas. Il existait une hyperleucocytose à l’hémogramme dans 2 cas seulement. Il n’y avait aucune corrélation entre la présence d’un infiltrat neutrophilique à l’histologie et les caractéristiques cliniques de l’urticaire. Depuis, plusieurs études ont mis en évidence des infiltrats neutrophiliques dans des biopsies cutanées de patients atteints d’urticaire aiguë ou chronique, sans jamais démontrer formellement que l’UN était une entité nosologique à part. Par ailleurs, le délai entre l’apparition de l’éruption et la biopsie cutanée a son importance. En 1999, Sabroe et coll. ont étudié l’histologie de 22 patients atteints d’UC dites idiopathiques, biopsiés sur des papules évoluant depuis moins de 4 h et plus de 12 h. Ils concluaient que les PNN et les éosinophiles étaient présents de façon précoce, et qu’ils se localisaient préférentiellement dans la paroi des vaisseaux dans les lésions récentes et plutôt dans le tissu interstitiel dans les lésions cutanées plus anciennes. Cela pourrait en partie expliquer la présence ou l’absence de PNN dans les biopsies d’urticaire banale. Winkelmann et oll., dans leur étude rétrospective de 23 biopsies d’urticaire avec présence de neutrophiles, avaient trois cas où deux biopsies avaient été effectuées à des moments distincts : dans un cas, l’aspect était identique. Dans le second, la biopsie précoce mettait en évidence des lymphocytes périvasculaires alors qu’il existait des PNN périvasculaires dans la biopsie plus tardive. Dans le dernier cas, il existait un infiltrat neutrophilique dans la première biopsie, alors que la seconde mettait en évidence un infiltrat inflammatoire non spécifique avec des éosinophiles. Il existe cependant certaines maladies où les patients présentent une urticaire avec une richesse particulière en PNN à l’histologie, dont l’existence est indéniable. Il s’agit des cryopyrinopathies, où il existe une mutation du gène NLRP3 codant pour la cryopyrine. Cette mutation gain de fonction entraîne une activation de l’inflammasome et une sécrétion élevée d’IL-1. Trois entités cliniques, de gravité croissante, sont associées à cette mutation : l’urticaire familiale au froid (FCAS), le syndrome de Muckle-Wells (MWS) et le syndrome CINCA. Lors de ces affections, de transmission autosomique dominante, les patients présentent de nombreux signes extracutanés : fièvre élevée récurrente, arthralgies, surdité voire signes neurologiques… Il existe un risque d’amylose AA secondaire. Lors des poussées, il existe un syndrome inflammatoire important, avec une hyperleucocytose à PNN et une CRP élevée. L’atteinte cutanée se manifeste par une urticaire déclenchée au froid (FCAS), généralement peu prurigineuse, mais accompagnée d’une sensation de brûlure. L’éruption peut apparaître dans les premières minutes de vie, juste après l’accouchement (MWS, CINCA). Le test au glaçon est négatif. L’examen histologique met en évidence un oedème discret du derme papillaire, une dilatation des capillaires du derme superficiel ainsi qu’un infiltrat périvasculaire et périeccrine à large prédominance neutrophilique sur toute la hauteur du derme. Le traitement repose sur les anti-IL1. La colchicine est inefficace. Le problème du dermatologue concerne plutôt les tableaux cliniques où l’urticaire chronique est isolée, ou bien l’examen extra-dermatologique pauvre, et lorsque l’examen histologique met en évidence une urticaire riche en neutrophiles. L’examen histologique n’est pas utile pour le diagnostic d’urticaire chronique spontanée (UCS), ni pour celui d’urticaire aiguë. La biopsie n’est recommandée que lorsque l’urticaire chronique est fixe ou pas prurigineuse, pour éliminer une vascularite urticarienne. Il n’existe aucune recommandation sur la conduite à tenir en cas d’urticaire riche en neutrophiles. Caractéristiques clinico-biologiques Il est classiquement admis en pratique que l’UN est une urticaire peu prurigineuse (figure 3), régressant en 24 h. Ce dogme ne repose en fait sur aucune étude. Il s’agit essentiellement d’une extrapolation des caractéristiques de l’urticaire dans les maladies auto-inflammatoires. En 2012, une étude comparant 48 patients avec une histologie d’urticaire riche en neutrophiles et 36 patients avec une histologie d’urticaire non neutrophilique n’a mis aucune différence significative entre les 2 groupes pour différentes caractéristiques cliniques, notamment la durée d’évolution et l’existence d’une pigmentation résiduelle ou non. D’autres études portant sur des effectifs plus réduits n’ont également mis en évidence aucune caractéristique clinique particulière chez les patients avec une urticaire riche en PNN à l’histologie. Figure 3. Urticaire neutrophilique. Sur le plan biologique en revanche, des différences significatives ont été mises en évidence. Il s’agit cependant d’études rétrospectives portant sur un nombre faible de pa tients. Toppe et coll. ont mis en évidence une hyperleucocytose plus fréquente, une VS plus élevée et un complément plus bas chez les patients atteints d’UN (22 patients et 10 patients contrôles). Llamas-Velasco et coll. ont mis en évidence une hyperleucocytose significativement plus fréquente dans le groupe UN (48 patients vs 36 patients contrôles). La littérature sur les pathologies associées à l’UN est très pauvre. Certaines pathologies ont été décrites dans des séries rétrospectives, elles restaient cependant rares, sans pouvoir réellement savoir si elles étaient plus fréquentes que dans la population générale : polyarthrite rhumatoïde, hypothyroïdie, insuffisance surrénale… Pour d’autres études, les maladies ne sont pas plus fréquentes en cas d’UN. Diagnostics différentiels L’urticaire chronique spontanée (UCS) est une dermatose fréquente et constitue le principal diagnostic différentiel. Les lésions sont papuleuses, bien limitées, prurigineuses et migratrices, des angioedèmes sont fréquemment associés (dans environ 40 % des cas). Les patients sont souvent biopsés quand il existe des atypies cliniques ; des lésions peu prurigineuses, des lésions fixes ou annulaires par exemple. Comme évoqué plus haut, la biopsie n’est pas systématique. Or, il existe des urticaires chroniques avec infiltrat neutrophilique. Actuellement, on ne connaît pas la fréquence de tels infiltrats en cas de biopsies cutanées systématiques de tous les patients atteints d’UCS. Pour certains, l’UN serait donc en fait une simple UCS. La vascularite urticarienne est évoquée devant des lésions urticariennes volontiers annulaires, mais surtout fixes (5 jours environ). Des signes généraux traduisant une atteinte viscérale peuvent être associés. L’histologie permet de confirmer le diagnostic : atteinte vasculaire avec nécrose fibrinoïde des vaisseaux de petit calibre, présence d’une leucocytoclasie, hématies extravasées dans le derme périvasculaire. En 2009, Kieffer et coll. ont décrit une entité appelée dermatose urticarienne neutrophilique (DUN) chez 12 patients. L’éruption était constituée de macules ou de papules à peine en relief, avec un oedème quasiabsent. À l’histologie, il existait un infiltrat neutrophilique, interstitiel et périvasculaire, ainsi qu’une leucocytoclasie sans vascularite ni oedème. Les auteurs proposaient de classer la DUN dans le spectre des dermatoses neutrophiliques plutôt que celui des urticaires. La majorité des patients (77,7 %) avaient une pathologie associée : syndrome de Schnitzler, maladie de Still de l’adulte, lupus érythémateux systémique. Le syndrome de Schnitzler, décrit pour la première fois en 1972, est par définition l’association d’une éruption urticarienne fugace (< 24 h), peu oedémateuse, associée à une gammapathie monoclonale IgM ou plus rarement IgG, un syndrome inflammatoire biologique (CRP élevée, hyperleucocytose), une fièvre récurrente et des douleurs osseuses. L’histologie met en évidence un infiltrat neutrophilique, sans vascularite, mais avec une leuco cytoclasie. Le syndrome de Schnitzler n’est donc pas dans le même continuum qu’une simple UN mais a des spécificités cliniques, et la présence d’une leucocytoclasie à l’histologie et appartient au spectre des DUN, avec des caractéristiques cliniques propres dont les critères diagnostiques ont été validés. Traitement La littérature est assez pauvre sur ce sujet car les séries rétrospectives mêlent généralement UCS, UN et syndrome de Schnitzler. Amin et coll. ont montré, à partir de biopsies sur 221 patients atteints d’UC, que lorsqu’il existait un infiltrat neutrophilique à l’histologie, la maladie était beaucoup moins bien contrôlée, alors qu’au contraire un infiltrat lymphocytaire était associé à une bonne réponse thérapeutique. Dans une étude rétrospective, à partir de biopsies cutanées effectuées chez 221 patients atteints d’UC, l’utilisation de dapsone était significativement associée à un meilleur contrôle de la maladie chez les patients avec un infiltrat neutrophilique à l’histologie. Ce n’était pas le cas avec la colchicine, la ciclosporine, l’hydroxychloroquine, la sulfasalazine et la corticothérapie générale. Il n’existe aucune donnée sur les doses utilisées et la durée de la corticothérapie générale, ni sur un éventuel rôle aggravant des corticoïdes (effet rebond) sur l’UN dans la littérature. Dans l’étude princeps sur la DUN, les 9 patients étaient traités par colchicine, dapsone ou méthotrexate. L’anakinra, anticorps monoclonal anti-récepteur à l’interleukine-1, a l’AMM pour le traitement du syndrome de Schnitzler. Il n’y a aucune étude sur son éventuel intérêt dans l’UN. L’omalizumab (Xolair®), anticorps monoclonal anti-IgE, a l’AMM pour le traitement de l’UCS. Il n’existe aucune étude sur son éventuel intérêt dans l’UN. En pratique, par extrapolation, le traitement de première intention pour l’UN est la colchicine. En cas d’échec, la dapsone ou le méthotrexate peuvent être utilisés. Conclusion • L’existence de l’UN en tant qu’entité nosologique reste difficile à affirmer, d’après la littérature. Des études prospectives seraient nécessaires afin de mieux caractériser les patients atteints d’urticaire avec un infiltrat neutrophilique à l’histologie. La présence d’un infiltrat neutrophilique à l’histologie semblerait être associée avec une moins bonne réponse thérapeutique qu’une simple urticaire chronique. • Nous pensons cependant que l’UN est une entité qui existe. L’existence d’un infiltrat neutrophilique riche à l’histologie doit faire éliminer une maladie auto-inflammatoire et une maladie auto-immune sous-jacente. Le traitement, empirique, repose sur la colchicine en première intention, puis la dapsone ou le méthotrexate en cas d’échec.

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