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Dermatologie générale

Publié le 20 déc 2017Lecture 8 min

Syndrome mains-pieds

Ève DESMEDT, Centre hospitalier de Douai

Le syndrome mains-pieds (SMP), aussi appelé érythro-dysesthésie palmo-plantaire, est un effet secondaire classique et bien connu de certaines chimiothérapies. Depuis l’utilisation des thérapies ciblées en oncologie, une nouvelle forme de SMP, cliniquement différente, a été décrite. On peut donc distinguer 2 formes de SMP : le SMP « classique » et le SMP secondaire aux inhibiteurs de la tyrosine kinase (ITK), aussi appelé par les Anglo-Saxons « Hand foot skin reaction » (HFSR) pour le différencier du SMP classique.

La connaissance de ce type de toxicité est primordiale car elle peut être responsable d’une altération importante de la qualité de vie chez certains patients et de l’arrêt des thérapeutiques anticancéreuses. Épidémiologie Le SMP « classique » est secondaire principalement au 5-fluoro-uracile, à la capécitabine, à la doxorubicine liposomale, à la cytarabine ou au docetaxel. Il touche par exemple jusqu’à 50 % des patients traités par doxorubicine liposomale avec 20 % de grade 3 dans certaines études. Sous capécitabine, utilisée dans le cancer du sein, le syndrome mains-pieds touche également 50 % des patientes dès le premier cycle de traitement. L’association doxorubicine et 5FU peut même être responsable d’un SMP chez 89 % des patients. Le SMP secondaire aux ITK est également très fréquent, atteignant jusqu’à 60 % des patients traités par regorafenib, 30 % et 20 % des patients traités par sorafenib et sunitib, également décrit avec le pazopanib et l’axitinib. Les anti-BRAF seuls sont également pourvoyeurs de SMP, mais leur association aux anti-MEK diminue nettement son incidence. Aspect clinique Le SMP classique débute souvent par des dysesthésies, puis secondairement, une sensation de brûlures et/ou des douleurs peuvent apparaître. Ce SMP peut se manifester par un érythème, voire un œdème ou juste une xérose apparaissant le plus souvent dans les 2 premiers mois de traitement (figure 1). On peut également observer une desquamation importante, des érosions ou des ulcérations (figure 2). Des évolutions bulleuses ont été observées, initialement avec la cytarabine puis avec d’autres molécules. Les paumes sont classiquement plus touchées que les plantes mais un érythème peut apparaître simultanément en dehors des zones acrales, en particulier sur le tronc, le cou, mais également parfois en regard de zones de frottement ou pression comme la ceinture, les aisselles. Figure 1. SMP sous chimiothérapie : érythème diffus des mains. Figure 2. SMP sous capécitabine : érythème et desquamation importante. La principale caractéristique clinique du SMP sous ITK est la survenue de zones hyperkératosiques au niveau des points d’appui parfois entourées d’un halo érythémateux (figure 3). Cette hyperkératose est parfois le seul signe clinique et elle est responsable principalement de la symptomatologie douloureuse (figures 4 et 5). L’érythème est moins souvent présent que dans le SMP classique. Plus rarement, on peut observer une évolution bulleuse et/ou érosive (figures 6 et 7). L’atteinte plantaire est prédominante, 2 fois plus fréquente que l’atteinte palmaire (figure 8). Figure 3. SMP sous ITK : érythème et zones hyperkératosiques.   Figures 4 et 5. SMP sous ITK avec hyperkératose isolée. Figures 7 et 8. SMP sous ITK : évolution bulleuse. Figure 8. SMP sous ITK : atteinte des mains avec zones d'hyperkératoses circonscrites. La classification des grades, identique pour les 2 formes, est basée principalement sur le retentissement fonctionnel (tableau ci-dessous). Facteurs de risque Certaines variations génétiques influençant le métabolisme des traitements peuvent favoriser la survenue du SMP. Sous capécitabine, une étude retrouve le rôle du diabète, de l’utilisation concomitante de bevacizumab, d’un traitement antérieur par 5FU et de la survenue d’un SMP grade 1 avant 21 jours. La présence d’une hyperkératose préexistante est clairement reconnue comme étant un facteur de risque de SMP sous ITK. Par ailleurs, une étude asiatique met en évidence certains facteurs de risque de survenue de SMP sous sorafenib : faible durée d’utilisation du sorafenib, bon ECOG, CRP élevée, sexe féminin alors que la présence de métastases hépatiques ou de plusieurs sites métastatiques et un taux normal de leucocytes avaient déjà été retrouvés dans une étude antérieure avec le sorafenib. La survenue de SMP serait, dans certains cas, associée à un meilleur pronostic comme ce qui est décrit sous bevacizumab et capécitabine dans le cancer du sein ou sous capécitabine et erlotinib dans le cancer du pancréas(1). Physiopathologie Le SMP est drogue-, dose- et durée d’exposition-dépendant, ce qui est en faveur de l’hypothèse d’un effet toxique direct des molécules au niveau palmo-plantaire(2). Le SMP est plus fréquent avec la forme liposomale de la doxorubicine et avec la capécitabine, prodrogue orale du FU, car le taux sanguin de ces chimiothérapies reste élevé. La localisation peut être expliquée par plusieurs facteurs : renouvellement plus rapide de l’épiderme, microvascularisation différente, plus forte concentration de glandes eccrines (excrétion des cytotoxiques dans sueur), microtraumatismes répétés. Le rôle de ces microtraumatismes est illustré par la survenue parfois unilatérale du SMP du côté valide chez un patient hémiplégique. En ce qui concerne les ITK, en inhibant le VEGFR et le PDGFR, ils peuvent entraîner des altérations des petits vaisseaux, fréquemment traumatisés au niveau palmo-plantaire(3). Par ailleurs, le rôle des kinases de la famille RAF sur le contrôle de la capacité de prolifération et de la différenciation cellulaire des cellules de la couche basale de l’épiderme a été mis en évidence. En agissant sur RAF, les ITK pourraient interférer avec la prolifération et la différenciation des cellules de l’épiderme, ce qui pourrait expliquer les anomalies cutanées observées suite à l’utilisation de cette molécule. Prise en charge thérapeutique Des mesures préventives communes sont primordiales : – éviter les exercices physiques importants et les activités entraînant des microtraumatismes palmo-plantaires répétés, comme la course à pieds, le jardinage, etc. ; – éviter le port de chaussettes, gants serrés, bagues ou bracelets ; – préférer des chaussures bien confortables, non serrées, sans hauts talons, porter des semelles protectrices ; – appliquer régulièrement un émollient ; – éviter l’eau trop chaude entraînant une vasodilatation importante ; – éduquer les patients +++, bon accompagnement, mise en relation avec une infirmière d’éducation. Des différences de prise en charge sont ensuite observées • SMP classique L’utilisation de manchons ou gants réfrigérants avec certaines chimiothérapies IV comme le docetaxel peut permettre de diminuer l’incidence et la sévérité du SMP, mais cette stratégie est peu utilisée en pratique. La prescription d’un antitranspirant à base de chlorydrate d’aluminium pourrait permettre de diminuer la sévérité du syndrome mains-pieds sous doxorubicine liposomale(5). L’utilisation en prévention de la pyridoxine a souvent été proposée mais d’après plusieurs métaanalyses(6), elle ne semble pas apporter de bénéfice. La prescription de celecoxib a permis, dans un essai de phase III randomisé, de diminuer significativement l’incidence du SMP grades 1 et 2 sous capécitabine(7). Sur le plan thérapeutique, l’utilisation d’émollient et de dermocorticoïdes de classe très forte est très souvent proposée et permet un bénéfice clinique en diminuant l’inflammation locale. La corticothérapie générale n’est pas validée, mais pourrait dans certains cas être bénéfique comme le montre une étude portant sur la doxorubicine liposomale. Huit malades ont alors reçu de la dexaméthasone à la dose de 8 mg 2 fois par jour de J1 à J5, 4 mg 2 fois par jour à J6, puis 4 mg à J7 et ont pu observer une nette amélioration du SMP sans réduction de la dose de la chimiothérapie(8). D’autres traitements plus anecdotiques sont décrits sans réelle preuve d’efficacité, comme la vitamine E, l’utilisation de patch nicotinique, le diméthyl sulfoxide topique. • SMP sous ITK En prévention, la prise en charge d’une hyperkératose préalable est proposée. L’utilisation préventive trois fois par jour d’une crème à l’urée à 10 % a permis de limiter la sévérité du SMP chez des patients traités par sorafenib(9). Le traitement curatif doit être adapté à la situation clinique, mais le plus souvent c’est la présence d’une hyperkératose importante qui est responsable d’une gêne fonctionnelle invalidante. Pour traiter ces zones hyperkératosiques, l’application quotidienne ou biquotidienne d’une crème kératolytique est clairement recommandée ; par exemple une préparation magistrale à base d’urée 10 à 40 % ou d’acide salicylique 5 à 10 %. Les soins de pédicurie réguliers pour décapage de l’hyperkératose apportent également un bénéfice clinique et sont facilités par l’application des kératolytiques. L’application quotidienne d’un dermocorticoïde puissant de type clobétasol propionate est également conseillée et peut être bénéfique, principalement en cas d’érythème important. En cas d’évolution bulleuse ou érosive, il convient d’utiliser des pansements de type hydrocellulaire. On peut proposer l’application de topique anesthésiant type lidocaïne. D’autres traitements ont fait l’objet de publications encourageantes sans recommandations bien définies : vitamine E, crème contenant de l’héparine topique, photothérapie. Pour les 2 formes de SMP, des adaptations de dose ou d’interruption de traitement sont parfois nécessaires, en particulier pour les SMP de grades 3 et 2 persistants. Il est souvent recommandé d’interrompre le traitement pendant 1 semaine, soit jusqu’à résolution des symptômes, ou retour à un grade 1. Ces schémas de réduction de dose sont souvent bien détaillés dans les RCP de chaque molécule. En conclusion, le SMP est un effet secondaire fréquent des chimiothérapies et parfois très invalidant. Une nouvelle forme clinique est décrite sous ITK avec la survenue de zones hyperkératosiques douloureuses. La prise en charge du SMP reste difficile : les dermocorticoïdes puissants et les émollients plus au moins kératolytiques apportent un bénéfice. L’éducation du patient est primordiale ainsi que le maintien de la meilleure qualité de vie possible.

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