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Cas cliniques

Publié le 09 nov 2016Lecture 5 min

Erythema elevatum diutinum : révélation d’une poussée infraclinique de maladie de Crohn

P. BERBIS, Hôpital Nord, CHU de Marseille

Une femme de 29 ans, suivie et traitée par corticothérapie générale (0,5 mg/kg/j) pour une maladie de Crohn, consultait pour des lésions cutanées papulonodulaires, purpuriques et nécrotiques au niveau des genoux, des chevilles et des mains…

Observation Une femme de 29 ans, suivie et traitée par corticothérapie générale (0,5 mg/kg/j) pour une maladie de Crohn, consultait pour des lésions cutanées papulonodulaires, purpuriques et nécrotiques au niveau des genoux, des chevilles et des mains (figures 1 et 2). Ces lésions évoluaient par poussées douloureuses accompagnées d’arthralgies depuis 3 mois, avec des phases de rémissions plus ou moins prolongées. La biopsie montrait des aspects de vasculite leucocytoclasique marquée (figures 3 et 4) avec, par endroit, des aspects inflammatoires, riches en polynucléaires neutrophiles, angiomateux et micro-abcédés en faveur du diagnostic évoqué cliniquement d’erythema elevatum diutinum. Aucune symptomato logie digestive n’était notée, la maladie de Crohn étant considérée comme quiescente par les gastroentérologues. Aucune nouvelle prise médicamenteuse n’était notée, le bilan immunologique complet était négatif (anticorps antinucléaires, anticytoplasme des polynucléaires, anti-CCP, immunoélectrophorèse des protéines, dosage pondéral des immunoglobulines, complément, cryoprotéines), de même que le bilan infectieux (sérologies hépatites B, C, VIH, EBV, CMV). L’hémogramme montrait une discrète anémie d’allure inflammatoire et une discrète thrombocytose. Le syndrome biologique inflammatoire était marqué. Un scanner abdomino-pelvien découvrait un épaississent pariétal circonférentiel de l’iléon terminal du côlon droit et du transverse avec rehaussement et infiltration de la graisse mésentérique, tout à fait en faveur d’une poussée de maladie de Crohn (figure 5). La corticothérapie était augmentée (1 mg/kg/j par voie intraveineuse), améliorant rapidement l’état digestif et cutané (figure 6).   Figure 1. Lésions papulo-nodulaires violacées des genoux. Figure 2. Lésions papuleuses fixes de la cheville. Figure 3. Aspect microscopique : infiltrat polymorphe dermique périvasculaire dense. Figure 4. Vasculite intense. Figure 5. Épaississement d’une anse digestive (Crohn) – flèche. Figure 6. Affaissement des lésions sous corticoïdes.   Discussion   L’erythema elevatum diutinum (EED) est une forme particulière et rare de vasculite cutanée décrite par Hutchinson en 1888. L’EED s’intègre nosologiquement dans le cadre large des dermatoses neutrophiliques. Des observations associant EED, pyoderma gangrenosumet syndrome de Sweet ont été rapportées(1). Il n’y a pas de terrain particulier, en retenant toutefois l’adulte jeune dans la forme la plus fréquente. Des formes pédiatriques ont été rapportées. Comme la plupart des vasculites, la physiopathogénie fait intervenir un chimiotactisme des polynucléaires accru et la possibilité de complexes immuns circulants avec, in fine, dépôts dans les parois vasculaires. Dans les formes typiques, les lésions se présentent sous forme de papulo-nodules rosés puis violacés, peu ou pas symptomatiques(2), plus douloureux en périodes froides. Une sensation de brûlure superficielle est parfois décrite. Ces lésions n’ont aucune tendance à la régression et s’étendent progressivement pour former dans les formes avancées des plaques infiltrées. Ainsi, des lésions nodulaires violacées de plusieurs centimètres peuvent être rencontrées, posant alors des problèmes de diagnostic différentiel. L’évolution se fait par poussées entrecoupées de rémissions, sur plusieurs mois, voire plusieurs années en l’absence de traitement. Les lésions touchent préférentiellement les extrémités de manière plus ou moins symétrique, ainsi que les coudes et les genoux. Des atteintes muqueuses ont été exceptionnellement rapportées(3). L’aspect microscopique dépend du moment de la biopsie et de l’ancienneté de la lésion(4). On note ainsi parfois associés au sein d’une même lésion une vasculite leucocytoclasique, un infiltrat périvasculaire à polynucléaires, un infiltrat polymorphe fait de macrophages, d’éosinophiles. Dans les lésions plus anciennes, une fibrose dermique plus ou moins dense et des granulomes sont présents et rendent compte du caractère fixé des lésions (diutinum). Une densité accrue en capillaires plus ou moins dilatés peut parfois faire discuter un diagnostic différentiel avec une angiomatose bacillaire, voire une maladie de Kaposi. L’immunofluorescence directe montre inconstamment des dépôts de fibrine, d’immuno globuline et de complément au sein ou autour des vaisseaux dermiques. Les signes systémiques sont pauvres. Le tableau est en général peu bruyant comparé à d’autres formes de vasculites. L’état général est en règle conservé, des arthralgies peuvent être observées. Au plan biologique, rien de spécifique, les anomalies qui peuvent être observées sont, en règle, liées à la pathologie sous-jacente. Dans certaines observations, des anticorps anticytoplasme des polynucléaires ont pu être notés indépendamment de toute association à une maladie de Wegener. Le diagnostic différentiel se pose au plan clinique avec le granulome annulaire, la dermite granulomateuse interstitielle, l’angiomatose bacillaire, la sarcoïdose, voire la maladie de Kaposi dans les formes très nodulaires(5). L’analyse microscopique rétablit le diagnostic. Le syndrome de Sweet est plus aigu, plus bruyant avec notamment un syndrome fébrile et une altération de l’état général. L’EED a été rapporté en association avec plusieurs pathologies sous-jacentes, d’ordre immunologique (gammapathie monoclonale (notamment à IgA(6)), lupus, dermatomyosite, polychondrite, maladie cœliaque, maladie de Wegener), infectiologique (HIV, tuberculose, infections streptococciques), néoplasique (cancers, lymphomes, hémopathies, syndromes myélodysplasiques). Notre observation est originale car l’EED a permis de découvrir une poussée latente de maladie de Crohn connue et traitée. L’association EED et maladie de Crohn est très rare(7). Le traitement de l’EED est très mal codifié. Très peu de publications lui sont consacrées, il n’y a pas d’étude contrôlée et la plupart des articles rapportent des cas isolés ou des courtes séries. Le traitement de la cause sous-jacente est bien sûr nécessaire et s’accompagne, mais inconstamment, d’une régression de l’EED (notamment en cas d’EED associé à l’infection VIH). En cas de poursuite, l’EED devra faire l’objet d’un traitement spécifique. Il faut souligner que les traitements sont d’autant plus efficaces qu’instaurés précocement. En effet, au stade de fibrose, il est aisé de comprendre que l’impact thérapeutique soit beaucoup plus faible. La disulone est la molécule ayant été l’objet de plus de données dans la littérature(2). Une revue générale(2) a colligé 66 cas d’EED traités par disulone, à la posologie habituelle de 100 mg/jour. En monothérapie, l’efficacité (blanchiment ou amélioration significative) est notée dans 80 % des cas(2). Des observations rapportent une efficacité de la disulone en traitement adjuvant à d’autres molécules (antibiotiques, colchicine, corticoïdes). L’efficacité de la disulone a également été signalée sur certaines manifestations systémiques, notamment articulaires. Une forme topique de dapsone a été proposée(8). L’arrêt du traitement, ou la diminution des doses, s’accompagne fréquemment de récidives, nécessitant un traitement parfois prolongé. L’association à la cyclosporine a été proposée dans un cas(9). Dans des formes résistantes, fixées, fibreuses, l’inefficacité des traitements médicaux peut faire discuter, sur certaines lésions, une exérèse chirurgicale(10). Des observations isolées ont fait état de l’efficacité de la colchicine (qui freine le chimiotactisme des polynucléaires), ou des cyclines. Récemment, un cas d’EED associé à une paraprotéinémie IgA a été traité avec succès par l’association thalidomide-plasmaphérèses(11). Dans les formes idiopathiques en apparence, une résistance au traitement doit faire rechercher une néoplasie sous-jacente.

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