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Profession, Société

Publié le 01 mar 2016Lecture 8 min

Dépression, prurit et pathologies dermatologiques

J. CASTAGNA, CHRU de Besançon

« Le dermatologue a la difficile tâche de traiter un organe que le patient voit et ressent »(1).

Les facteurs psychologiques sont bien reconnus dans les pathologies dermatologiques. Dans le manuel « Dermatologie et maladies sexuellement transmissibles » de J.-H. Saurat et coll., une classification des manifestations psycho-cutanées est proposée et décrit plusieurs syndromes : – premièrement, l’expression cutanée de désordres psychiatriques avec le syndrome des dermatoses sans maladie somatique dont le prurit psychogène ou encore les lésions cutanées auto-induites, par exemple l’aggravation d’une dermatose mineure par le grattage (excoriations névrotiques) ; – deuxièmement, l’approche psychosomatique. En effet, la prise en charge d’un tiers des patients implique d’emblée la reconnaissance de facteurs affectifs. On peut alors se poser la question de « qui fait la poule et qui fait l’œuf » ? Dans cette approche, les réactions affectives à des maladies de la peau sont une notion importante avec les notions de stigmates et image corporelle (toute modification de la peau par une maladie est un stigmate qui fait que le patient se sent exclu, qu’il perd confiance en lui, les répercussions affectives et socioprofessionnelles sont démontrées) et d’invalidité qui s’ajoutent à l’impact émotionnel de la dermatose, quantifiée par les index de « perte de qualité de vie ». De plus, le rôle de facteurs affectifs dans les maladies de la peau est décrit avec le concept de somatisation (le patient consulte pour un symptôme physique et en parle plus volontiers que le problème psychologique).   Facteurs psychologiques et pathologies dermatologiques   La théorie du « Moi-Peau », définie par D. Anzieu en 1985(2), décrivait une corrélation entre l’émotionnel, le psychisme et la barrière protectrice que représente la peau. De même, on sait que le système nerveux et la peau ont une origine embryologique commune. Ce lien entre le psychisme et l’apparence physique de l’individu conforte l’influence du stress et de sa composante neuropsychologique sur les grandes fonctions cutanées. De nombreuses maladies cutanées peuvent voir des poussées déclenchées par un stress, essentiellement les dermatoses inflammatoires (psoriasis, dermatite atopique, pelade, vitiligo, dermatite séborrhéique, etc.). Dans ce sens, l’article de I. Besne et coll. décrit les effets du stress sur chaque élément anatomique ou fonctionnel de la peau(3). La charge émotionnelle des maladies cutanées a donc été beaucoup décrite ces dernières années, avec notamment une étude de F. Dalgard et coll.. dont le but était de rechercher une association entre dépression, anxiété et idées suicidaires et différentes pathologies dermatologiques(4). Dans cette étude de 4994 participants, 3635 ont été assignés dans le groupe patients et 1359 dans le groupe contrôle. Les résultats montrent que la dépression, l’anxiété et les idées suicidaires étaient significativement plus fréquentes chez les patients atteints de pathologies dermatologiques comparés au groupe contrôle. K. Bashir et coll. montrent dans une étude que la dépression a été diagnostiquée chez 34 % des patients adultes avec une maladie dermatologique (39 patients sur 114)(5). Les dermatoses les plus fréquemment associées à la dépression étaient les pathologies psycho-cutanées, l’urticaire, le prurit, l’acné et le psoriasis. Les symptômes de dépression devraient être recherchés à chaque consultation de dermatologie pour un diagnostic et un traitement précoce. Les conclusions d’E. Orion et coll. dans leur article sur les facteurs psychologiques dans les maladies de peau indiquent que le stress est un point clé en dermatologie, car la survenue ou l’exacerbation de plusieurs dermatoses sont traditionnellement reliées au stress(6). Des efforts importants ont été faits ces dernières années pour prouver l’effet des facteurs psychologiques sur différentes maladies dermatologiques, mais le faible niveau de preuve de ces études conduit certains dermatologues à avoir des difficultés à accepter cette relation comme légitime. De plus, seulement quelques données de la littérature concernent l’effet de la psychothérapie et des traitements psychotropes sur l’amélioration des maladies cutanées (la plupart sont des études préliminaires ou des séries de cas) qui ne permettent pas d’avoir une idée sur le sujet alors que c’est le plus important. Il est donc primordial, lors de chaque consultation en dermatologie, de rechercher à l’interrogatoire des signes de dépression par les questions suivantes : Vous sentez-vous triste ? Vous sentez-vous dévalorisé(e) ? Avez-vous parfois envie de pleurer ? Avez-vous des idées noires ? Pensez-vous que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue ?… Il faudrait ainsi traiter les patients présentant les signes ci-dessus par un antidépresseur sérotoninergique (ou demander un avis psychiatrique s’ils présentent un état dépressif majeur sévère). Il n’y a pas de risque de dépendance avec les traitements antidépresseurs, mais l’efficacité de ces traitements sur l’évolution des dermatoses reste à explorer.   Dépression et prurit   La dépression peut être une conséquence du prurit comme l’ont montré D. Chrostowska-Plak et coll.(7). Ils ont évalué les relations entre prurit et stress, qualité de vie et symptômes de dépression chez des adultes atteints de dermatite atopique, et mis en évidence une corrélation significative entre prurit et altération de la qualité de vie, et entre prurit et symptômes de dépression ; les patients avec des symptômes de dépression présentaient un prurit plus intense comparé au reste des patients. L’intensité du prurit chez les patients atteints de dermatite atopique jouerait donc un rôle important dans la détermination du bien-être psychosocial chez ces patients. Ils requerraient un traitement antiprurigineux efficace au long cours afin d’améliorer leur qualité de vie et de diminuer le risque de dépression. Plus le prurit était intense, plus le risque de développer une dépression augmentait. De même, dans une étude de G. Schneider et coll. sur la fonction sensorielle de la peau chez des patients atteints de prurit chronique avec symptômes dysesthésiques, 55 % d’entre eux (37 patients sur 49) avaient au moins une comorbidité psychiatrique, dont la dépression(8). Il n’y avait pas de différence pour l’intensité et la durée du prurit entre les groupes avec et sans dépression. Dans cette étude, l’intensité et la durée du prurit ne prédisaient donc pas le risque individuel de développer une dépression. Les auteurs suggèrent en conclusion d’inclure une évaluation psychosomatique des patients lors du diagnostic de prurit chronique pour détecter et traiter de façon adéquate ces comorbidités psychiatriques. La dépression peut également être un facteur aggravant du prurit. Par exemple, C. Schut et coll. ont induit un prurit chez 27 patients atteints de dermatite atopique et chez 28 patients sains par la présentation d’une vidéo expérimentale d’insectes rampants et de maladies de peau(9). Ils ont ensuite mesuré l’intensité du prurit par questionnaires d’autoévaluation et par observation du nombre de mouvements de grattage. Chez les patients atteints de dermatite atopique, la dépression était un facteur prédictif significatif d’augmentation de l’intensité du prurit. Cette observation implique qu’un sousgroupe de patients atteints de dermatite atopique pourrait bénéficier de certaines interventions psychologiques afin de soulager leur prurit. R. Conrad et coll. retrouvent également une relation entre dépression et perception du prurit chez les patients atteints d’urticaire chronique et de psoriasis(10). La dépression était le seul facteur prédictif de sévérité du prurit chez les patients atteints de psoriasis. La dépression serait donc un facteur aggravant du prurit chez les patients atteints de dermatose prurigineuse. Enfin, la dépression est une cause de prurit à part entière. Dans la classification internationale de S. Stander et coll., la catégorie IV des prurits chroniques sans lésion cutanée primaire ou secondaire représente les prurits somatoformes et la dépression fait partie des étiologies observées(11). L. Misery décrit en France le prurit psychogène comme un prurit généralisé ou localisé dont l’origine est psychique et propose des critères diagnostiques qui sont : trois critères obligatoires avec un prurit sine materia localisé ou généralisé, un prurit chronique de plus de six semaines et l’absence de cause somatique, ainsi que trois critères parmi : un lien chronologique entre la survenue du prurit avec un ou plusieurs événements de vie négatifs qui auraient pu avoir une répercussion psychologique, une variation de l’intensité avec le stress, des variations nocturnes, une prédominance lors du repos ou de l’inaction, une association à des désordres psychologiques, une amélioration par des traitements psychotropes, une amélioration par psychothérapie(12). Le diagnostic de prurit psychogène doit être posé après élimination de toute cause organique et avec des éléments cliniques en faveur d’un trouble psychiatrique(12). Il doit systématiquement être évoqué avec le patient. Ce n’est pas uniquement un diagnostic d’élimination, mais aussi un diagnostic fondé sur des arguments positifs. Un traitement par hydroxyzine ou doxépine est souvent efficace et une psychothérapie ou un traitement psychotrope peut être entrepris. En conclusion, « le dermatologue doit penser au-delà des apparences et des symptômes manifestes exprimés par le patient »(1).

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