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Dermatologie générale

Publié le 31 mar 2015Lecture 11 min

Les chéilites

M. KOURDA, Hôpital Razi, Manouba, Tunisie

Les chéilites sont peu fréquentes, mais posent des problèmes concernant leur aspect clinique peu spécifique qui varie peu selon les étiologies, des problèmes nosologiques et thérapeutiques.

Les chéilites sont une affection inflammatoire des lèvres rouges qui sont des demi-muqueuses. Ces dernières sont fragiles car constituées, si l’on compare avec le revêtement cutané, d’un nombre restreint de couches cellulaires dépourvues de couche cornée(1). Elles sont sollicitées et exposées en permanence à divers et nombreux facteurs externes ; on distingue les chéilites secondaires à des facteurs externes et les chéilites secondaires à des facteurs internes (tableau)(2). Pour chaque type de chéilite, nous préciserons les aspects clinico-épidémiologiques, paracliniques et thérapeutiques. Parfois, les limites entre les divers types de chéilites sont floues, car diverses causes peuvent être associées. Nous n’aborderons pas les chéilites secondaires aux dermatoses, ni celles secondaires à des maladies générales où elles sont rarement isolées mais associées à des manifestations cliniques qui facilitent leur diagnostic étiologique.     Les chéilites climatiques(2) Fréquentes, favorisées par le froid et le vent, elles entraînent un assèchement des lèvres avec desquamation, gerçures et crevasses transversales. La partie médiane de la lèvre est fréquemment atteinte. Ces chéilites sont aggravées par le tic de léchage. Les surinfections bactériennes et mycosiques sont fréquentes. Le traitement consiste à se protéger du froid et à appliquer des émollients sous forme de stick, ou mieux, de baume pour les lèvres mieux toléré et plus hydratant. Il faut aussi traiter les surinfections.   Les chéilites allergiques(3,4) Elles sont fréquentes et les allergènes sont très nombreux (figure 1). Cliniquement, elles prennent l’aspect d’un eczéma de contact allergique aigu ou chronique. • L’eczéma aigu a le même aspect que celui sur le revêtement cutané avec des lésions érythémato-vésiculeuses puis croûteuses, très prurigineuses avec extension sur la région péribuccale et la présence de perlèche, voire une extension à distance. • L’eczéma chronique prend l’aspect de desquamation des lèvres.   Figure 1. Chéilite allergique : aspect squameux avec quelques gerçures.   Les examens paracliniques L’incrimination des allergènes se fait par les tests épicutanés par la batterie standard généralement insuffisante ; il faut compléter par la batterie spécifique ainsi que la pratique de tests semi-ouverts avec les produits rapportés par les patients. Les allergènes les plus incriminés sont les rouges à lèvres, les sticks, les dentifrices, les produits de soin dentaire, les prothèses ou les appareils dentaires. Selon la prédominance de la topographie des lésions, les allergènes suivant peuvent être incriminés : – sur la demi-muqueuse : les rouges à lèvres, les crèmes, les sticks et les objets ou jouets portés à la bouche chez les enfants ; – sur la muqueuse buccale, ce sont les dentifrices, les bains de bouche, les chewing-gums, les produits pour soins buccaux et les matériaux pour prothèse dentaire.   Le traitement Il consiste en l’éviction du (ou des) allergène(s), ce qui est, en pratique, très difficile, associée à la prescription de corticoïdes locaux et d’émollients.   Les chéilites traumatiques et caustiques(2) Leur aspect varie selon le type de traumatisme qui en est responsable. Ainsi on distingue : – le tic de léchage : inflammation chronique avec fissurations, perlèches et surinfection fréquente ; – le tic de mordillement : inflammation, œdème, exulcération, croûtes avec arrachement de lambeaux muqueux de la lèvre inférieure par le patient ; – instruments à vent : irritation chronique plus qu’allergie. Au sein des chéilites traumatiques et caustiques, on inclut les chéilites factices ou pathomimiques et les chéilites exfoliatives.   Les chéilites factices ou pathomimiques(3) Elles apparaissent chez des patients perturbés psychologiquement. L’aspect est celui de lèvres épaissies, rouges, squameuses et croûteuses. Elles sont aggravées par le tic de léchage et le frottement. Le traitement consiste à prescrire des émollients avec une prise en charge psychologique.   Les chéilites exfoliatives(3) Elles ont le même aspect clinique que celui des chéilites factices avec desquamation importante et persistante, mais elles apparaissent chez des patients sans trouble psychologique.   Les chéilites actiniques(3) Elles sont relativement fréquentes, surtout chez l’homme de plus de 40 ans, qui s’est intensément exposé au soleil pour des raisons professionnelles. Elles touchent la lèvre inférieure qui n’est pas protégée du soleil. Cliniquement, on distingue la forme aiguë et chronique : – la forme aiguë prend un aspect érythémato-vésiculeux ou bulleux avec, ultérieurement, des croûtes ou des érosions avec sensation de cuisson ; – la forme chronique est caractérisée par son aspect atrophique et sa couleur jaunâtre due à la présence d’une élastoïdose de la lèvre inférieure. L’évolution tend vers l’apparition de leucokératose, d’infiltration et d’ulcération. Cette évol ution dénote de la dégénérescence des lésions en carcinome épidermoïde, d’où l’intérêt de pratiquer des biopsies au moindre doute. La dégénérescence peut apparaître à un stade plus précoce avant l’infiltration ou l’ulcération. Le traitement consiste à se protéger du soleil, à utiliser des écrans sous forme de sticks. Le traitement curatif comporte une vermillonectomie, une exérèse chirurgicale ou le laser CO2.   La chéilite tabagique(1) Elle prend l’aspect de chéilite kératosique chronique. Comme son nom l’indique, elle est due à une intoxication tabagique. Cliniquement, on retrouve une plaque ovalaire ou arrondie bien limitée, dépolie, blanc opaque, localisée à la lèvre inférieure en regard de la pose de la cigarette ou de la pipe. On peut retrouver une lésion identique en miroir sur la lèvre supérieure. Les différents stades de leucokératose, d’infiltration ou d’ulcération dénotent de la dégénérescence de la lésion en carcinome épidermoïde. Le traitement préventif consiste à arrêter l’intoxication tabagique et le traitement curatif à faire l’exérèse des lésions avant leur dégénérescence.   Les chéilites médicamenteuses(1) La chéilite due à la prise d’isotrétinoïne par le patient acnéique est fréquente. On la retrouve dans 80 à 90 % des cas ; elle apparaît au plus tard 3 semaines après le début du traitement. Sa présence dénote de l’imprégnation médicamenteuse. Elle est corrélée à la posologie journalière et à la durée du traitement (figure 2). Cliniquement, elle ressemble à une chéilite érythémato-squameuse fissuraire et érosive. Le traitement est préventif ; il consiste à prescrire systématiquement un émollient labial avec des rétinoïdes.   Figure 2. Chéilite due aux rétinoïdes : desquamation et fissure médiane de la lèvre inférieure.   Les chéilites atopiques(3) Elles sont fréquentes et d’évolution chronique au cours de la dermatite atopique. Elles touchent l’adolescent et l’adulte. En revanche, elles sont rares chez l’enfant. Elles ont l’aspect de chéilite érythémato-squameuse avec fissures. L’évolution se fait par poussées non toujours parallèles à celles de la dermatite atopique. Les allergies de contact sont fréquentes.   Les chéilites glandulaires(1,3) Elles sont rares, de cause inconnue, favorisées par de nombreux facteurs génétiques, le stress et l’exposition solaire. Elles sont dues à une hyperplasie des glandes salivaires ectopiques de la lèvre inférieure qui présente une inflammation chronique. La surinfection est fréquente. Cliniquement, la lèvre inférieure est tuméfiée et parsemée d’orifices des canaux sécréteurs qui sont dilatés sous forme de petites cavités en tête d’épingle de couleur jaune, entourés d’un halo érythémateux (figure 3). Un signe caractéristique consiste à exercer une pression sur la lèvre inférieure qui fait sourdre de la sérosité ou du muco-pus. On peut observer des croûtes, des érosions ou des abcès.   Figure 3. Chéilite glandulaire : lèvre inférieure parsemée de cavités jaunâtres.   On distingue 3 formes cliniques : – la chéilite angulaire simple : forme la plus fréquente ; – la chéilite superficielle suppurative ; – la chéilite suppurative profonde. Le traitement comporte des dermocorticoïdes qui sont peu ou pas efficaces, la prise en charge des surinfections infectieuses ou mycosiques et l’exérèse chirurgicale.   Les chéilites granulomateuses(5) Les chéilites granulomateuses sont caractérisées histologiquement par la présence d’un infiltrat granulomateux qui est considéré spécifique de la macro chéilite de Miescher (MCM) quand il présente un caractère angiotrope réalisant une endovascularite oblitérante (figure 4). La MCM consiste en une infiltration œdémateuse d’abord localisée à la lèvre supérieure réalisant l’aspect de lèvre de « tapir » (figure 5).   Figure 4. Macrochéilite de Miescher de la lèvre supérieure et surtout inférieure parsemée de fissures.   Figure 5. Macrochéilite de Miescher : atteinte isolée de la lèvre supérieure qui présente une infiltration œdémateuse avec quelques exulcérations.   L’évolution se fait par poussées avec régression plus au moins complète de la tuméfaction ; ultérieurement, la lèvre inférieure sera atteinte et la tuméfaction va persister entre les nombreuses poussées. Le retentissement esthétique est très important. D’autres parties du visage peuvent être atteintes au cours de la MCM : les gencives, la langue ou la face. La macrochéilite peut s’associer à une langue plicaturée ou scrotale (signe non spécifique) ou à une paralysie faciale périphérique (signe spécifique) réalisant la maladie de Melkersson Rosenthal (MMR) (figures 6 et 7). Figure 6. Maladie de Melkersson Rosenthal avec vue de profil qui montre une infiltration de la lèvre supérieure.   Figure 7. Macrochéilite et langue plicaturée chez le même patient.   Des critères diagnostiques ont été précisés pour porter le diagnostic de MCM et de MMR. Le critère de certitude du diagnostic de MCM est la présence de l’infiltrat giganto-cellulaire à tropisme vasculaire, d’où l’intérêt de pratiquer des biopsies profondes par voie muqueuse. Cet aspect histologique typique n’est retrouvé que dans la moitié des cas. Lorsqu’on fait une biopsie, plusieurs éventualités sont possibles : – le diagnostic de MCM est porté avec certitude devant la présence d’une endovascularite épithéloïde oblitérante ; – il existe au moins un granulome giganto-épithéloïde sans tropisme vasculaire net ; – un aspect de dermite non spécifique est trouvé avec œdème et infiltrat inflammatoire lymphohistiocytaire modéré. Dans ces deux derniers cas, qui sont les plus fréquents en pratique, il faut éliminer les autres causes de macrochéilites : maladie de Crohn et sarcoïdose qu’il faudrait rechercher en présence de signes cliniques d’appel. Une classification du MMR a été précisée : une macrochéilite de Miescher sans histologie typique est considérée comme un signe de second ordre. Elle permet un diagnostic de certitude de MMR en présence d’une paralysie faciale, la recherche d’une atteinte infraclinique par EMG peut être utile. Le diagnostic est possible en présence d’une langue plicaturée ou scrotale ou s’il existe deux autres signes de second ordre. Ces derniers comprennent une atteinte des nerfs crâniens autre que celles du VII (névralgie du trijumeau, acouphènes, névrites rétrobulbaires, troubles de la motricité oculaire), des troubles fonctionnels du système nerveux central transitoire (trouble de la thermorégulation, anomalies de l’EEG), des céphalées à type de migraine. En l’absence de ces signes, le diagnostic de MMR est considéré comme douteux ou reste à prouver. Nosologiquement selon de nombreux auteurs, la MCM est considérée comme une forme monosymptomatique de la MMR. Le traitement de la macrochéilite pose un problème thérapeutique vu l’efficacité relative des différents traitements et l’absence de consensus. Les dermocorticoïdes, les infiltrations de corticoïdes, la disulone, la thalidomide, les cyclines en association avec les infiltrations de corticoïdes, voire la corticothérapie générale ou la biothérapie anti-TNF sont préconisés. Après stabilisation de la macrochéilite, la chirurgie plastique est préconisée mais ne met pas à l’abri de poussées ultérieures.

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