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Dermatologie générale

Publié le 01 mar 2015Lecture 23 min

Manifestations cutanéo-muqueuses de la maladie de Crohn

E. DELAPORTE, Service de dermatologie et Université de Lille 2, hôpital Claude-Huriez, CHRU de Lille

Les manifestations cutanéo-muqueuses sont, avec les atteintes ostéo-articulaires, les plus fréquentes des atteintes extradigestives de la maladie de Crohn qu’elles peuvent précéder.

Les manifestations cutanéo-muqueuses sont représentées par : – les affections dites réactionnelles, bien qu’elles n’évoluent pas toujours parallèlement aux poussées digestives, parmi lesquelles on trouve les aphtes, l’érythème noueux et surtout les dermatoses neutrophiliques ; – les lésions granulomateuses spécifiques qui peuvent s’observer dans les zones ano-périnéales et oro-faciales ou à distance du tube digestif. Elles sont alors dites « métastatiques ». Le traitement de ces lésions qui évoluent indépendamment de la maladie digestive, est difficile et non codifié ; – les manifestations carentielles secondaires à l’anorexie, la malabsorption, les pertes excessives, les augmentations des besoins protéino-énergétiques et les interactions médicaments-nutriments, et en particulier la carence en zinc observée dans 35 à 45 % des maladies de Crohn même en période de quiescence ; – enfin, diverses dermatoses autonomes, à composante auto-immune pour certaines (épidermolyse bulleuse acquise, psoriasis, pelade, etc.) dont la fréquence est augmentée chez les malades atteints de MICI, et dont l’évolution est indépendante de celle-ci. Les effets indésirables cutanés des anti-TNF doivent désormais être ajoutés à cette liste. La maladie de Crohn (MC) est une maladie inflammatoire cryptogénique/chronique de l’intestin (MICI) à médiation immune, polygénique, pour laquelle l’influence des facteurs environnementaux (tabac ++, alimentation, etc.) est déterminante dans l’installation de la dysbiose qui la caractérise. L’instabilité et la réduction de la biodiversité du microbiote sont actuellement les facteurs étiopathogéniques les plus étudiés(1,2). Elle évolue par poussées et touche avec prédilection les adolescents et les adultes jeunes. Les formes pédiatriques représentent toutefois 10 à 15 % des cas, le plus souvent au-delà de 10 ans, et environ un quart des MC nouvellement diagnostiquées le sont chez des patients de moins de 20 ans. L’incidence de la MC a augmenté ces 50 dernières années, principalement dans les pays industrialisés, pour atteindre des chiffres compris entre 6 et 15 nouveaux cas par an pour 100 000 habitants. C’est en Europe du Nord, en Angleterre et en Amérique du Nord que l’incidence est la plus élevée. Il existe fréquemment une dissociation clinico-anatomique avec retard des signes cliniques sur les signes endoscopiques et histologiques. Dans la mesure où la tendance n’est plus d’attendre que la MC soit cliniquement active pour traiter, dans l’optique d’anticiper les destructions tissulaires, l’exploration digestive doit être faite au moindre doute, surtout chez un sujet jeune et fumeur et a fortiori en cas d’antécédents familiaux. Cette notion est particulièrement importante pour le dermatologue qui est susceptible d’être confronté à des manifestations précessives(3,4). De nombreuses manifestations cutanéo-muqueuses (MCM) peuvent s’observer au cours de la MC. Outre les classiques manifestations réactionnelles (dermatoses neutrophiliques ++), les dermatoses carentielles et les diverses associations auto-immunes (épidermolyse bulleuse acquise ++), des lésions spécifiques caractérisées par la présence d’un granulome giganto-cellulaire sont décrites. On considère que 40 à 50 % des malades présenteront au moins une MCM au cours de l’évolution de leur affection. Elles précèdent parfois les manifestations digestives, permettant soit de faire le diagnostic d’une MC latente, soit d’attirer l’attention sur la nécessité d’une surveillance clinique dans l’hypothèse d’une révélation différée, parfois de plusieurs années(5). Il faut désormais également ajouter les effets indésirables cutanés des anti-TNF à la liste des MCM associées à la MC(6).   Les dermatoses réactionnelles Elles n’évoluent pas toujours parallèlement aux poussées digestives et ne sont pas toujours sensibles aux traitements de la MC. Les plus fréquentes d’entre elles sont les aphtes, l’érythème noueux et le Pyoderma gangrenosum.   L’aphtose buccale Sa prévalence est d’environ 20 %. Il s’agit le plus souvent d’aphtes communs. On peut aussi observer une aphtose miliaire, des aphtes à tendance extensive, ou des aphtes bipolaires. La relation avec l’évolutivité de la MICI est loin d’être constante. Les aphtes peuvent précéder les manifestations digestives, aussi doit-on vérifier devant toute aphtose récidivante l’absence de tendance diarrhéique, de lésion périanale, de déficit en acide folique, fer ou vitamine B12 en rapport avec une malabsorption et pratiquer au moindre doute une exploration digestive, surtout s’il existe une notion d’antécédent familial de MICI. Les lésions aphtoïdes chroniques doivent faire évoquer la possibilité de lésions spécifiques (cf. infra).   L’érythème noueux (EN) Sa prédominance féminine est nette. Parfois récidivant avec un intervalle entre les poussées variant de quelques semaines à quelques années, l’EN survient souvent pendant la première année d’évolution d’une MC déjà diagnostiquée. Il est le plus souvent typique et s’accompagne d’arthrites. Il peut aussi présenter quelques particularités : peu d’éléments, atteinte unilatérale, localisation à la face postérieure des jambes et aux membres supérieurs. Non corrélé à la sévérité mais à la topographie colique, il survient généralement en période d’activité de la maladie. Il s’agit parfois d’une poussée inaugurale et l’existence de manifestations digestives au cours d’un EN doit amener à chercher systématiquement une MC dès lors qu’une infection intestinale (yersiniose, salmonellose, shigellose, infection à Campylobacter, etc.) aura été éliminée. Plus rarement, l’EN peut évoluer indépendamment des signes digestifs et même les précéder. Cependant, en l’absence de signes d’appel, l’exploration intestinale systématique n’est pas recommandée. Au cours d’un traitement par azathioprine, des lésions d’EN s’accompagnant d’une fièvre élevée et d’une importante neutrophilie peuvent révéler un syndrome d’hypersensibilité.   Les dermatoses neutrophiliques (DN) Il s’agit d’un groupe d’affections non infectieuses ayant en commun une image histologique (infiltrat neutrophilique aseptique dermique, mais pouvant également être épidermique ou hypodermique), une sensibilité aux thérapeutiques anti-inflammatoires agissant sur les neutrophiles (corticoïdes, dapsone, colchicine) et l’association fréquente à des maladies systémiques. La notion de spectre continu anatomoclinique de ces DN est basée sur l’observation d’associations, de chevauchements et de formes de passage entre les différentes entités du groupe. C’est particulièrement vrai au cours des MICI, où il est parfois impossible de mettre une étiquette précise sur des lésions qui empruntent cliniquement et histologiquement à 2, voire 3 entités. Ceci a conduit à définir le concept de « maladie neutrophilique » qui sous-entend l’association de manifestations non spécifiques (signes généraux, arthralgies...) et de localisations extracutanées spécifiques (pulmonaires, hépatiques, etc.) dont la fréquence est probablement sous-estimée, surtout au cours du Pyoderma gangrenosum (PG) et du syndrome de Sweet (SS). • Le Pyoderma gangrenosum Il complique 1 à 3 % des MICI, plus fréquemment une MC dont l’atteinte est plutôt pancolique, mais n’est pas corrélé à la sévérité de l’affection digestive(7). À l’inverse, les MICI représentent la première étiologie de PG (20 à 30 % des cas). Les lésions sont uniques ou multiples, récidivent dans un tiers des cas et sont parfois accompagnées d’ulcérations aphtoïdes endobuccales assimilées à un PG muqueux. Le PG apparaît habituellement après une dizaine d’années d’évolution de la MC le plus souvent, mais non constamment au cours d’une de ses poussées. Une atteinte ophtalmologique (uvéite) est fréquemment associée. Il peut cependant précéder la symptomatologie intestinale, ce qui justifie en l’absence d’étiologie hématologique ou rhumatologique l’exploration endoscopique systématique s’il s’agit d’une forme récidivante, s’il existe des signes d’appels digestifs, et a fortiori en cas d’antécédent familial de MC. La localisation péristomiale est rare (figure 1). Il s’agit essentiellement de malades atteints de MC avec iléostomie. Ce type de PG, favorisé par les diverses agressions auxquelles est soumise la peau péristomiale, apparaît en moyenne deux mois après la réalisation de la stomie, mais des périodes plus longues, allant jusqu’à trois ans, ont été observées. Les produits iodés doivent être évités du fait d’un phénomène de pathergie à l’iode (activation des polynucléaires neutrophiles). Le PG ne répond pas toujours au traitement de la MC. Les corticoïdes sont souvent nécessaires. Les immunosuppresseurs, et surtout les anti-TNF, représentent les alternatives thérapeutiques possibles. Les anti-TNF sont actuellement indiqués en seconde intention après échec des corticoïdes et/ou des immunosuppresseurs, mais seul l’infliximab dispose d’une autorisation sous la forme d’un protocole thérapeutique transitoire accordé par l’Afssaps pour une période de 4 ans en mars 2008 (cf. référentiel du bon usage des médicaments de la liste hors GHS. Janvier 2012. (www.afssaps.sante.fr). Aucune recommandation récente n’a été formulée depuis.   Figure 1. Pyoderma gangrenosum paristomial.   • Le syndrome de Sweet (SS) Les lésions sont volontiers pustuleuses, voire bulleuses et plus rarement nécrotiques comme dans les SS associés aux hémopathies (figure 2). Lorsque le SS apparaît, la MC n’est pas toujours connue, mais elle est le plus souvent en poussée, incitant comme pour l’EN à réaliser une exploration digestive systématique dès lors qu’une cause infectieuse a été éliminée. Plusieurs observations de SS révélateurs de MC ont ainsi été rapportées.   Figure 2. Syndrome de Sweet bulleux.   • Le syndrome arthrocutané C’est au cours des années 70 que l’attention a été attirée sur les possibles complications cutanées et articulaires des dérivations jéjunoiléales en relation avec la pullulation bactérienne dans l’anse borgne et la formation de complexes immuns circulants. Ce « bowel-bypass syndrome » a été par la suite décrit chez des patients gastrectomisés, mais aussi en l’absence de toute chirurgie, en association avec la MC, bien que moins fréquemment qu’avec la rectocolite hémorragique (RCH). L’éruption est constituée de pustules non folliculaires, reposant sur une base érythémateuse (figure 3).   Figure 3. Syndrome arthro-cutané.   D’une taille variant de 2 à 8 mm de diamètre, elles siègent principalement sur la face externe des membres supérieurs, la face d’extension des membres inférieurs, mais aussi le tronc, voire le cuir chevelu. L’éruption s’accompagne toujours de manifestations systémiques plus ou moins marquées : fièvre, myalgies, polyarthralgies, arthrites périphériques, conjonctivite. L’examen histologique associe des signes de pustulose sous-cornée et de SS sans nécrose fibrinoïde vasculaire. Le diagnostic différentiel se pose avec les manifestations cutanées des septicémies, la maladie de Behçet du fait de l’aspect de pseudo-folliculite, le SS et le PG vis-à-vis desquels le problème est surtout nosologique. En effet, chez certains malades coexistent des lésions pustuleuses et des éléments de plus grande taille, évocateurs de l’une ou l’autre de ces deux dermatoses, ce qui conforte la notion de maladie neutrophilique avec formes de passage et chevauchements. • La pyostomatitepyodermite végétante (PPV) La PPV est une affection rare (moins d’une centaine d’observations rapportées) dont la particularité est d’être associée dans 75 % des cas à une MICI qu’elle peut révéler : c’est alors plus souvent une RCH qu’une MC. Cliniquement, il s’agit de pustules de la muqueuse buccale qui, par coalescence, donnent un aspect très caractéristique en « traces d’escargots ». Elles siègent principalement sur les gencives, la face interne des joues, le palais et les lèvres (figure 4).   Figure 4. Pyostomatite végétante. Lésions pustuleuses typiques disposées en « traces d’escargot ».   La langue et le plancher buccal sont respectés. Ces lésions indolores se rompent facilement et font place à des érosions à tendance végétante. Les localisations aux muqueuses génitales sont possibles, mais exceptionnelles. Dans la moitié des cas, il existe des lésions pustuleuses et végétantes cutanées, localisées préférentiellement au scalp et aux grands plis, justifiant l’appellation « pyostomatite-pyodermite végétante ». Ces lésions apparaissent généralement en même temps que les lésions muqueuses, voire secondairement, ce qui en facilite le diagnostic. Histologiquement, les pustules sont intraet/ou sous-épithéliales, et contiennent de nombreux neutrophiles associés à quelques éosinophiles. L’acantholyse est inconstante et, quand elle existe, elle est uniquement focale, dans les lésions cutanées comme dans celles des muqueuses. Une faible positivité de l’IFD, non spécifique, peut s’observer dans la PPV(8). • Les abcès aseptiques De façon exceptionnelle, des abcès sous-cutanés aseptiques correspondant vraisemblablement à des formes profondes de SS, ont été rapportés au cours de MC. Par ailleurs, des abcès viscéraux peuvent révéler, voire précéder de plusieurs mois une MC(9). Il s’agit préférentiellement d’abcès spléniques, hépatiques ou ganglionnaires. • Les autres dermatoses neutrophiliques La pustulose sous-cornée de Sneddon-Wilkinson, l’erythema elevatum diutinumou la pustulose à IgA intraépidermique ont également été observés au cours de la MC. Bien que le parallélisme évolutif entre les manifestations cutanées et digestives n’ait pas été toujours constaté, ces associations à caractère exceptionnel ne sont certainement pas fortuites.   Les lésions granulomateuses spécifiques Elles sont définies par le granulome giganto-cellulaire très évocateur en l’absence de nécrose caséeuse. Il n’est cependant trouvé que dans environ un tiers des cas dans les lésions cutanées et il est important de demander à l’histo-pathologiste de réaliser des coupes sériées et d’user le bloc à sa recherche. Lorsque l’atteinte concerne la région ano-périnéale ou la sphère oro-faciale, il s’agit de lésions par contiguïté. Lorsqu’elles surviennent à distance du tube digestif, les lésions sont dites « métastatiques ».   Les lésions ano-périnéales Ce sont les plus fréquentes des MCM de la MC, puisqu’observées dans 35 à 40 % des cas, surtout en cas d’atteinte colique. Elles précèdent les signes digestifs dans 8 à 30 % des cas, généralement de quelques mois, parfois de quelques années. Les aspects cliniques sont très variés : fissures péri-anales plus larges que les fissures banales, lésions végétantes pseudotumorales à type de marisques œdémateuses ou de condylomes, ulcérations linéaires et profondes en coup de couteau, ulcérations creusantes pouvant entraîner une destruction du sphincter anal, abcès se compliquant de fistules anales, périnéales ou recto-vaginales (figure 5). L’évolution de ces lésions est marquée par des successions de poussées et de rémissions, généralement indépendantes de l’activité intestinale de la MC. Du fait de la chronicité de ces lésions, il faut se méfier de la possible survenue de carcinomes épidermoïdes, ce qui implique non seulement une surveillance clinique régulière, mais aussi la réalisation de biopsies au moindre doute. Ces tableaux de suppuration périnéo-fessière chez des patients atteints de MC ne correspondent cependant pas toujours à des lésions spécifiques. Il peut s’agir d’authentiques maladies de Verneuil dont l’association à la MC ne semble pas fortuite. Le caractère superficiel des lésions, l’absence de communication avec le canal anal, l’atteinte des aisselles, l’absence de récidive après traitement chirurgical sont en faveur de ce diagnostic.   Figure 5. Lésions ano-périnéales et génitales spécifiques. Noter les ulcérations linéaires en « coup de couteau » très évocatrices.   Les lésions génitales Elles s’observent en général chez des patients dont la MC, le plus souvent colique ou colorectale, est connue depuis plusieurs années. Pouvant dans certains cas précéder les manifestations intestinales, ces atteintes génitales sont parfois isolées, mais sont plus souvent associées aux atteintes ano-périnéales. Chez la femme, le diagnostic doit être évoqué en présence d’ulcérations linéaires vulvaires en coup de couteau ou d’un œdème labial induré douloureux, souvent asymétrique (figure 6). Des lésions identiques peuvent également être observées chez l’enfant. Les localisations masculines sont exceptionnelles et se présentent sous la forme d’œdème scrotal et/ou pénien, de phimosis serré acquis, d’ulcérations chancriformes ou linéaires caractéristiques (figure 7).   Figure 6. atteinte vulvaire spécifique (œdème induré), associée à une vulvite érosive et suintante par carence en zinc.   Figure 7. MC métastatique : larges ulcérations linéaires inguinale et pubienne.   Les lésions oro-faciales De nombreuses lésions peuvent être observées : ulcérations linéaires à bords hyperplasiques des sillons gingivojugaux, ulcérations de présentation trompeuse car prenant l’aspect d’aphtes, lésions polypoïdes de la muqueuse vestibulaire ou jugale (figure 8), hypertrophie gingivale, hyperplasie œdémateuse et fissurée de la face interne des joues réalisant un aspect « en pavé » (cobblestone), proche de celui observé sur la muqueuse intestinale, chéilite granulomateuse qui se manifeste par un œdème induré d’une ou des deux lèvres, épisodique au début puis permanent. L’atteinte labiale est habituellement asymétrique, fissuraire et s’accompagne d’une perlèche (figure 9). Les biopsies profondes avec réalisation de nombreux plans de coupe sont nécessaires pour mettre en évidence les petits granulomes non caséeux qui permettent de retenir le diagnostic de granulomatose oro-faciale (GOF), mais pas de MC quand la macrochéilite est isolée(10). En l’absence d’argument pour une sarcoïdose, il faut réaliser un bilan digestif au moindre signe d’appel, car ce tableau de GOF est souvent précoce et peut précéder de plusieurs années les manifestations intestinales surtout chez l’enfant. Devant une chéilite granulomateuse, la présence d’ulcérations de la muqueuse buccale, d’une atteinte des sillons gingivo-jugaux, d’une élévation de la CRP, d’une baisse des taux d’hémoglobine et de ferritine, sont évocatrices d’une MC. L’observation de lésions de la muqueuse buccale impose l’examen de la muqueuse anale, car ces deux sites sont souvent atteints de manière concomitante.   Figure 8. Aspect typique de MC buccale associant fissures, ulcérations aphtoïdes et lésions polypoïdes (mucosal tags).   Figure 9. Macrochéilite granulomateuse fissuraire avec perlèche et lésions polypoïdes précessives des signes digestifs.   Les lésions cutanées Elles sont rares et extrêmement trompeuses car d’un grand polymorphisme clinique. Des présentations très inhabituelles à type d’érythème facial, de nodules acnéiformes, de pseudoérysipèle, d’intertrigo ont été rapportées. Des lésions nodulaires ou des plaques érythémateuses indurées parfois ulcérées ou végétantes (figure 10) sont peut-être plus évocatrices chez ces patients dont la MC est en règle connue depuis de nombreuses années, mais habituellement quiescente. Les localisations métastatiques inaugurales sont exceptionnelles. Il ne faut donc pas hésiter à biopsier systématiquement toute manifestation dermatologique inhabituelle au cours d’une MC.   Figure 10. Plaque unique végétante et inflammatoire de la jambe survenant dans le cadre d'une MC connue.   Histologiquement, la sarcoïdose représente le principal diagnostic différentiel. Le traitement des lésions spécifiques de MC est souvent difficile et n’est pas codifié. Le rôle aggravant du tabac, bien identifié pour l’atteinte digestive, n’a pas été évalué pour ce qui est des lésions cutanées. Il est cependant indispensable d’obtenir le sevrage tabagique s’agissant de lésions particulièrement résistantes aux traitements médicaux.   Les manifestations carentielles Les carences sont globales ou sélectives (vitamines, folates, fer, protides, surtout acides gras essentiels et zinc...). Les manifestations cutanéo-muqueuses y sont fréquentes et variées, évocatrices dans certains cas, mais trompeuses ou non spécifiques dans d’autres. Certaines comme la glossite et la chéilite sont communes à plusieurs déficits, mais il existe assez souvent des manifestations dominantes qui permettent d’orienter le diagnostic et d’envisager un traitement d’épreuve, véritable test thérapeutique plus informatif que les dosages sériques et urinaires : – une éruption photodistribuée doit faire évoquer le diagnostic de pellagre (carence en vitamine PP = vitamine B3 = niacine), ce d’autant que les analogues puriques (azathioprine, 6-mercaptopurine, 6-thioguanine) peuvent générer cette carence ; – devant une hyperkératose folliculaire, il faut chercher une carence en vitamine A (rétinol) ou C. L’hyperkératose folliculaire du tronc et des membres, associée à un purpura pétéchial périfolliculaire et des poils en tirebouchon est très évocatrice de la carence en vitamine C. La gingivite hypertrophique hémorragique est plus tardive ; – des ecchymoses des zones de pression doivent faire penser aux carences en vitamine C ou K ; – il faut demander une NFS en présence d’une glossite. En cas d’anémie macrocytaire, on pense aux carences en vitamine B12 ou B9, tandis que l’anémie microcytaire évoque la carence martiale ; – une dermite d’aspect séborrhéique, et/ou dermite eczématiforme avec atteinte périorificielle, fait évoquer un déficit en vitamines du groupe B, ou une carence en zinc et/ou en acides gras essentiels. La carence en zinc est fréquente au cours des MC évoluant depuis plusieurs années, même en période de rémission. Une zincémie abaissée est notée dans 35 à 45 % des cas, mais n’est symptomatique que dans 10 % des cas environ. Le diagnostic doit être évoqué devant un intertrigo de la région génitale, une vulvite œdémateuse et suintante (figure 6), un érythème douloureux scrotal, ou un eczéma craquelé. Il ne faut pas hésiter à prescrire un traitement d’épreuve, efficace en quelques jours, en doublant la dose usuelle du fait de la malabsorption (gluconate de zinc 2 gélules x 2/jour à prendre impérativement à jeun) ; – pour terminer, rappelons la fréquence du déficit en vitamine D chez les sujets atteints de maladie de Crohn, avec les risques d’ostéoporose majorés par les traitements stéroïdiens itératifs.   Les autres manifestations Mis à part les complications péristomiales, il s’agit essentiellement de maladies inflammatoires à médiation immune qui sont des entités bien individualisées, n’évoluant pas parallèlement aux poussées digestives, deux raisons pour lesquelles elles sont considérées comme associées et non réactionnelles.   Complications des stomies Les dermatoses péristomiales sont fréquentes surtout en cas d’iléostomies, d’étiologies diverses et difficiles à traiter. En dehors des dermatoses préexistantes (eczéma, psoriasis) et souvent auto-entretenues par la stomie, on distingue les lésions survenant précocement des dermatoses plus tardives et souvent chroniques. Dans le premier groupe, on trouve le PG postopératoire (figure 1), la fistule entéro-cutanée ou l’hématome surinfecté. Plus tardivement, on observe des lésions spécifiques (MCX péristomiale) et surtout des dermites irritatives ou caustiques qui se compliquent fréquemment de surinfections bactériennes ou fongiques. Les vraies dermatites de contact (latex, pâtes adhésives…) sont rares, mais il ne faut pas hésiter à pratiquer des épidermo-tests en cas de doute. Pour terminer, les diagnostics sus-cités ayant été éliminés, il faut savoir évoquer une pathomimie. L’intervention d’une infirmière stomathérapeute est souvent requise pour venir à bout de ces dermatoses péristomiales dont la désespérante chronicité altère très sérieusement la qualité de vie des malades.   Hippocratisme digital Il est présent dans 20 à 30 % des MC selon les séries.   Épidermolyse bulleuse acquise (EBA) Elle est associée à une MICI dans 30 % des cas, principalement la MC, ce qui justifie la réalisation d’un bilan digestif chez tout malade atteint d’EBA. La maladie bulleuse précède la découverte de la MICI dans à peu près la moitié des cas, et leurs évolutions sont indépendantes l’une de l’autre.   Maladies auto-immunes Ont été rapportées de manière très ponctuelle : vitiligo, pelade, lupus érythémateux, sclérodermie, lichen, polychondrite, syndrome de Gougerot-Sjögren...   Psoriasis et éruptions psoriasiformes induites par les anti-TNF   • Psoriasis L’association au psoriasis est connue depuis le début des années 80. Dans une étude canadienne de 2005, les malades présentant une MC avaient un risque multiplié par 1,6 de développer un psoriasis par rapport à la population contrôle. À l’inverse, les sujets ayant un psoriasis avaient un risque à peu près similaire (x 1,52) de développer une MC. Plus récemment, deux études dont la méthodologie est identique (cas-témoin à partir du registre d’une assurance maladie comparant la prévalence des MICI chez les sujets psoriasiques et chez les témoins), donnent des chiffres un peu supérieurs à 2. Même si ces ratios de prévalence doivent être affinés par des études prospectives, il est indéniable que de nombreuses connexions existent entre ces deux maladies(11). • Éruptions psoriasiformes Il s’agit d’un effet paradoxal des anti-TNF pour lequel la question n’est pas tranchée de savoir s’il s’agit d’authentiques psoriasis ou de toxidermies psoriasiformes. La physiopathologie commence a en être décryptée et fait intervenir les cellules plasmocytoïdes, les Lc T régulateurs, l’IFN alpha et la voie de l’IL-17. Ces éruptions s’observent deux fois plus souvent chez les femmes et surviennent dans plus d’un tiers des cas chez des patients ayant des antécédents personnels ou familiaux de psoriasis(6). Les zones bastions du psoriasis sont plutôt épargnées, avec une prédominance de l’atteinte du cuir chevelu et des plis, l’atteinte pustuleuse palmoplantaire n’arrivant qu’en troisième position par ordre de fréquence. Bien que survenant en règle chez des patients dont la MICI est contrôlée, elles sont responsables de l’arrêt de la biothérapie dans près de la moitié des cas et disparaissent dans un délai moyen de 3 mois après l’arrêt. Un effet classe est indiscutable et se traduit par la récidive ou la poursuite évolutive des lésions dans tous les cas après le changement d’anti-TNF qui peut néanmoins être proposé, de même que le remplacement de l’anti-TNF par le méthotrexate ou l’azathioprine. La prise en charge dermatologique est ici essentielle afin d’optimiser les soins locaux, parfois au cours d’une courte hospitalisation, de manière à permettre la poursuite du traitement le plus souvent efficace sur la MC. Bien que les études concernant l’association de l’anti-TNF aux UV, en particulier les UVB, soient peu nombreuses, il s’agit d’une alternative qui peut être proposée pour passer un cap. L’ustekinumab (Ac anti IL-12/23) qui pourrait obtenir prochainement l’AMM dans les MICI, peut également être prescrit(12), éventuellement associé aux UVB.

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