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Cas cliniques

Publié le 03 mai 2015Lecture 7 min

Insuffisance surrénalienne secondaire à une corticothéparie prescrite pour pelade en plaques

H. BENCHIKHI, M. TARWATE, C. LAGLAOUI, Service de dermatologie, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc

Devant la chronicité et le retentissement psychologique de la pelade, qu’elle soit en plaques ou plus étendue, le dermatologue est souvent amené à prescrire des thérapeutiques dont le rapport bénéfice-risque n’est pas toujours bien calculé. Nous rapportons l’observation d’un patient atteint de pelade dont le traitement par corticoïdes a induit une insuffisance surrénalienne (IS).

Observation Un jeune homme de 30 ans a consulté en décembre 2011 pour pelade en plaques multiples du cuir chevelu. Ses antécédents personnels ne comportaient ni atopie ni maladie auto-immune : en revanche, son père avait eu un diabète à l’âge de 62 ans ainsi que sa tante maternelle. Sa maladie a débuté en 2009, soit à l’âge de 28 ans, brutalement par des plaques peladiques du cuir chevelu multiples. Quelques semaines plus tard, l’état peladique atteignait les sourcils de façon complète, puis les cils partiellement, ainsi que les avant-bras. À cette date, une corticothérapie locale a été prescrite à base de dipropionate de bétaméthasone ainsi que du gel rubéfiant et des injections intralésionnelles de vitamine B6. La « guérison » a été rapidement suivie de rechute. En août 2010, a été prescrite une corticothérapie par bolus, 1 gramme de méthylprednisolone en un jour toutes les deux semaines pendant 13 semaines, soit 7 g au total. En février 2011, soit 6 mois après le début des bolus, on notait une rechute des plaques de pelade : une injection de bétaméthasone solution injectable 1 ml est alors prescrite en juillet 2011 par voie intramusculaire. En août 2011, bien que ne présentant aucun signe physique, le patient a consulté de lui-même un endocrinologue : il lui est prescrit de l’hydrocortisone 10 mg 2 fois/j qu’il a arrêtée de lui-même avant de venir nous consulter pour sa pelade. Nous avons examiné ce patient le 13 décembre 2011 : il pesait 86 kg pour 162 cm. Il existait des plaques de pelade de 15 à 20 cm de diamètre sur la presque totalité du cuir chevelu qui était rasé (figure 1) ; les sourcils étaient complètement glabres avec dépilation des cils des deux paupières supérieures (figure 2) ainsi que des avant-bras. On notait la présence de plaques peladiques de plus petite taille au niveau de la barbe ainsi qu’une atteinte des ongles des 3e et 5e doigts gauches.   Figure 1. Pelade en plaques multiples du cuir chevelu. Figure 2. Pelade des sourcils et des cils.   L’examen retrouvait un faciès cushingoïde, une gynécomastie bilatérale, des vergetures larges et nacrées de l’abdomen et un plastron adipeux abdominal. L’examen des organes génitaux externes était normal. Le bilan biologique du 23 août 2011 montrait un cortisol plasmatique de 8 heures à 3,45 ng/ml (8 < N < 25 ng/ml) et de 16 h à 7,60 ng/ml (1 < N < 17 ng/ml). Le taux de T4 était de 10,6 ng/l (7,8 < N < 20 ng/l) et celui de la TSH à 1,79 UI/ml (0,25 < N < 5 UI/ml). La corticotrophine (ACTH) ultrasensible était inférieure à 5 ng/l (10,3 < N < 48,3 ng/l). Ce bilan a été refait le 30 septembre 2011, soit après un mois de traitement par hydrocortisone 20 mg/j : cortisol plasmatique de 8 heures à 0,64 ng/ml (8 < N < 25 ng/ml) et de 16 h à 2,72 ng/ml (1 < N < 17 ng/ml). La glycémie était normale. Nous avons augmenté la dose d’hydrocortisone à 10 mg 3 fois/j en accord avec l’endocrinologue du patient. Devant la demande très pressante du patient, nous avons opté pour un traitement local par minoxidil.   Discussion Dans cette observation, le diagnostic de pelade ne faisait aucun doute et la demande thérapeutique du patient a conduit à la prescription de médicaments usuels de cette affection. Les dermocorticoïdes ont été utilisés en première intention avec une première repousse. Le second protocole thérapeutique par bolus a comporté des doses élevées et à des intervalles rapprochés : en effet, il est recommandé chez l’adulte la dose de 250 mg 2 fois par jour pendant 3 jours de méthylprednisolone à répéter éventuellement après 3 mois(1). Les meilleurs résultats sont obtenus sur des pelades récentes datant de moins de 3 mois, ce qui n’était pas le cas de notre patient dont la pelade remontait à plus d’un an. Les bolus de corticoïdes semblent avoir des effets secondaires moins délétères qu’en cas de prise orale(2). Dans notre observation, il s’en est cependant suivi la survenue d’une insuffisance surrénalienne (IS) chronique à bas bruit confirmée par les dosages plasmatiques de la cortisolémie. D’authentiques IS ont été ainsi rapportées dans la littérature dès les premières prescriptions des corticoïdes systémiques. Elles font suite à l’utilisation de très fortes doses de corticoïdes, comme dans notre observation, et sont dues au freinage de l’axe corticotrope hypothalamo-hypophyso-surrénalien, qui peut survenir dès les premiers jours du traitement(3). Le déficit de la synthèse endogène de corticoïdes peut être dû à l’inertie fonctionnelle ou à l’atrophie des surrénales. La durée prolongée de la corticothérapie est également un facteur de risque de l’IS(4). En effet, la fréquence de l’IS biologique chez des patients ayant eu une corticothérapie prolongée est estimée entre 15 et 87 %, cette disparité étant liée aux modalités différentes de prescription des corticoïdes (doses, schéma discontinu) et aux pathologies sous-jacentes(4,5). Cependant, il n’existe aucune donnée épidémiologique concernant cette complication de la corticothérapie par bolus et dans la pelade. Chez notre patient, l’examen clinique a retrouvé des signes d’hypercorticisme témoignant d’une imprégnation iatrogène intense. Paradoxalement, cette IS peut survenir chez des patients ayant souvent des signes d’hypercorticisme. De plus, l’absence de mélanodermie dans le cas présent permet aussi de lier cette IS à la prise de corticoïdes plutôt qu’à d’autres étiologies(3). Notre patient ayant consulté un endocrinologue de sa propre initiative, et en l’absence d’asthénie et d’amaigrissement, il s’ensuit que la découverte de cette IS asymptomatique a été presque aléatoire. Le diagnostic repose sur le taux bas du cortisol le matin à 8 heures : il doit être inférieur à 30 μg/l. Le risque majeur est la survenue d’une IS aiguë sur cette IS lente, à la suite d’un stress. Il est possible de prédire ce risque par la réalisation d’un test au synacthène, qui permet une exploration dynamique des surrénales. Dans l’étude de G. Pugnet et coll., ce test a été réalisé systématiquement chez des patients de médecine interne ayant eu une corticothérapie prolongée : dans cette série de 100 patients, 45 (45 %) avaient une IS biologique asymptomatique(4). Le suivi de ces patients entre le 12e et le 36e mois a montré que 4 patients ont eu une IS définitive, mais que les autres ont récupéré. Chez notre patient, il est trop tôt pour conclure à une IS transitoire, d’autant plus que le contrôle biologique a montré une baisse du cortisol de 8 h. La pertinence du test au synacthène reste néanmoins controversée pour prédire le risque de l’ICS aiguë(3). Il semble cependant que l’IS aiguë clinique après corticothérapie prolongée soit rare, même si des cas de décès ont été rapportés au cours d’intervention chirurgicale(4,6). Il faut donc en avertir le patient et son médecin en cas d’intervention chirurgicale ou de maladie infectieuse. Ainsi, dans cette observation, la survenue de l’IS peut faire courir un risque peut-être vital à ce patient alors même que la pelade en est dénuée. La demande médicale des patients doit inciter à prendre des risques bien pesés, en particulier dans des dermatoses dites « bénignes », même si la prise en charge de la pelade est autant anxiogène pour le patient que pour le dermatologue.

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