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Dermatologie générale

Publié le 10 mar 2013Lecture 15 min

Syndets, surgras, sans savons… et hygiène : qu’en est-il de leur tolérance ?

Y. GALL, Service de dermatologie, CHU de Toulouse
Le but de cet article est de comprendre les différences de composition et d’effets sur la peau de ces différents produits. Ces nouveaux savons sont-ils réellement doux, sont-ils parfaitement tolérés au long cours ? Ne faut-il pas être prudent chez certains de nos patients (sujets âgés, jeunes atteints de dermatite atopique) ?
Michelet a parlé de 1 000 ans de crasse pour caractériser le Moyen Âge. En 1292, on compte seulement 58 porteurs d’« yaulx » (eau) à Paris (figure 1). Ils sont 2 000 au XVIIIe siècle, puis leur nombre diminue à partir de l’installation des réseaux d’eau par l’ingénieur Belgrand, chargé par Haussman d’approvisionner la capitale en eau douce. Ils disparaissent à partir de 1890. À cette époque, seulement un tiers des habitations a une baignoire. L’hygiène s’est considérablement développée depuis 150 ans. C’est sous l’impulsion de Napoléon Bonaparte que les premiers savons de Marseille sont mis au point à partir d’huile d’olive. La production industrielle de la soude puis l’apparition des syndets vont permettre le développement de l’hygiène parallèlement à la mise à disposition de l’eau courante, puis de l’eau chaude et des salles de bains. L’hygiène est devenue un geste de bien-être autant qu’un moyen de se laver. Le bain du petit enfant est un moment de détente et de complicité avec la maman autant qu’un besoin de nettoyage. Les syndets ont supplanté les savons traditionnels. La chimie des syndets est très complexe et il est utile pour le dermatologue d’en comprendre quelques principes.   Figure 1. Porteur d'eau au XIXe siècle.   Les surfactants : des molécules amphiphiles Certains lipides ont la particularité d’être formés d’une partie polaire hydrophile (tête) et d’une partie apolaire hydrophobe (queue). Ces lipides, dits amphiphiles, ont la capacité de s’orienter de façon différente en fonction du milieu où ils se trouvent (figure 2). Ils sont aussi appelés tensio-actifs ou surfactants(1). Figure 2. Structure d’un surfactant composé d’une partie polaire et d’une partie apolaire.  Quand on mélange ces lipides amphiphiles avec de l’eau, ils s’orientent de façon que leur tête polaire soit en contact avec l’eau et que leur queue apolaire soit en face des autres lipides. Le surfactant est donc une molécule qui a tendance à se placer à l’interface entre deux phases. Un exemple classique est celui de la vinaigrette : lorsqu’on l’agite, on obtient une émulsion secondaire à la configuration générée par les lipides amphiphiles. En général, elle ne reste pas stable et retourne à l’état initial, avec séparation de la phase aqueuse (le vinaigre) et de l’huile. Le principe des formulations cosmétiques est de stabiliser le mélange. Il existe deux types de molécules amphiphiles : – les unes sont d’origine naturelle (ce sont les acides gras d’origine animale comme les talowates ou d’origine végétale comme l’huile d’olive, de palme, de laurier ou de coco). Ils sont couramment appelés savons ; – les autres sont issues de la chimie du pétrole (ce sont les synthetic detergents ou syndets). Ce sont des acides gras à longue chaîne de composition et de nature très variable (il en existe plus de 2 000). On peut les classer en fonction : – de leur structure (notamment du nombre d’atomes de carbone) ; – de leur fonctionnalité (certains sont des agents nettoyants, d’autres des agents émulsifiants, ou stimulants de mousse, d’autres des agents solubilisants ou dispersants, etc.) ; – de leur polarité, c’est-à-dire de la nature du fragment hydrophile : on parle d’anioniques si la tête est chargée négativement, de cationiques si elle est positive, d’amphotères quand elle porte les deux types de charge et de non ionique en l’absence de charge ; dans ce cas, la partie hydrophile peut être constituée d’un sucre comme le décyl-glucoside ; – de leur tolérance : les anioniques sont les moins bien tolérés, les non ioniques les mieux tolérés.   Histoire de la mise au point des syndets   C’est pendant la Seconde Guerre mondiale que le général Mac Arthur demande aux chimistes américains de mettre au point une variété de savon pouvant mousser dans l’eau de mer. Les GI’s passaient alors plusieurs semaines en mer dans les îles du Pacifique et étaient gênés par les infections cutanées favorisées par la chaleur et le manque d’hygiène. Les surfactants synthétiques ont la même structure chimique que les savons naturels : ce sont des amphiphiles munis d’une queue polycarbonée lipophile et d’une tête polaire hydrophile. Ils sont extraits du pétrole et ont l’avantage d’une grande variété de structures permettant de multiples associations en fonction des objectifs recherchés. Aujourd’hui, cette industrie représente un marché considérable. Le taux annuel des produits d’hygiène vendus en Europe est de 500 000 tonnes, ce qui correspond à une consommation de 1,6 kg par personne et par an. La consommation annuelle de tensio-actifs est de 12 millions de tonnes. Les différents surfactants utilisés dans les syndets(2) Les surfactants sont le plus souvent classés en fonction de leur charge.  Les anioniques sont les plus utilisés. Ils sont à la base de la plupart des produits d’hygiène. Ils sont présents aussi bien dans les savons, sous forme de carboxylate de sodium (R-COONa), que dans la plupart des syndets, sous forme d’alkyl sulfates, d’alkyl taurates et d’alkyl sulfosuccinates. Le plus connu et le plus largement utilisé est le lauryl sulfate de sodium (LSS) et son dérivé le sodium laureth éthoxylate sulfate. Ils se caractérisent par un fort pouvoir nettoyant et d’excellentes propriétés moussantes et mouillantes. De nouveaux produits ont été mis au point, notamment le cocoyl isothionate sodium.   Les anioniques sont les détergents de base utilisés dans la plupart des shampoings et des gels douche d’autant qu’ils sont peu coûteux. Cependant, ils peuvent être irritants pour la peau. Leur prix modéré explique aussi leur large diffusion.  Les surfactants cationiques sont plus utilisés pour leurs propriétés antiseptiques que pour leurs propriétés détergentes. Les plus utilisés sont les sels d’ammonium quaternaires (cétrimide et chloride de benzalkonium). Ils sont aussi irritants que les anioniques.   Les cationiques sont incorporés surtout dans les shampoings, car ils ont un pouvoir antistatique et coiffant, ainsi que dans les antiseptiques du fait de leurs propriétés bactéricides.    Les surfactants amphotériques associent les propriétés des anioniques et des cationiques (équilibre des charges positives et négatives).Les plus utilisés sont la bétaïne cocamidopropyl et les coco ampho acétates et diacétates. Le premier est le plus utilisé du fait de ses propriétés viscosantes et de son fort pouvoir moussant. Figure 3. Shéma d’une micelle où la tête est la partie hydrophile et la queue la partie lipophile.   Les amphotériques sont beaucoup utilisés dans les shampoings et les produits pour bébés. Leur emploi, très répandu, s’explique par un bon pouvoir nettoyant et moussant, des propriétés antiseptiques modérées et une meilleure tolérance.    Les surfactants non ioniques n’ont pas de charge électrique et constituent une classe hétérogène de produits : – les alkylpolyglucosides (coco, décyl, lauryl glucosides) ; – le diéthanolamide de coco ; – les esters d’alcool gras ou de sorbitan, le sucrose. Ils sont utilisés pour augmenter la viscosité des shampoings et des produits dermo-cosmétiques, et même dans les additifs alimentaires. Ils sont capables de chélater les minéraux de l’eau lorsqu’elle est calcaire. Cette classe de produits est considérée comme la moins irritante pour la couche cornée, mais ils sont aussi les plus coûteux. La plupart des syndets sont constitués de l’association de ces différents surfactants offrant à la formulation des possibilités infinies en matière de texture, de pouvoir moussant ou de rinçage. Ils nettoient la peau et sont de ce fait plus ou moins agressifs car ils altèrent la fonction barrière en solubilisant les lipides de la couche cornée. Les anioniques ont la même nature que le savon naturel.   Figure 4. Micelles de savon intégrées dans l’eau de rinçage.    Propriétés et mode d’action des surfactants Lorsque l’on met des molécules de surfactant dans l’eau, celles-ci se déposent à la surface de telle façon que les têtes hydrophiles soient à l’air libre. Si on en rajoute, il se produit à un moment donné, un changement de phase qui se caractérise par la réorganisation des molécules sous forme de structures sphériques appelées micelles (figure 3). La concentration micellaire critique (CMC) correspond à la concentration à partir de laquelle les molécules de surfactants s’organisent sous forme d’agglomérats micellaires. Il s’agit d’une propriété physico-chimique qui explique non seulement la constitution des micelles, mais aussi la formation des liposomes et des membranes cellulaires. Dans chaque micelle, les queues hydrophobes sont à l’intérieur et solubilisent les particules lipidiques à éliminer. Les têtes hydrophiles sont à l’extérieur et permettent l’élimination de la micelle dans l’eau de rinçage (figure 4). Plus la concentration en micelles est forte, plus le pouvoir détergent est grand. Celui-ci dépend aussi de la charge de la tête hydrophile. Les surfactants modifient les propriétés de surface de la peau en diminuant la tension et l’énergie de surface. Plus le tensio-actif les abaisse, plus les propriétés nettoyantes sont grandes et plus il émulsifie les corps gras (en les englobant avec les saletés présentes en surface).On appelle rolling-up la capacité à décrocher et à emporter les salissures. La mouillabilité de ces molécules correspond à leur capacité à s’étaler sur la peau (figure 5) : plus elle est grande, plus l’angle de contact est petit, voire nul, plus les propriétés nettoyantes sont élevées car il s’étale davantage. Figure 5. Mouillabilité d’un liquide sur la peau. L’étalement dépend de l’angle Θ. À gauche, mouillabilité parfaite ; au milieu, mouillabilité partielle comme pour les détergents ; à droite, mouillabilité faible comme pour le mercure.    Ceci explique les principales propriétés des détergents : solubilisantes, émulsifiantes, mouillantes, moussantes et nettoyantes. La contrepartie de ces propriétés est liée aux modifications biochimiques de la peau induites par les surfactants. Elles s’observent à la fois en aigu (le lauryl sulfate de sodium est utilisé comme modèle de référence pour les tests de tolérance ou patch-tests) et en usage chronique (dermite de contact irritative). Les surfactants peuvent solubiliser les lipides membranaires (surtout les céramides) et induire des cytolyses cornéocytaires. Ils dénaturent la kératine et provoquent une turgescence des membranes cellulaires et des fibres de collagène. Ainsi s’expliquent les phénomènes de peau sèche, rugueuse, avec érythème et sensation de tiraillements et de désquamation. Il est possible de classer les différents surfactants en fonction de leur pouvoir irritatif : cationique > anionique > amphotérique > non ionique. Le stratum cornéum est composé de lipides intercellulaires composés essentiellement de cholestérol, d’acides gras libres et de céramides qui assurent l’étanchéité de la fonction barrière. Ces lipides sont en partie mobilisables par les détergents surtout quand ils sont appliqués de façon répétitive. Les détergents peuvent pénétrer à travers le stratum cornéum, perturbant la synthèse lipidique et induisant la libération de médiateurs de l’inflammation. L’emploi d’un détergent a pour but de débarrasser la peau des saletés, du sébum, de la sueur, des micro-organismes et des cellules cornées superficielles. Néanmoins, un usage fréquent ou répété peut agresser la peau et la fragiliser en diminuant les propriétés de la fonction barrière.   Données comparatives de tolérance sur la peau Le rôle d’un détergent est de laver et d’éliminer les corps gras déposés sur la peau. Il est donc logique de penser qu’ils peuvent avoir un effet sur la couche cornée qui est composée de cellules kératinocytaires inertes et de dépôts lipidiques étanches. Les tests prédictifs Plusieurs travaux ont été menés pour comparer les produits. Il existe des tests in vitro (hémolyse de globules rouges de bovin, variations du pH de sérum bovin, turgescence de fibres de collagène en culture, etc.) qui permettent de discriminer les formules, mais ils sont mal corrélées avec l’in vivo(3). La cornéosurfamétrie est réalisée à partir d’une biopsie de surface au cyanoacrylate qui est mise en contact avec différentes solutions de surfactant. Le bleu de toluidine sert de colorant pour mesurer l’intégrité des cornéocytes : plus la membrane cellulaire est altérée, plus le colorant pénètre. L’intensité de la couleur est mesurée par un chromamètre qui donne des valeurs reproductibles. Les tests in vivo sont plus prédictifs, notamment les tests d’usage et les tests de lavage, comme le test d’immersion des mains et le test au pli du coude(4). L’application des surfactants de façon répétée permet de reproduire certaines situations cliniques comme la dermite des ménagères… Les patch-tests peuvent être réalisés en ouvert ou en occlusif, de façon isolée ou répétée. Les critères de mesure sont visuels (érythème, désquamation, sécheresse, etc.) et biométrologiques : – la perte insensible en eau (TEWL) mesure la fonction barrière, c’es-tà-dire le respect de la couche cornée et du film hydrolipidique (figure 6) ; – la microcirculation mesure le degré d’érythème et d’irritation par laser Doppler. Parmi les méthodes d’évaluation, il faut privilégier celles qui se rapprochent des conditions d’usage avec un rinçage et définir les temps d’application et les taux de dilution en fonction de chaque classe de produit.   Figure 6. Mesure des modifications de la fonction barrière après application pendant 20 min chaque jour pendant 8 jours. On voit que le lauryl sulfate (SLS) et le cétrimide (DTAB) altèrent la peau plus que le savon traditionnel (Sapo kal). Les résultats Plusieurs publications sont disponibles : – la comparaison de quatre surfactants anioniques(5) est réalisée sur des modèles de patch-tests occlusifs avec mesure de la perte insensible en eau. Elle donne le classement suivant : SLS (sodium lauryl sulfate) est plus irritant que l’ISE (cocoyl iséthionate), qui l’est plus que le savon et le SUC (éthoxysulfosuccinate) ; – la comparaison de plusieurs syndets(6), en double aveugle, de façon randomisée, selon la méthodologie des patch-tests, montre de grandes différences entre les produits. Ils entraînent tous une atteinte cutanée avec fragilisation des propriétés protectrices de la peau. Ces modifications sont minorées après rinçage à l’eau mais il persiste à la surface de la peau des résidus susceptibles de la fragiliser. Dans un autre travail, plusieurs surfactants(7) des différentes classes connues ont été appliqués en patch sur les avant-bras de 12 volontaires pendant 48 heures. Les mesures ont été effectuées 1 heure après le retrait, 24 heures plus tard puis au bout de 5, 9 et 14 jours. La perte insensible en eau est nettement accrue au moment du retrait, de même que l’érythème mesuré par laser Doppler et ne revient à la normale qu’au bout de 5 jours (figure 7). Figure 7. La perte insensible en eau (traduisant la fonction barrière de la peau ; TEWL) est augmentée après application de la plupart des types de détergents. Elle ne redevient normale qu’au bout de 5 jours.  L’hydratation est modifiée elle aussi. Il existe bien d’autres études(8-10). Elles montrent que les syndets ont une tolérance qui dépend de leur composition(11). Même si le rinçage est correct, il semble qu’il persiste des résidus à la surface de la peau. Ceux-ci peuvent altérer la couverture cutanée (figure 8) et favoriser la survenue de dermite d’irritation et de sensibilisation(12). Figure 8. Modifications de la surface cutanée après application répétée de savon ou de syndet.    Conclusions • Les moyens mis à la disposition de l’hygiène se sont modernisés et les habitudes d’hygiène se sont intensifiées. Parallèlement, les slogans publicitaires des produits d’hygiène promettent des produits bien tolérés permettant une hygiène douce. • Il est donc important d’avoir une idée de l’effet des détergents sur la peau, surtout quand ils s’appellent « surgras », « sans savons », « nettoyants » neutres ou doux… ou qu’ils sont destinés aux bébés ou à l’hygiène intime. Le dermatologue est souvent questionné au sujet des produits à utiliser : quel produit et à quelle fréquence ? • Le terme « sans savons » signifie seulement qu’il ne s’agit pas de sel alcalin d’acide gras d’origine végétale ou animale. Le savon classique est à base d’huile d’olive (savon de Marseille) ou de laurier (savon d’Alep). Il est naturellement sous forme solide. • Le terme « syndet » correspond à des dérivés amphiphiles extraits du pétrole. Leur nombre et leur variété sont très grands, permettant de multiples possibilités d’association et de produits finis. Les anioniques, bien que les plus agressifs, sont pratiquement toujours intégrés dans les produits en raison de leurs grandes propriétés moussantes. Les non ioniques sont les mieux tolérés mais les plus chers. • Tous les produits d’hygiène sont plus ou moins agressifs pour le revêtement cutané, surtout quand ils sont utilisés trop souvent ou sur des peaux fragiles (atopie) ou fragilisées (irritation). • Il est important que le dermatologue connaisse ces éléments pour conseiller ses patients, le risque aujourd’hui étant davantage celui d’un excès d’hygiène qui favorise la peau sèche, le prurit, et entretient l’eczéma. Aucun produit ne permet un usage immodéré.

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