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Cancérologie

Publié le 23 mar 2023Lecture 6 min

La prise en charge des cancers cutanés chez le sujet âgé

Denise CARO, Boulogne-Billancourt

Il n’est pas rare d’avoir à prendre en charge des cancers cutanés de stade avancé chez des personnes âgées qui ont négligé de consulter. La décision thérapeutique est alors difficile à prendre, de multiples paramètres parfois contradictoires entrant en ligne de compte. Illustration autour de quelques cas cliniques.

CAS CLINIQUE N° 1 : Mélanome nodulaire Un avis est demandé en téléconsultation dermatologique pour une volumineuse lésion hémorragique de la joue droite qui évolue depuis une dizaine d’années chez une dame de 94 ans. Une biopsie avait montré une hyperplasie mélanocytaire avec suspicion de mélanome de Dubreuilh, mais la surveillance recommandée n’a pas été faite. Actuellement, la patiente est en assez bon état général ; elle est hypertendue, a une bronchite chronique peu symptomatique et une anémie en cours d’exploration. Elle a également dans ses antécédents chirurgicaux, une prothèse de hanche et une prothèse de genou justifiant un traitement par héparine de bas poids moléculaire. La question se pose de savoir si l’on entreprend des explorations (biopsie, scanner...), si l’on propose une chirurgie d’emblée ou si l’on s’abstient. Du fait de grandes difficultés de prise en charge, dues aux saignements, on procède d’emblée à une intervention en hôpital de jour, permettant une histologie et une exérèse incomplète de confort. L’anatomopathologie révèle un mélanome nodulaire de 25 mm de Breslow, ulcéré T4b. Chez une patiente plus jeune, la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) proposerait une reprise chirurgicale pour assurer les marges, la réalisation d’un ganglion sentinelle, une échographie à la recherche d’une adénopathie, un TEP scanner ainsi qu’un dépistage familial. Mais chez une personne âgée ou fragile, la décision dépend de l’état général de la patiente, des comorbidités et de l’agressivité du geste chirurgical (chez cette patiente, l’exérèse complète de la tumeur proche de la paupière nécessiterait une opération lourde). Enfin, les risques fonctionnels, les soins postopératoires et l’inconfort liés à ces soins doivent être pris en compte. « La notion de négociation est essentielle, a rappelé le Dr Alexandre Ostojic, dermatologue à l’hôpital Henri-Mondor à Créteil. Il faut présenter la proposition thérapeutique au patient qui ne comprend pas toujours les explications, et à sa famille souvent très protectrice. » En effet, dans le cas présent, les rendez-vous pris (imagerie, surveillance) n’ont pas été honorés. Recontactée 6 mois plus tard, la famille a dit sa satisfaction puisque la lésion ne saignait plus et ne gênait pas la patiente, mais, effrayée par l’annonce du diagnostic de mélanome, elle n’avait pas souhaité poursuivre les investigations et la surveillance. « Entre la théorie des indications thérapeutiques et la vraie vie il y a parfois une marge ; ce qui n’empêche pas d’évaluer sérieusement la situation du patient et de discuter de toutes les options avant de décider qu’il n’y a rien à proposer», a estimé le Dr Ostojic.   CAS CLINIQUE N° 2 : Carcinome basocellulaire infiltrant, faisabilité du traitement et confort du patient Le deuxième cas clinique concerne un homme de 87 ans qui présente une psychose chronique stable pour laquelle il est sous curatelle. Célibataire, sans enfant, il vit seul chez lui. Extrêmement méfiant vis-à-vis des soignants, il a déjà refusé plusieurs interventions pourtant nécessaires. Il est vu à la consultation avec une lésion bourgeonnante (20x13x7 mm) transfixiante de la paupière inférieure droite évoluant depuis quelques années. Une biopsie exérèse (shaving) réalisée un an plus tôt a identifié un carcinome basocellulaire (CBC) infiltrant R1. Face à ce volumineux CBC, on peut discuter : la chirurgie d’exérèse avec des marges de 5 mm, suivie d’une reconstruction par lambeau local, la radiothérapie ou le traitement systémique par inhibiteur de Hedgehog (vismodégib). L’option chirurgicale trop lourde et trop complexe n’est pas indiquée chez ce patient âgé et récalcitrant. Le traitement systémique par le vismodégib est réservé aux CBC localement avancés ou métastatiques non éligibles à la chirurgie et à la radiothérapie. Un essai de phase 1 montre 43 % de réponse au traitement avec une durée moyenne de la réponse de 7,6 mois et une tolérance médio- cre (25 % d’EI et 6,8 % de mortalité (1). Cette option n’est pas retenue, puisqu’un traitement par radiothérapie était possible. On a opté pour une radiothérapie de contact DARPAC moins complexe à mettre en œuvre qu’une radiothérapie conventionnelle. Le patient est installé dans un fauteuil, un petit applicateur délivre les rayons directement sur la peau (en l’occurrence 60 Gy en 24 fractions x 2,5 Gy, 1 fois par jour, 4 fois par semaine), des coques en plomb protègent les zones sensibles. Chez ce patient, la tumeur a très bien répondu au traitement avec une disparition complète à 4 mois sans sclérose, larmoiement ou ectropion. « La radiothérapie exclusive permet des taux élevés de contrôle de la maladie, parfois comparables à la chirurgie d’exérèse. Elle peut aussi être proposée en post-opératoire pour des tumeurs à haut risque ; en revanche, la radio-chimiothérapie n’est pas recommandée(2) », a précisé le Dr Nhu Hanh To, oncologue-radiothérapeute à l’hôpital Henri-Mondor à Créteil.   CAS CLINIQUE N° 3 : Une réévaluation régulière de la situation Le troisième cas clinique illustre l’évolution parfois surprenante d’une tumeur jugée peu agressive. Il s’agit d’une femme de 86 ans (polymédicamentée et peu mobile), présentant un carcinome épidermoïde (CE) sous-palpébral opéré en 2019. L’exérèse complète de ce CE bien différencié mature ulcéré Clark III, sans embol vasculaire ni engainement péri-nerveux, avait été réalisée. Ce qui n’a pas empêché une récidive locale quelques mois plus tard. En avril 2020, une biopsie montre à nouveau un CE bien différencié. La rapidité de la récidive justifie une exploration plus approfondie. Un scanner du massif facial retrouve la lésion sous palpébrale sans atteinte osseuse ou musculaire sous-jacente ni adénopathie cervico-faciale. L’élargissant du champ d’exploration de l’examen montre des lésions nodulaires solides des deux champs pulmonaires, suspectes, de localisations secondaires. Le TEP scanner confirme la lésion primitive sous-orbitaire droite hypermétabolique et plusieurs nodules pulmonaires faiblement hypermétaboliques. Bien que peu typiques de lésions secondaires, ces nodules restent quand même suspects. La biopsie pulmonaire révèle une localisation minime d’un CE et des lésions d’hyperplasie alvéolaire atypique. Un traitement systémique est indiqué : ce peut être une chimiothérapie ou une immunothérapie. Les troubles de la marche avec des chutes répétées, les troubles cognitifs et la fragilité nutritionnelle biologique font écarter l’option de la chimiothérapie, et le choix s’est porté sur les anti-PD1 (cemiplimab)(3). Le traitement est commencé en juillet 2020. Une réévaluation précoce révèle une discrète progression métabolique de l’atteinte cutanée et d’un nodule pulmonaire. Comme il est trop tôt pour affirmer l’échec du cemiplimab, celui-ci est poursuivi. Mais l’état général de la patiente se détériore et une pause thérapeutique de 3 mois est décidée. Au terme de cette pause, on constate une nette amélioration avec une régression de l’atteinte primitive cutanée et une stabilité des lésions secondaires pulmonaires. Deux ans après l’arrêt du traitement, la rémission clinique se maintient. « Le cas de cette patiente montre l’importance d’adapter le traitement à l’état général du malade et surtout de réévaluer régulièrement son rapport bénéfice/risque, a souligné le Dr Viarnaud, dermatologue à l’hôpital Henri-Mondor à Créteil. Cette évaluation doit être multidisciplinaire et porter sur les risques liés à la tumeur (évolutivité attendue, complications locales et à distance) et ceux liés aux options thérapeutiques disponibles (contraintes, efficacité et tolérance), sans oublier l’intérêt de l’évaluation oncogériatrique “pragmatique” par le dermatologue averti ou “approfondie” par le gériatre dans les cas complexes. »  

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