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Œil et dermatologie

Publié le 30 sep 2015Lecture 10 min

Les œdèmes des paupières, comment s'en sortir ?

I. SPANOUDI-KITRIMI, D. TENNSTEDT - Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles

La pathologie palpébrale est très fréquente en consultation dermatologique. Le dermatologue est souvent confronté à un réel challenge diagnostique face aux œdèmes palpébraux en raison d’étiologies diverses et complexes. Ceux-ci représentent parfois le signe unique ou inaugural d’une maladie systémique. Il convient donc de faire un bilan complémentaire lorsque ceci s’avère nécessaire, afin de ne pas méconnaître une pathologie devant être rapidement prise en charge ou mettant en péril le pronostic vital.

Les paupières sont facilement le siège d’œdème en raison de leur finesse, de la laxité de la peau, de l’absence d’hypoderme et de la disposition anatomique qui ne permet pas la dispersion des fluides. Cet œdème est dû à l’accumulation L de liquide au sein des espaces interstitiels du derme des régions orbitaires et/ou palpébrales. Il est la conséquence soit d’une diminution du drainage interstitiel, soit d’une augmentation du flux liquidien des vaisseaux vers l’interstitium.   Diagnostic différentiel Plusieurs étiologies doivent être envisagées face un œdème palpébral. Le dermatologue doit rechercher, dans un premier temps, tous les signes associés à celui-ci, qu’ils soient locaux ou généraux.   Dermatoses palpébrales L’atteinte des paupières est souvent aiguë en cas de dermatite allergique de contact et de poussée de dermatite atopique (figure 1) ou séborrhéique. Dans ces deux derniers cas, les antécédents du patient ainsi que les signes cutanés à distance sont fort utiles pour étayer le diagnostic. La plupart des eczémas de contact des paupières s’observent chez les sujets féminins. Dans le cas d’une allergie de contact, il convient de réaliser une anamnèse précise des produits appliqués. Les origines de cet eczéma de contact sont diverses, par contact direct (figure 2) (topiques sur les paupières, collyres ophtalmologiques associés à une conjonctivite, etc.), par contact ectopique manuporté (vernis à ongles ou ongles artificiels, etc.) ou par contact via les cheveux (colorations capillaires ou shampooings, etc.) et finalement par contact aéroporté (parfums, pesticides, médicaments, etc.). Il est dès lors indispensable de réaliser des tests épicutanés à l’aide d’une batterie standard et cosmétique ainsi que de tester les différents produits personnels utilisés par les patients. Il ne faut cependant pas négliger une origine professionnelle. La rosacée et l’acné peuvent également provoquer un œdème palpébral dans de rares cas, dont le mécanisme en cause est un lymphœdème (figure 3). Le syndrome de Fuchs, un syndrome rare, occasionne des œdèmes de paupières de courte durée, auto-résolutifs et récidivants aboutissant à une atrophie de la paupière.   Figure 1. Dermatite atopique, avec léger œdème des paupières.   Figure 2. Allergie de contact au méthylisothiazolinone.   Figure 3. Patient présentant un œdème surtout localisé au niveau des paupières inférieures, dans le cadre d'une dermatose mixte de la face (lésions de rosacée et dermatite séborrhéique).   Causes infectieuses Les infections oculaires sont fréquentes et nécessitent la plupart du temps l’avis de l’ophtalmologue. Les conjonctivites et kératites virales ou bactériennes associent une atteinte conjonctivale et un oedème palpébral ainsi qu’un larmoiement. L’orgelet et le chalazion sont provoqués par une infection d’une glande pilosébacée d’un cil pour le premier et des glandes de Meibomius pour le deuxième, pouvant s’accompagner d’un œdème. La dacryocystite entraîne une douleur importante et un gonflement principalement situé au niveau du canthus interne. La cellulite préseptale (périorbitaire) atteint surtout l’enfant ; l'œdème est souvent unilatéral, inflammatoire sans bourrelet périphérique. Il faut cependant toujours rechercher des signes de cellulite orbitaire (rétroseptale), grave en raison du risque de complications potentielles (méningite, thrombophlébite du sinus caverneux, etc.), tels un ptosis, des douleurs lors des mouvements orbitaires, une ophtalmoplégie, voire une diminution de l’acuité visuelle. Une imagerie est fortement recommandée dans ce cas, ainsi qu’une hospitalisation pour une prise en charge de l’infection par antibiothérapie intraveineuse. La porte d’entrée est souvent liée à une infection des voies respiratoires supérieures, une sinusite ou un traumatisme. Les infections virales sont diverses et le plus souvent locorégionales. Le zona et l’herpès simplex peuvent être la cause d’un œdème palpébral unilatéral, qu’il faut systématiquement évoquer chez des patients immunodéprimés ou atteints de dermatite atopique. Une atteinte oculaire doit systémiquement être recherchée par l’ophtalmologue. Le signe d’Hoagland, œdème palpébral bilatéral, est souvent le signe inaugural dans la mononucléose infectieuse. Il est surtout remarqué à la moitié inférieure des paupières supérieures (figure 4). Les infections bactériennes peuvent présenter un tableau clinique parfois très impressionnant avec atteinte importante de l’état général et forte fièvre. C’est le cas de l’érysipèle de la face, placard érythémateux douloureux accompagné d’un bourrelet périphérique et d’un œdème facial pouvant atteindre les paupières. Beaucoup plus rare est la staphylococcie maligne de la face, au départ d’un furoncle centro-facial « manipulé » avec risque de thrombophlébite septique s’étendant vers le sinus caverneux et nécessitant une prise en charge urgente (figure 5). Finalement, les causes parasitaires, plus rares, incluent les trichinoses, l’onchocercose, l’oedème de Calabar ou encore la maladie de Chagas.   Figure 4. Signe d'Hoagland, œdème surtout remarqué à la moitié inférieure des paupières supérieures.   Figure 5. Staphylococcie maligne de la face.   Causes auto-immunes Plusieurs maladies auto-immunes sont à l’origine d’un œdème palpébral, pouvant en être parfois le signe inaugural. Le dermatologue doit donc rester vigilant afin de ne pas méconnaître une pathologie systémique et rechercher tous les signes cliniques et biologiques qui peuvent y être associés. Les dysthyroïdies s’accompagnent fréquemment d’un œdème palpébral. Il est blanc, bilatéral et chronique en ce qui concerne l’hypothyroïdie et est souvent lié à l’infiltration myxœdémateuse (figure 6). Il peut parfois être le seul signe cutané d’une maladie de Basedow, il est alors rougeâtre (figure 7). Une exophtalmie et une paralysie oculomotrice peuvent y être associées. Cet œdème est causé par une hypertrophie des muscles périorbitaires. En cas de dermatomyosite, l’œdème palpébral peut constituer le signe inaugural. Il est généralement bilatéral et liliacé (figure 8). Il est classiquement dénommé « œdème en lunettes ». Le lupus systémique (figure 9) et le lupus érythémateux chronique peuvent se traduire par un œdème aigu ou chronique uni- ou plus souvent encore bilatéral. Beaucoup plus rare, le syndrome IgG4, maladie systémique caractérisée par une atteinte fibro-inflammatoire d’un ou plusieurs organes et une élévation sérique des IgG4 peut atteindre les paupières ; le diagnostic se fait alors par biopsie de la paupière : infiltration lymphoplasmocytaire (à IgG4 surtout) et fibrose sont observées.   Figure 6. Patiente souffrant d'hypothyroïdie avec un œdème blanc, mou et bilatéral ainsi que le signe de la queue du sourcil.   Figure 7. Œdème bilatéral, rougeâtre, avec atteinte des quatre paupières dans le cadre d'une maladie de Basedow.   Figure 8. Dermatomyosite.   Figure 9. Œdème palpébral bilatéral dans lun contexte de lupus systémique.     Maladies granulomateuses La sarcoïdose peut provoquer un œdème palpébral, tout comme le syndrome de Melkersson-Rosenthal caractérisé par une paralysie faciale périphérique et une langue plicaturée (figure 10).   Figure 10. Œdème palpébral et paralysie faciale périphérique dans le cadre d'un syndrome de Melkersson-Rosenthal.   Causes générales Des atteintes systémiques diverses peuvent être à l’origine d’un oedème palpébral souvent accompagné d’un oedème plus généralisé ou d’autres signes systémiques. Ainsi, une atteinte rénale, cardiaque ou hépatique peut créer des oedèmes par différents mécanismes. L’hypoalbuminémie est en cause, entre autres, en cas de syndrome néphrotique ou d’insuffisance hépatocellulaire. La rétention hydrosodée est responsable dans les cas d’insuffisance cardiaque droite, d’insuffisance rénale et de cirrhose hépatique.   Causes tumorales Les lésions tumorales primitives (paupières, orbites) ou secondaires (métastases, notamment cancer du sein) peuvent provoquer un œdème palpébral, il faut donc y penser lors du diagnostic différentiel. Il convient de ne pas oublier le syndrome cave supérieur qui résulte d’une compression médiastinale, responsable d’un œdème des paupières, d’un œdème « en pèlerine » et d’une circulation collatérale.   Médicaments Les médicaments sont bien connus pour favoriser des oedèmes palpébraux via différents mécanismes parfois complexes et non entièrement élucidés. La plupart du temps, il s’agit d’un oedème bilatéral (figure 11) ; cependant, il peut apparaître unilatéralement, suite à une position prolongée du patient sur le côté lors du sommeil.   Figure 11. Œdème palpébral bilatéral, prédominant le matin, suite à la prise d'antagonistes calciques.   Le tableau ci-dessous reprend les principales causes médicamenteuses :   Angiœdèmes Les angiœdèmes correspondent à un gonflement plus ou moins rapide des tissus sous-cutanés et/ou sous-muqueux pouvant atteindre les paupières. La durée varie de quelques heures à quelques jours, ils guérissent sans laisser de séquelles et sont accompagnés ou non d’une urticaire. Ils peuvent être divisés en deux groupes selon le médiateur responsable : angiœdèmes histaminiques (figure 12) et angiœdèmes bradykiniques. Les premiers sont généralement érythémateux, prurigineux, fugaces, souvent associés à de l’urticaire et retrouvés, la plupart du temps, dans un contexte allergique ou atopique. Les seconds sont blancs, peu voire non prurigineux, circonscrits, durent quelques jours et ne répondent pas aux corticoïdes. Ils sont représentés par les angiœdèmes héréditaires ou acquis (ex : angiœdème lors d’un traitement par IEC ou sartans).   Figure 12. Angiœdème histaminique.   Conclusion Le dermatologue se retrouve souvent au premier plan lors du diagnostic étiologique d’un œdème de paupières. Il existe plusieurs diagnostics cliniques faciles à poser ; cependant, il ne faut pas oublier des pathologies plus complexes, pour lesquelles un bilan complémentaire complet doit être réalisé (encadré ci-dessous). Une collaboration avec d’autres médecins spécialistes pour une prise en charge optimale est parfois également nécessaire.   Pour en savoir plus • Scrivener JN. Œdèmes des paupières : conduite à tenir. Réalités thérapeutiques en dermato-vénéréologie 2014 ; 236 : 9-14. • Beaudouin E et al. Les œdèmes des paupières pas toujours allergiques ! Le point de vue de l’allergologue. Réflexions ophtalmologiques 2013 ; 161 : 34-8. • Villee C, Tennstedt D. Les œdèmes des paupières d’origine médicamenteuse. Nouv Dermatol 2006 ; 25 : 621-6. • Bernard P, Estines O, Guillot B. Dermatoses des paupières. Ann Dermatol Venereol 2002 ; 129 : 1317-22. • Herman A. Tennstedt D. Eczémas palpébraux. Réalités thérapeutiques en dermato-vénéréologie 2014 ; 236 : 16-9. • Scrivener Y et al. Diagnostic d’un oedème orbitopalpébral. Ann Dermatol Venereol 1999 ; 126 : 844-8. • Papier A, Tuttle DJ, Mahar TJ. Differential diagnosis of the Swollen Red Eyelid. American Family Physician 2007 ; 76 : 1816-24.

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