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Génodermatoses

Publié le 02 mar 2010Lecture 11 min

Kératodermie plantaire : quelle attitude pratique ?

R. VIRABEN, Service de dermatologie et médecine sociale, Hôpital La Grave, Toulouse
La kératodermie plantaire est une affection oubliée, peu étudiée, abandonnée par les dermatologues au pédicure pour un traitement symptomatique alors que ce symptôme leur permettrait d’exercer leur talent de clinicien et d’interniste.
Définitions ● Kératodermie. Aucune définition du terme « kératodermie » n’est parfaitement satisfaisante. Nous considérerons qu’il s’agit d’une kératose (hyperplasie de la couche cornée) symétrique et étendue continue ou discontinue. ● Kératodermie palmoplantaire. Le terme de « kératodermie » s’applique exclusivement aux paumes des mains et/ou aux plantes des pieds. Cette localisation sélective résulte d’une particularité anatomique qui est un héritage phylogénétique. En effet, il existe un dispositif assurant à cette portion de tégument une résistance et une imperméabilité adaptées à la quadripédie. Ainsi, la couche cornée est particulièrement épaisse et compacte, du fait de la persistance des cornéodesmosomes sur toute sa hauteur, retardant la desquamation. De plus, il existe des kératines spécifiques élaborées à ce niveau comme la kératine 9. Enfin, il s’agit de zones dépourvues de complexe folliculo-sébacé apocrine et très riches en glandes sudorales eccrines qui ont, chez l’animal au moins, un effet antiseptique et cicatrisant. Sur le plan physiopathologique, la kératodermie peut résulter : – d’un défaut de desquamation : hyperkératose par rétention ou d’une anomalie de la kératinisation ; c’est ce qui est observé dans les kératodermies palmoplantaires héréditaires liées à une anomalie génétique ; – d’un état inflammatoire dermique ou une stimulation d’origine interne ; – de microtraumatismes externes. ● Kératodermie plantaire acquise. Les kératodermies limitées aux plantes sont plus spécifiquement acquises ; deux éléments sont susceptibles de focaliser une dermatose à ce niveau : – la statique du pied : l’ensemble du corps repose sur 3 arches (médiale, latérale et antérieure) reliant 3 points : la tête des Ier et Ve métatarsiens et le calcanéum ; – la vascularisation de la plante : il existe une véritable semelle veineuse à ce niveau dont la marche assure le drainage. Nous envisagerons ici essentiellement les kératodermies uniquement plantaires et donc surtout les formes acquises. Les kératodermies palmoplantaires héréditaires constituent un ensemble complexe ayant fait l’objet de revues exhaustives (1). Nous rappellerons ici seulement : – qu’elles peuvent se manifester tardivement et dans un contexte familial peu clair ; – que les classifications qui étaient établies sur le mode de transmission et les éventuelles pathologies associées ont maintenant pour base une anomalie génétique déterminée ; – que l’association kératodermie-néoplasie, éventualité rare, est surtout caractérisée dans un contexte héréditaire (syndrome de Howell-Evans). Dans tous les cas, les kératodermies peuvent se présenter cliniquement sous trois formes : diffuses, circonscrites et ponctuées. Les kératodermies plantaires diffuses Les kératodermies plantaires diffuses sont les plus fréquentes. On s’efforcera avant tout de rechercher des éléments sémiologiques complémentaires, soit au niveau des lésions, soit à distance, permettant une orientation du diagnostic (tableau 1). La sémiologie des kératoses plantaires diffuses est plus discriminante que les examens complémentaires. • On évoquera avant tout un psoriasis (2), qui peut se manifester par une kératodermie plantaire diffuse isolée (10 % des psoriasis palmoplantaires). Un prurit est très souvent présent (3/4 des cas) de même qu’un intertrigo inter-orteils. Les diagnostics de mycose ou d’eczéma sont souvent portés à tort. L’examen histologique est souvent non discriminant. La présence de pustules, même discrètes, est une bonne aide au diagnostic. • Le syndrome de Fiessinger- Leroy n’est qu’une expression particulière de la maladie psoriasique dans un contexte réactionnel post-infectieux. Les kératodermies d’origine médicamenteuse dues au lithium ou à la venlaflaxine (Effexor®) correspondent vraisemblablement à des psoriasis. Signes d’orientation ● La présence d’une ulcération associée à la kératodermie doit faire rechercher un trouble de la sensibilité et faire évoquer le classique mal perforant. Le diabète ne résume pas l’ensemble des étiologies de cette affection à laquelle peuvent participer un éthylisme ou une dénutrition. L’affection se rencontre surtout actuellement dans les populations précaires posant de sérieux problèmes de prise en charge (figure 1). ● L’existence d’un prurit évoque la possibilité d’une surinfection soit par un dermatophyte, soit par un staphylocoque : tous deux peuvent être mis en évidence dans un épiderme psoriasique. Figure 1. Ulcération associée à une kératodermie plantaire. Évoquer un diabète mais aussi un éthylisme, l’effondrement de la voûte plantaire... caractéristiques de la précarité. La surinfection à Corynebacterium réalise un tableau de kératolyse microponctuée. Un prurit plantaire est parfois considéré comme l’expression d’une atopie ; il doit surtout faire rechercher une stase veineuse à ce niveau peu accessible au traitement. D’une façon générale, les eczémas sont une cause exceptionnelle de kératodermie plantaire : les rares dermatites de contact du pied affectent plus le dos que la plante. Enfin, une kératodermie plantaire peut être une séquelle de chimiothérapie pour métastase de cancer du sein par la capécitabine. La relation entre ce tableau clinique et un éventuel syndrome main-pied est discutée. D’une façon générale, les eczémas sont une cause exceptionnelle de kératodermie plantaire. ● La syphilis secondaire peut réaliser plus ou moins un tableau de kératodermie ; la présence d’éléments papuleux est caractéristique. La kératodermie blennorragique complique classiquement une urétrite et correspond à l’entité psoriasis-syndrome de Fiessinger-Leroy évoquée plus haut. ● Le mycosis fongoïde se manifeste exceptionnellement par une kératodermie isolée (figure 2) ; par contre, la présence d’une kératodermie associée à une érythrodermie évoque fortement une maladie de Sézary. Figure 2. Kératodermie diffuse : mycosis fongoïde. ● L’association kératodermie/ néoplasie profonde est exceptionnelle pour justifier une recherche systématique. La recherche d’une néoplasie profonde ne doit pas être systématique devant une kératodermie plantaire du sujet âgé car : – les associations sont exceptionnelles ; – il existe une certaine confusion entre la kératodermie et des affections authentiquement paranéoplasiques, dont les tableaux cliniques sont caractéristiques et bien différents, comme l’acrokératose paranéoplasique de Bazex ; – enfin, le sujet âgé présente plus ou moins une sécheresse cutanée et donc une kératose plantaire plus ou moins marquée. ● Des pathologies inflammatoires chroniques comme le lichen plan, le pytiriasis rubra pilaire ou le lupus érythémateux peuvent affecter les plantes en général comme un épiphénomène dans un tableau dermatologique par ailleurs évocateur. ● En l’absence d’élément clinique évocateur, on s’efforcera de retrouver une ichtyose ou, pour le moins, une xérose cutanée dont la kératodermie plantaire serait l’expression la plus manifeste. Dans ce cadre, on pourra évoquer une kératodermie climatérique. Il importe donc de faire préciser la date d’une éventuelle ménopause ou l’arrêt d’un traitement substitutif. Un diabète est à rechercher systématiquement, et en cas de diabète connu, un examen neurologique soigneux est à pratiquer. Des examens complémentaires peuvent être nécessaires (tableau 2). Les kératodermies plantaires circonscrites Les kératodermies plantaires circonscrites (figure 3) se définissent par rapport aux zones d’appui. Un avis podologique est souvent requis pour les définir et pour éventuellement corriger une anomalie de la statique. En effet, elles résultent souvent d’une modification de la structure interne du pied (polyarthrite, arthrose, traumatisme, etc.) et/ou d’une inadaptation du chaussage. Une concertation doit donc être établie avec, le cas échéant, une demande d’avis orthopédique ou rhumatologique. Les kératoses plantaires circonscrites nécessitent souvent un avis orthopédique ou rhumatologique. ● Les kératodermies circonscrites traumatiques méritent dans tous les cas d’être traitées sur le plan symptomatique pour éviter qu’elles deviennent douloureuses. À cet égard, il convient de distinguer une callosité simple ou tylose d’un cor ou hélome (terme grec désignant un clou). Figure 3. Kératodermie circonscrite. Il s’agit d’une corne à renforcement interne central s’enfonçant dans la plante lors de la marche et donc particulièrement douloureuse. Ces kératoses traumatiques peuvent être confondues avec les verrues plantaires ou myrmécies (en grec, fourmi) qui s’accompagnent d’une hyperkératose réactionnelle gênant le diagnostic et le traitement. La conduite à tenir est univoque : le débridement manuel (ou la détersion chimique ménagée) soulage le patient et révèle le cas échéant la verrue. L’examen dermatoscopique(3) peut être une bonne aide pour le diagnostic ou le suivi en visualisant le renforcement central du cor ou les microhémorragies de la verrue. On écartera facilement une dermatose inflammatoire, qui présente une certaine spécificité de localisation plantaire. Ainsi, l’atteinte élective de la voûte, donc en dehors des zones d’appui, évoque a priori un psoriasis. ● La dermatite plantaire juvénile affecte les zones de pression du pied de l’enfant. Elle est devenue moins fréquente. Considérée comme secondaire au port d’un certain type de chaussures de sport (Kickers®), elle a pu bénéficier d’un changement d’habitude vestimentaire. Elle se manifeste par des sensations de brûlure et des fissures surtout pendant l’hiver. Elle disparaît souvent spontanément avant 15 ans. Les kératodermies ponctuées : une pathologie eccrine ? Les kératodermies ponctuées ou focales mettent souvent en jeu les glandes sudorales eccrines (figure 4). Figure 4. Kératodermie ponctuée. En effet, ces glandes sont un réservoir potentiel de virus HPV ; ainsi peut être expliquée la répartition multifocale des verrues plantaires, mais aussi les kératodermies arsenicales. Celles-ci se présentent en effet comme des kératodermies ponctuées pouvant correspondre à une activation virale à partir d’un foyer sudoral. La kératodermie aquagénique acquise, bien que plus manifeste au niveau palmaire que plantaire, est un bon exemple du rôle des glandes sudorales dans la kératodermie. L’affection se manifeste par des oedèmes et une sensation de brûlure après immersion ; à l’examen, la kératodermie est constituée de papules blanches translucides symétriques. Tous les symptômes disparaissent au bout d’une heure. L’examen histologique retrouve une dilatation des glandes et des canaux sudoraux. Une association possible avec une mucoviscidose doit être envisagée. Traitement Sur le plan thérapeutique, il existe trois types de traitement correspondant à ces trois approches physiopathologiques de l’affection : les kératolytiques, les antiinflammatoires et les rétinoïdes. Les agents kératolytiques On désigne sous ce terme un ensemble de topiques réduisant symptomatiquement l’épaisseur de la couche cornée, même s’ils n’altèrent pas tous directement la kératine (4).   L’acide salicylique solubilise les lipides intercellulaires liés à l’enveloppe des cornéocytes. Il extrait les protéines, dénature et fragmente les cornéodesmosomes. Sur des kératodermies plantaires, des concentrations jusqu’à 20 % sont utilisées ; sur des cors ou des verrues jusqu’à 50 %.   L’urée s’incorpore à la couche cornée par sa forte solubilité et atteint la kératine épidermique qu’elle dénature à forte concentration. Des préparations contenant 10 à 30 % sont en général utilisées.   Les acides carboxyliques alpha-hydroxylés (AHA) sont des acides organiques présents dans différents fruits susceptibles de diminuer la rigidité du stratum corneum. Les plus efficaces sont les AHA à longue chaîne carbonée : acide mandélique, citrique et malique, mais ils sont moins pénétrants que les AHA à courte chaîne acide glycolique ou lactique.   L’acide lactique sous la forme neutralisée de lactatate d’ammonium est largement utilisée autour de 10 % de concentration. Les anti-inflammatoires Ils ont pour but de réduire l’inflammation interne qui induit l’épaississement de la couche cornée. C’est ainsi que les dermocorticoïdes sont largement utilisés dans les kératodermies ; en cas d’échec, le tacrolimus topique peut être proposé hors AAM. Le problème essentiel est la pénétration de ces topiques. Elle peut être améliorée par un traitement kératolytique préalable et surtout par l’occlusion : mise en place d’un film plastique pendant la nuit. La PUVAthérapie partielle après application de méladinine topique est surtout efficace dans les psoriasis (5). La détersion préalable est indispensable, la couche cornée faisant écran aux UV. Les rétinoïdes Ils agissent avant tout sur la différenciation épidermique par interaction avec des recepteurs spécifiques nucléaires par un mécanisme proche de celui d’une hormone. L’acitétrine est largement utilisée dans les psoriasis plantaires (et les anomalies congénitales de la kératinisation). L’acitétrine et le bexarotène sont très utiles dans les lymphomes cutanés avec kératodermie. L’alitrétinoïne, qui a obtenu une AMM dans le traitement des eczémas chroniques sévères des mains, mériterait d’être essayée dans cette indication. Le traitement des complications des kératodermies Les fissures constituent un motif fréquent de consultation. Elles nécessitent avant tout une fermeture qui peut être assurée par le collodion souple ; des colles (cyanoacrylate) ou des préparations magistrales (encadré). Une antibiothérapie topique réduit l’infection staphylococcique toujours douloureuse ; des cicatrisants (sucrose) peuvent être également proposés.

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