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Cheveux, Poils, Ongles

Publié le 24 sep 2006Lecture 12 min

L’ongle : une loupe pour le diagnostic d’une maladie générale

R. Baran, Centre de diagnostic et traitement des maladies des ongles, Cannes
Une certaine désaffection pour l’appareil unguéal, cette annexe « mineure » aux yeux des non-initiés, s’explique par son expression au langage restreint, au décodage délicat, et dans le partage inégal de la région entre diverses disciplines médicochirurgicales et paramédicales. Or, au travers de cette loupe que représente la tablette semi-transparente, nous voyons par ce survol rapide de la pathologie nguéale qu’un examen clinique minutieux permet d’évoquer des diagnostics de médecine générale, de toute première importance pour l’avenir du patient.
La matrice produit la lame qui se dévide comme un rouleau de papier à la vitesse de 0,1 mm/j. Son atteinte, variable, s’exprime à travers cette plaque dure, rectangulaire, semi-transparente, dont la partie visible se définit par rapport aux tissus sous-jacents. La lunule est la partie antérieure de la matrice remarquable par sa couleur blanc opaque et sa limite antérieure arciforme. Le reste de la matrice est enfoui sous le repli postérieur dont la sépare la racine unguéale. La zone rosée représente la plus grande partie de l’ongle visible. Elle doit sa couleur aux vaisseaux dermiques du lit et à la composition du sang. Il nous paraît commode de rassembler les anomalies des ongles en trois vastes chapitres intéressants : la forme ; la coloration ; la consistance (tableau).   Modifications de la forme de la plaque unguéale La plaque unguéale épouse la convexité de la phalangette et les modifications de formes peuvent être globales ou superficielles. Dysmorphies globales   Onycho-ostéodysplasie héréditaire Parmi les dysmorphies globales certaines peuvent apparaître à la naissance, mais c’est habituellement lors de la première enfance que les parents consultent pour une onycho-ostéodysplasie héréditaire (Nail-Patella syndrome) de leur enfant. Les anomalies constantes, bilatérales et symétriques sont pathognomoniques de l’affection. Il existe une atteinte élective du pouce avec importance décroissante des lésions jusqu’à l’auriculaire. L’ongle peut être absent ou hypoplasique (figure 1), réduit dans sa longueur et limité au tiers externe de sa largeur. L’aspect en fermoir d’épingle à nourrice est très évocateur avec de part et d’autre de la rainure longitudinale des fragments koïlonychiques.      Figure 1. Onychodysplasie des pouces avec ptérygion (Coll. G. Achten, Belgique). Enfin, si les lunules sont souvent absentes, elles dessinent sur certains ongles un V à pointe distale. En présence de cette symptomatologie unguéale particulièrement riche pour qui veut bien l’analyser, on doit immédiatement porter ses recherches sur les genoux (figure 2), les coudes et le bassin pour vérifier radiologiquement l’absence ou l’hypoplasie des rotules, une dysplasie de la tête radiale et l'existence de cornes iliaques. Enfin, la fréquence de néphropathies commande un bilan rénal. Les onychodysmorphies globales sont infiniment plus fréquentes chez l’adulte.      Figure 2. Fragment de rotule dans le Nail Patella syndrome.   Onychodysmorphies globales de l’adulte Les onychodysmorphies globales sont infiniment plus fréquentes chez l’adulte. • L’hippocratisme digital est le dénominateur commun des dysacromélies dont il existe quatre grandes formes. – Dans la forme simple, acquise, l’étage thoracique est impliqué dans 80 % des cas avec, en général, hypoxie concomitante. Viennent en tête les affections bronchopulmonaires, surtout chroniques et suppuratives, les tumeurs thoraciques – en sachant que la localisation médiastinale est rarement en cause –, et certaines affections cardiovasculaires congénitales (figure 3) ou acquises (maladie d’Osler).      Figure 3. Hippocratisme digital avec cyanose au cours d’une cardiopathie congénitale.   Les formes digestives représentent moins de 5 % des cas : cancers (œsophagien, gastrique, colique), maladies du grêle, affections coliques. L’origine endocrinienne est signée par le syndrome de Diamond associant un myxœdème prétibial, une exophtalmie à un hippocratisme digital (figure 4).       Figure 4. Ostéo-arthropathie hypertrophiante pneumique. L’existence de formes unilatérales ou pauci digitales oriente vers une origine nerveuse (atteinte du nerf médian, paralysie du plexus brachial après subluxation de l’épaule, syndrome de Pancoast-Tobias, anévrysme de l’aorte ou de la sous-clavière, etc.).   L’hippocratisme digital est le dénominateur commun des dysacromélies.   Enfin l’hippocratisme digital fait partie du tableau clinique de l’acro-ostéolyse professionnelle par polymérisation du chlorure de vinyle. Il existe trois autres variétés de dysacromélie, rares, mais dont la méconnaissance pourrait être grave : – L’ostéo-arthropathie hypertrophiante avec périostose proliférante, et souvent ostéite raréfiante des phalanges et des os de l’avant-bras, s’accompagne d’arthropathies symétriques pseudo-inflammatoires des grosses articulations des membres, surtout inférieurs. Un tel syndrome est presque pathognomonique d’une néoformation bronchopulmonaire, maligne dans la plupart des cas. – La pachydermopériotose est exceptionnelle. Les lésions des extrémités sont cliniquement identiques à celles de l’affection précédente. Elles s’associent à une pachydermie des extrémités, de la face et parfois du vertex (figure 5).      Figure 5. Pachydermie vorticellée (Coll. P.-Y. Venencie, France).   – Le « shell nail » syndrome, de connaissance récente (1967) et rencontré dans certaines bronchectasies, associe les caractères extérieurs des ongles hippocratiques à une atrophie du lit de l’ongle et de l’os sous-jacent. • La koïlonychie (figure 6) réalise le contraire de l’ongle hippocratique puisque le relèvement des bords latéraux de la tablette la rend concave.En dehors des causes externes traumatiques et professionnelles (où elle atteint le plus souvent les trois premiers doigts), il faut, parmi les formes acquises, rechercher avant tout une anémie ferriprive, une hémochromatose (50 % des cas !), une porphyrie cutanée tardive que la koïlonychie peut précéder et une avitaminose C en particulier.       Figure 6. Koîlonychie Onychodysmorphies superficielles Elles se présentent parfois sous forme de sillons transversaux qui traduisent des troubles transitoires. Le sillon de Beau (figure 7), dépression linéaire transversale située en arrière d’un bourrelet plus ou moins net, prend naissance sous le repli unguéal et marque les ongles des doigts et des orteils au même niveau.     Figure 7. Dépressions transversales (lignes de Beau). Le sillon de Beau doit être recherché sur les pouces et les gros orteils dans les formes discrètes. On retrouve habituellement avec précision dans les antécédents du malade une affection générale aiguë, fébrile, d’apparition brutale et d’une certaine intensité. Modifications de la couleur des ongles Elles ont toujours intrigué les chercheurs. Il est indispensable de faire une analyse correcte de la situation anatomique de la dyschromie. S’agit-il : – d’une coloration de la tablette ? – d’un décollement de celle-ci ? ou d’une hyperkératose sous-unguéale ? – ou encore de l’aspect des tissus sous-unguéaux, vus par transparence  ? La coloration de la tablette    Leuconychie Si la leuconychie ponctuée est trop banale pour mériter notre attention, la leuconychie striée horizontale peut, en revanche, souligner les cures chimiothérapiques, ou, dans un contexte particulier, réaliser les bandes de Mees signant une intoxication arsenicale. La leuconychie totale est souvent congénitale. Elle peut être associée à une koïlonychie. Elle commande alors la recherche du syndrome de Bart et Pumphrey avec surdité, coussinets des phalanges et kératoses palmoplantaires.   Chromonychie C’est après avoir éliminé les causes locales traumatiques (hématome), mycosiques ou bactériennes (Candida, Pseudomonas), cosmétiques (coloration laissée par certains vernis), par thérapeutiques exogènes (permanganate de K), qu’on évoque une cause générale à la chromonychie. Il ne faut pas méconnaître une pigmentation mélanotique unguéale, médicamenteuse (chimiothérapie) et surtout penser devant une mélanonychie en bande longitudinale à la possibilité d’un mélanome malin. Parfois évidente (ictère) ou toximédicamenteuse (antimalariques par exemple), l’étiologie est parfois plus difficile à déceler. Dans l’argyrie, une coloration brune du lit de l’ongle soulignant le contour arciforme de la lunule est un des signes les plus précoces de l’affection (figure 8).       Figure 8. Argyrie.   Dans la maladie de Wilson, la coloration bleue des lunules accompagne souvent le trouble du métabolisme cuprique. Les ongles jaunes, épaissis, exagérément bombés transversalement, à croissance ralentie, doivent évoquer le syndrome xanthonychique de Samman et White qui s’accompagne d’un lymphœdème et d’épanchements pleuraux. Mais cette triade est rarement au complet.   Devant une mélanonychie en bande longitudinale, ne pas ignorer la possibilité d’un mélanome malin.     Coloration du repli sus-unguéal Parfois l’ongle paraît normal, mais les tissus mous qui l’entourent, en particulier le repli sus-unguéal, présentent une rougeur non douloureuse qu’un examen attentif peut attribuer à la présence de télangiectasies en nombre variable. Celles-ci offrent une importance diagnostique considérable dans certaines maladies du collagène, au point de faire partie dans le CRST syndrome, de la tétrade de l’affection (calcinose, phénomène de Raynaud, sclérodactylie, télangiectasies). Quand elles siègent sur le repli postérieur, les télangiectasies plus ou moins linéaires, s’enfoncent dans la cuticule avec, parfois, extravasation sanguine. Nous en faisons un signe quasi spécifique des collagénoses comme la dermatomyosite et le lupus systémique.   Une rougeur non douloureuse du repli sus-unguéal a une importance diagnostique considérable dans certaines maladies du collagène. Onycholyse L’onycholyse se définit comme le décollement de l’ongle de son lit à partir des attaches distales et/ou latérales. Elle se traduit par une coloration blanc grisâtre qui témoigne de l’accumulation d’air sous la lame. En dehors des causes locales et/ou dermatologiques, l’onycholyse doit faire rechercher une étiologie vasculaire (lupus systémique), glandulaire (hypo- ou hyperthyroïdie) ou même une anémie ferriprive. Mais il arrive que la coloration soit différente, qu’elle varie du jaune au brun suivant l’étiologie. Il faut alors, après avoir éliminé des causes externes ou myco-bactériennes, penser à une photo-onycholyse des cyclines (déméthylchlortétracycline et doxycycline, en particulier) et rapporter les phénomènes de photosensibilisation qui précèdent habituellement l’atteinte de l’appareil unguéal à la prise d’antibiotique (figure 9).     Figure 9. Photo-onycholyse (doxycycline).   Modification d’aspect des tissus unguéaux   L’aspect des tissus unguéaux se traduit selon les cas par une leuconychie apparente ou une pseudo-chromonychie visible par transparence.    L’ongle blanc cirrhotique de Terry (figure 10) apparaît d’une blancheur opaque qui rend la lunule indiscernable. Elle s’arrête à 1 ou 2 mm du bord distal du lit de l’ongle selon une ligne généralement parallèle à celui-ci et laissant intacte une zone rose distale. Cette anomalie bilatérale et symétrique est relativement fréquente.     Figure 10. Leuconychie apparente, cirrhotique. Figure 11. Leuconychie apparente équipementier hyperazoténique.        Parfois la zone distale apparaît rose, rougeâtre ou brunâtre, occupant 20 à 60 % de la longueur totale de l’ongle. C’est cette variété d’ongle équisegmenté hyperazotémique qui correspond à ce que Lindsay dénomme « half and half nail » (figure 11).    Ailleurs, on rencontre des bandes blanches parallèles entre elles et à la lunule en bandes de Muehrcke (figure 12). Elles reflètent un effondrement du taux de sérum-albumine. La double bande blanche de Muehrcke disparaît avec son retour à la normale pour réapparaître en cas de rechute biologique.       Figure 12. Double ligne blanche de Muehrcke. Anomalies de consistance Nous ne nous étendrons pas sur les troubles de la consistance signant avec une fréquence moindre qu’on ne croit un désordre général. Toutefois, il existe une assez longue liste d’affections géniques rares, à ongles fragiles.    Dans le syndrome de Shelley et Rawnsley, les ongles cassants s’accompagnent d’une alopécie et d’un trouble du métabolisme de l’acide arginosuccinique décelable dans les urines.    A l’opposé, dans la pachyonychie congénitale, les ongles en tonnelet (figure 13) sont parfois si durs qu’on ne parvient à les raccourcir qu’avec une lime à métaux. Il arrive même qu’on excise – avec plus ou moins de bonheur – tout l’appareil unguéal dans les formes monstrueuses qui ont pu conduire à une section partielle des phalanges distales. Quoi qu’il en soit, la présence à la naissance d’une telle anomalie unguéale peut être le prélude à l’apparition de kératoses cutanées, de leucokératoses des muqueuses et d’une cataracte réalisant le syndrome de Jadassohn-Lewandowsky.     Figure 13. Ongles en tonnelet au cours d’une pachyonychie congénitale.    Dans l’acrokératose de Bazex, l’appareil unguéal présente des modifications particulières s’accompagnant d’autres atteintes acroméliques touchant les oreilles (figure 14) et parfois le nez.     Figure 14. Acrokératose paranéoplasique de Bazex et Dupré.  Cette affection, masculine, doit être considérée comme un véritable syndrome paranéoplasique, puisqu’elle est caractérisée par des manifestations que conditionne l’existence d’un cancer, pouvant disparaître avec lui, mais réapparaissant lors d’une rechute. Elles doivent attirer l’attention sur le carrefour aérodigestif pour y rechercher une tumeur maligne – toujours un épithélioma – avant sa traduction par des signes plus directs. La localisation unguéale est constante et représente la première manifestation pathologique (figure 15).      Figure 15. Onychopathie psoriasiforme dans l’acrokératose de Bazex et Dupré. Les ongles sont déformés par l’hyperkératose sous-unguéale qui relève le bord distal. Leur surface est feuilletée, irrégulière, blanchâtre. L’intensité de l’atteinte réalise un aspect assez proche d’une onychopathie psoriasique majeure, avec à l’extrême, chute de l’ongle.   L’acrokératose de Bazex doit être considérée comme un véritable syndrome paranéoplasique.   Dans certaines variétés, l’onychodystrophie est complète ou presque, selon les doigts et les orteils – toujours plus touchés. Le lit de l’ongle est remplacé par un épiderme lisse et mou, les reliquats unguéaux n’étant représentés que par quelques débris, adhérant à cet épiderme par des formations irrégulières, cornées, striées et fissurées. L’atteinte minimum se traduit par des ongles mous, amincis, fendillés, effrités. Parfois, les deux grands types décrits correspondent à deux stades de la maladie, comme l’attestent des observations où le tiers proximal des ongles, atrophique, contraste avec les deux tiers distaux, hypertrophiques. Les lésions érythématosquameuses qui engainent les dernières phalanges débordent plus ou moins largement sur la face dorsale des doigts et s’accompagnent assez souvent d’un périonyxis avec suppuration intermittente. Des formations kératosiques irrégulières, râpeuses et fissuraires siègent au bout des doigts et des orteils.

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