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Allergologie

Publié le 09 oct 2016Lecture 12 min

Diagnostic d’une allergie au poisson

M. DROUET, Unité Allergologie Générale. Département de Pneumologie, CHU d'Angers

L’allergie au poisson est une allergie alimentaire fréquente dont le diagnostic est relativement simple. Les tests cutanés, notamment avec les aliments natifs ont une bonne sensibilité ainsi que les dosages d’IgE spécifiques. Le régime d’éviction alimentaire est lui-même simple et expose peu aux accidents par écart de régime, contrairement à d’autres aliments beaucoup plus présents dans notre alimentation. Ce régime n’expose pas non plus à un déséquilibre alimentaire important car les protéines animales de poisson peuvent être facilement remplacées par d’autres protéines animales. Un cas particulier doit toutefois être mentionné avec le syndrome poulet-poisson qui empêche le remplacement par des protéines aviaires.

L’allergie au poisson survient souvent de façon précoce chez le jeune enfant. Contrairement à d’autres allergies alimentaires de l’enfant, l’allergie aux poissons a la particularité d’être durable. La prévalence de l’allergie aux poissons n’est pas précisément connue, mais sa fréquence est probablement fonction des habitudes alimentaires. Les pays nordiques et ceux du pourtour méditerranéen, gros consommateurs de poissons, sont plus touchés par cette allergie. Le patient allergique aux poissons est souvent allergique à l’ensemble des poissons. Toutefois, certains patients ne sont allergiques qu’à une sous-famille de poisson. Historiquement, l’allergie au poisson tient une place privilégiée dans l’histoire de l’allergologie. C’est grâce à cette allergie que Prausnitz et Küstner ont démontré que le transfert de l’allergie était possible par le sérum (expérience du transfert passif de l’immunité)(1). C’est aussi l’allergène pour lequel le premier composant allergénique majeur fut identifié : il s’agissait de l’antigène M ou bêta-parvalbumine(2).   Formes cliniques   L’allergie immédiate IgE-dépendante C’est la forme clinique la plus courante. Dans ce cas, les symptômes sont de nature anaphylactique et peuvent être de sévérité variable, allant du syndrome oral alimentaire avec ou sans urticaire péribuccale à l’urticaire généralisée avec ou sans œdème du visage, voire au choc anaphylactique. La dyspnée, souvent présente dans ce tableau d’allergie immédiate, peut être de nature laryngée ou bronchospastique. L’anaphylaxie au poisson peut être sévère et des cas mortels ont été rapportés(3). Les allergènes des poissons étant volatils, cette allergie peut également s’exprimer par voie aéroportée. Les observations d’enfants allergiques aux poissons rapportant des symptômes cliniques souvent de type respiratoire (rhinite et/ou asthme) à l’inhalation ne sont pas rares. Certains patients présentent également une allergie de contact qui s’exprime sous forme d’urticaire. L’allergie retardée non IgE-dépendante Cette forme d’allergie est moins fréquente. Il s’agit souvent de formes digestives de type entérocolites alimentaires dont les premiers cas ont été rapportés en 2005 par Zapatero et coll.(4).   Le syndrome poulet-poisson Cette forme clinique particulière mérite d’être soulignée. Les patients présentant ce syndrome sont souvent des enfants. Ils présentent des symptômes allergiques après ingestion de poisson, mais également après ingestion de volailles (poulet, dinde ou canard). L’allergène commun pourrait être une alphaparvalbumine(5) (présente à la fois dans les poissons et les volailles), mais certains auteurs supposent qu’il pourrait exister une allergie croisée entre alpha-parvalbumine des volailles et bêta-parvalbumines des poissons(6). Dans ce syndrome, les symptômes apparaissent souvent modérés et peuvent se limiter à un syndrome oral alimentaire ou à une éruption péribuccale de type urticaire. Toutefois, l’anamnèse doit être très approfondie dans cette situation apparemment bénigne, car ce syndrome est parfois associé à une œsophagite à éosinophiles qu’il faut absolument dépister. Les enfants atteints d’œsophagite sont victimes d’un inconfort digestif majeur après certains repas. Cet inconfort est exceptionnellement verbalisé par l’enfant, mais est transformé en de multiples refus alimentaires sans raison apparente. L’enfant dit qu’il « n’aime pas ». L’interrogatoire fouillé doit rechercher la notion de blocages alimentaires postprandiaux dont la verbalisation par l’enfant n’est pas toujours aisée. La physiopathologie de l’œsophagite peut être une allergie immédiate IgE-dépendante, une allergie retardée non IgE-dépendante, voire l’association des 2 types d’hypersensibilité. Le tableau clinique est variable mais l’anaphylaxie domine dans l’ensemble des pathologies ci-dessus. Il ne faut toutefois pas sous-estimer les pathologies digestives dont le diagnostic est cliniquement plus difficile, car la relation chronologique peut ne pas être évidente pour le patient en cas d’hypersensibilité retardée. Les allergènes des poissons Les composants allergéniques responsables des manifestations cliniques sont multiples. L’allergène majeur (allergène reconnu par plus de 50 % de la population allergique) est la bêta-parvalbumine présente dans les muscles blancs des poissons. Certains poissons contiennent peu de bêta-parvalbumine et sont mieux tolérés par les patients allergiques. Ainsi le thon, moins riche en muscle blanc contient peu de bêta-parvalbumine et son ingestion peut être parfaitement tolérée chez le patient allergique aux autres poissons. D’autres composants allergéniques que la parvalbumine peuvent être en cause et ils sont nombreux : l’aldéhyde déshydrogénase (Gad c APDH), l’élastine (Gad c elastin), l’enolase (Gad m 2), l’aldolase (Gad m 3), la tropomyosine (Gad m 4), la créatine kinase (Gad m CK), la gélatine (Gad m gelatin), la chaîne légère de la myosine (Gad m MLC pour Myosine light chain), le nucléoside diphosphonate kinase (Gad m NDKB)(7). Dans le syndrome poulet-poisson qui associe des manifestations allergiques après ingestion de poisson mais aussi de volaille, l’allergène pourrait être l’alphaparvalbumine ou Gal d 8 (Gal d pour Gallus domesticus). Il existe de nombreux composants allergéniques dans les poissons. Certains sont ubiquitaires telle la bêta-parvalbumine et expliquent que le patient est allergique à de nombreux poissons. D’autres peuvent être spécifiques d’espèces et le patient peut n’être allergique qu’à une seule espèce de poisson. Diagnostic positif Le diagnostic positif de l’allergie au poisson repose sur la crédibilité de l’histoire clinique (chronologie des événements – reproductibilité des symptômes après ingestion de poisson) et le bilan allergologique qui associe les tests cutanés et la biologie. L’histoire clinique est souvent sans difficulté, sauf en cas d’histoire complexe chez un patient polyallergique alimentaire qui aurait pu manger de nombreux aliments suspects lors d’un même repas. • Les tests cutanés : en cas d’allergie immédiate IgE-dépendante, sont pratiqués des prick-tests réalisés avec des extraits commerciaux (laboratoire ALK ou Stallergènes), ou avec des aliments natifs. Les extraits allergéniques commerciaux sont limités et la morue est l’un des seuls extraits disponibles. Les aliments natifs peuvent être apportés par le patient ou être stockés et congelés par l’allergologue. La sensibilité des prick-tests est souvent meilleure avec les extraits natifs (figure). En cas d’allergie retardée non IgE-dépendante, les tests cutanés sont des épidermotests ou patch-tests posés 48 h au niveau cutané et lus à 48 h et 72 h.   Prick-tests à différents poissons effectués chez un enfant de 8 ans. • Les examens complémentaires biologiques comportent le dosage des IgE spécifiques globales au poisson, mais il est également possible de doser certains composants allergéniques dont la bêta-parvalbumine. Deux composants allergéniques bêta-parvalbumine sont disponibles en dosage d’IgE spécifiques : Gad c 1 de la morue (ou cabillaud) et Cyp c 1 de la carpe. Nous rappelons que l’appellation des composants allergéniques dérive du nom latin des allergènes soit Gad c pour Gadus callarias (morue) et Cyp c pour Cyprinus carpio (carpe). Le tableau 1 exprime tous les dosages d’IgE disponibles en allergène global et le tableau 2 le dosage des 2 composants allergéniques. Les nombreux autres composants allergéniques ne sont actuellement pas dosables en IgE spécifiques. C’est alors la négativité de Gad c 1 ou Cyp c 1 qui suggère leur imputabilité en cas d’allergie avérée aux poissons. Par exemple, dans le syndrome poulet-poisson où l’on suspecte fortement une alpha-parvalbumine et non la bêta-parvalbumine, nous remarquons que le dosage de Gad c 1 et/ou Cyp c 1 est souvent soit négatif soit très peu positif (travail en cours non publié).   • Le test de réintroduction par ingestion de poisson peut être utile. Il est effectué en milieu hospitalier, en hospitalisation de jour pour une sécurité maximale et sous une surveillance médicale étroite. Le recours au test de réintroduction du poisson a 2 indications principales : – quand il existe un doute diagnostique (histoire clinique peu convaincante, bilan allergologique peu contributif), mais cette situation est relativement rare ; – pour vérifier la pérennité ou la disparition de l’allergie alimentaire au poisson. Ce dernier cas de figure est à envisager lorsque l’on constate, lors des bilans de contrôle allergologique, une nette diminution de la sensibilisation au poisson. Le diagnostic positif de l’allergie aux poissons repose sur les tests cutanés, le dosage des IgE spécifiques aux allergènes globaux et/ou aux composants allergéniques. Le diagnostic définitif n’est retenu qu’en cas de parfaite cohérence de l’anamnèse et des tests cutanés et de la biologie, c’est-à-dire à l’issue d’un raisonnement d’imputabilité. En cas de discordance entre anamnèse et examens complémentaires, le test de réintroduction est recommandé. Il existe de nombreux composants allergéniques décrits, mais ne sont dosables en technique courante d’IgE spécifiques que les bêta-parvalbumines de cabillaud – Gad c 1 – et de carpe – Cyp c 1.   Diagnostic différentiel   Deux situations principales amènent à discuter un diagnostic différentiel de l’allergie au poisson : – les symptômes induits par l’ingestion de poisson sont dus au poisson mais ne sont pas de nature allergique ; – les symptômes induits par l’ingestion de poisson sont allergiques mais ne sont pas dus au poisson proprement dit. Symptômes non allergiques dus au poisson • Le syndrome scombroïde est dû à l’ingestion de poisson peu ou pas frais avec accumulation d’histamine (dérivé de l’histidine présent dans le poisson après activation enzymatique). Ce syndrome est une réaction toxique à l’histamine. Bien que non allergique car non IgE-dépendant, ses signes cliniques peuvent tout à fait simuler une réaction allergique du fait de la nature du médiateur impliqué qui est l’histamine. Les signes cliniques associent souvent des troubles digestifs, une urti caire voire un choc anaphylactoïde si la présence d’histamine est importante. Ces manifestations cliniques peuvent atteindre l’ensemble des sujets ayant consommé le poisson responsable, et ce caractère endémique est un argument fort en faveur de ce diagnostic. • La ciguatera est une intoxication alimentaire liée à l’ingestion de poissons tropicaux associés aux récifs coralliens. La ciguatera provient d’algues microscopiques se développant sur les récifs endommagés par des phénomènes naturels ou par l’homme. Ces algues sont consommées par des poissons herbivores qui sont eux-mêmes consommés par des poissons carnivores. La toxine se transmet et se concentre ainsi tout au long de la chaîne alimentaire. L’homme peut s’intoxiquer en consommant des poissons toxiques à tous les niveaux de la chaîne alimentaire. Les poissons toxiques concernés ne se distinguent ni par l’aspect, ni par l’odeur, ni par le goût d’un poisson sain. Les poissons les plus gros contiennent le plus de toxines et le risque d’intoxication est d’autant plus important pour l’homme. Le foie et la tête concentrent les toxines. Les symptômes de la ciguatera se manifestent entre 2 et 12 heures après avoir mangé le poisson. Les plus courants sont les suivants : nausées, vomissements, diarrhées, maux d’estomac ; sensation de picotement ou d’engourdissement autour des lèvres, du nez, des mains, des pieds et en d’autres endroits de la peau ; sensation de brûlure au contact de l’eau froide ; douleurs musculaires et articulaires ; maux de tête, fatigue, sueurs, frissons ; prurit ; bradycardie. Les fortes intoxications, heureusement exceptionnelles, peuvent provoquer des paralysies, le coma et la mort. Symptômes allergiques non dus au poisson Il s’agit essentiellement de l’allergie IgE-dépendante à Anisakis simplex, nématode parasite qui au cours de son cycle va parasiter les poissons, les mammifères marins. Ce nématode peut induire une infection parasitaire, l’anisakiase ou une réaction allergique IgE-dépendante qui peut aller jusqu’au choc anaphylactique. Anisakis simplex contient, entre autres composants allergéniques, une tropomyosine qui est relativement proche des tropomyosines des crustacés. Une allergie croisée entre crustacés et Anisakis est donc vraisemblablement possible. Le diagnostic est établi par la confirmation de la présence d’Anisakis dans le tube digestif du patient (donnée fibroscopique) et par la présence d’IgE spécifiques à Anisakis simplex (souvent très élevées) et/ou IgE spécifiques à la tropomyosine d’Anisakis (Ani s 3). Ce dernier dosage n’est pas disponible en dosage unitaire d’IgE spécifiques. Il est, en revanche, présent dans le test biopuce iSAC, test de multidétection d’IgE spécifiques. Il faut néanmoins être prudent quant à l’interprétation des IgE spécifiques positives pour la tropomyosine d’Anisakis car la réactivité croisée entre tropomyosines est importante et la positivité peut être une simple sensibilisation croisée sans allergie clinique(8). Le diagnostic différentiel de l’allergie au poisson est assez aisé : le syndrome scombroïde peut simuler une réaction allergique, mais le caractère collectif de l’atteinte permet d’évoquer le diagnostic. La ciguatera, dont le tableau peut être sévère, ne se voit pratiquement jamais en Europe, mais elle peut se rencontrer dans les DOM-TOM. L’allergie à Anisakis est actuellement largement répandue au niveau mondial et aucun pays marin n’est épargné. Prise en charge thérapeutique Une fois établi le diagnostic d’allergie au poisson, la prise en charge thérapeutique comporte plusieurs volets : – Mise en place d’un régime d’éviction : ce régime englobe en général tous les poissons, sauf si le bilan allergologique a montré une différence de réactivité entre les poissons. Dans cette situation, le régime pourra autoriser le ou les poissons à bilan négatif après réalisation d’une réintroduction bien tolérée en milieu hospitalier. Le thon est souvent proposé en réintroduction. Le rationnel de cette conduite à tenir est le suivant : le thon contient peu de bêta-parvalbumine, mais il en contient un peu et si le patient tolère cette petite dose, il est préférable que le patient en consomme un peu, l’arrière-pensée étant qu’une consommation modérée peut participer à l’acquisition de la tolérance. Cette conduite à tenir repose sur le fait que le bilan allergologique doit être le plus exhaustif possible et qu’il est souhaitable de tester un maximum de poissons différents. – Prescription d’une trousse d’urgence adaptée aux signes cliniques présentés par le patient, à son âge et à son poids. Le plus souvent, cette trousse d’urgence contient un antihistaminique, un aérosol bronchodilatateur (si le patient a présenté un bronchospasme), un stylo auto-injectable d’adrénaline – Anapen® ou Epipen® ou Jext® – (si le patient a présenté un choc anaphylactique). La prescription d’un corticoïde est possible mais non systématique. Les principales critiques à l’égard du corticoïde sont de 2 ordres : son délai d’action trop long pour une réaction allergique sévère et le fait que sa présence peut retarder l’utilisation de l’adrénaline qui est le vrai traitement de la réaction anaphylactique sévère. De plus en plus, les allergologues tendent à supprimer le corticoïde de la trousse d’urgence pour ces 2 raisons. Enfin, s’il s’agit d’un enfant scolarisé, un Projet d’accueil individualisé (PAI) sera mis en place pour assurer l’accueil sécurisé de cet enfant à la cantine. Ce document précise la nature des allergènes alimentaires, le régime conséquent, les médicaments de la trousse d’urgence ainsi que leurs modalités d’utilisation qui doivent être exprimées en termes si possible vulgarisés accessibles à des non-médecins. L’allergie au poisson expose peu le patient aux risques de la présence de traces d’allergènes dans l’alimentation issue de l’industrie agro-alimentaire. Néanmoins, comme tout patient allergique alimentaire, le patient allergique au poisson devra bénéficier d’une éducation thérapeutique lui expliquant clairement la lecture des étiquettes d’ingrédients sur ce type d’aliment tout prêt. Comme pour toute allergie alimentaire, il est licite de proposer un suivi régulier (annuel par exemple pour un enfant), afin d’évaluer la persistance ou non de cette allergie alimentaire. Si lors d’un bilan de contrôle, il est constaté une franche diminution des tests cutanés et/ou des IgE spécifiques, un test de réintroduction sous surveillance hospitalière pourra être envisagé. En cas d’allergie alimentaire aux poissons, la conduite à tenir doit comporter la mise en place d’un régime d’éviction, la prescription d’une trousse d’urgence, la rédaction d’un projet d’accueil individualisé – PAI – pour un enfant scolarisé et un minimum d’éducation thérapeutique – lecture des étiquettes des aliments manufacturés et utilisation de la trousse d’urgence à revoir à chaque consultation.

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