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Dermatologie générale

Publié le 02 mai 2023Lecture 10 min

Inhibiteurs de JAK - De petites molécules très à la mode dont le maniement doit être réfléchi

Hélène MASCITTI - Service d’onco-hématologie, hôpital André-Mignot, Versailles Service d’immuno-dermatologie, hôpital Ambroise-Paré AP-HP, Boulogne-Billancourt

Les inhibiteurs de JAK (JAKi) sonnent comme une révolution thérapeutique dans le domaine de la dermatologie inflammatoire. Les essais avec les anti-JAK en topique ou par voie systémique sont nombreux et prometteurs. Cependant, pour ceux administrés par voie orale, la facilité de prise quotidienne ne doit pas faire oublier le risque d’effets secondaires potentiels. Connaître ces nouvelles molécules et peser de façon éclairée le rapport bénéfice-risque de ces thérapies est indispensable aux dermatologues.

Les enzymes Janus kinases (JAK) ont été découvertes dans les années 1990. Elles ont été nommées Janus en référence au dieu romain Janus bifrons, gardien des portes aux deux visages, car elles possèdent deux domaines d’action : l’un catalytique et l’autre pseudo-kinase, « kinase activateur » et « kinase inhibiteur ». Ce sont des tyrosines kinases (TYK) intracellulaires qui vont s’autophosphoryler et phosphoryler les chaînes des récepteurs transmembranaires des cytokines, une fois la cytokine captée par son récepteur. La famille JAK comporte 4 membres distincts : JAK1, JAK2, JAK3 et TYK2. Différentes voies de signalisation et de l’inflammation sont possibles en fonction des cytokines impliquées et des combinaisons dimériques de JAK utilisées pour activer les récepteurs transmembranaires des cytokines (figure 1, p. 12). Figure 1. Exemple de récepteurs cytokiniques activés par différentes combinaisons possibles de JAK/STAT avec leurs implications préférentielles dans la physiopathologie de certaines maladies inflammatoires. Très schématiquement, JAK1 joue un rôle majeur dans la médiation des signaux des cytokines inflammatoires, JAK2 dans la médiation de la myélopoïèse et de l’érythropoïèse, et JAK3 est important dans la lymphopoïèse et l’homéostasie immune. La phosphorylation des JAK induit le recrutement d’un ou de plusieurs membres de la famille des 7 protéines STAT existantes (STAT1 à 4, 5a, 5b et/ou 6). Les différentes conformations des JAK et des récepteurs cytokiniques activés vont permettre aux STAT de se lier et ainsi transduire des signaux cytokiniques spécifiques et activer la transcription de gènes de l’inflammation ou inducteurs de prolifération par activation de cette cascade moléculaire complexe(1)  the Janus kinasesignal transduction and activation of transcription (JAK-STAT (figure 2, p. 12). Figure 2. Activation de la voie JAK/STAT. LE RATIONNEL DE L’UTILISATION DES DIFFÉRENTS JAKi EN DERMATOLOGIE Même en n’étant pas Alan Turing, vous aurez compris que la combinaison des JAK – spécifique d’un signal inducteur cytokinique et d’une voie spécifique de l’inflammation –, et l’utilisation de JAKi représentent une nouvelle révolution thérapeutique dans le cadre des maladies inflammatoires. Les JAKi inhibent l’activite kinase de JAK et diminuent efficacement la production de nombreuses cytokines inflammatoires qui sont impliquées dans la physiopathologie de  nombreuses dermatoses inflammatoires fréquentes(2), dont : – la dermatite atopique où l’interleukine (IL)4 et l’IL13 jouent un rôle majeur dans la physiopathologie, et dont les productions sont dépendantes de la signalisation JAK ; – le psoriasis où l’IL23 et l’IL17 sont impliquées dans la physiopathologie de la maladie et dont la signalisation de l’IL23 est dépendante de la voie JAK/STAT, notamment via TYK2 (contrairement à l’IL17) ; – la pelade et le vitiligo, toutes deux impliquant de l’interféron (IFN) de type 1 et 2 (IFN􀀀  et IFNy), qui est lui-même dépendant des voies JAK1, JAK2 et/ou TYK2 ; – les maladies médiées par les interférons de type 1 (IFN alpha, bêta ; JAK1/TYK2), telles que la dermatomyosite, le lupus érythémateux cutané et les interféronopathies. Il faut bien comprendre que les mécanismes d’action de ces inhibiteurs sont variés. Quand cette inhibition cible préférentiellement certains JAK, on parle « d’inhibition spécifique ». Quand le blocage est large et aspécifique, le terme « d’inhibiteur pan-JAK » sera utilisé.   LES DIFFÉRENTS JAKi DISPONIBLES EN France Les JAKi, ces petites molécules formées du suffixe « -tinib », sont très à la mode dans les essais cliniques, cas cliniques utilisés hors AMM et congrès. Cependant rares sont celles qui sont réellement autorisées et remboursées en France. Ainsi le but de cet article est-il de vous éclairer de façon pragmatique sur les JAKi disponibles et utilisables dans votre pratique dermatologique quotidienne. Aucun inhibiteur pan-JAK n’a d’AMM en France. A contrario, plusieurs JAKi sélectifs sont déjà disponibles dans l’hexagone depuis quelques années, dans des indications qui étaient initialement hors du spectre dermatologique (hématologique, rhumatologique et gastoentérologique). Les JAKi sélectifs utilisables en France, c’est-à-dire ayant obtenus une AMM européenne et une autorisation de remboursement en France, sont par ordre historique : le ruxolitinib, le baricitinib, le tofacitinib, l’upadacitinib, le filgotinib et l’abrocitinib. • Le ruxolitinib (Jakavi®) est le premier JAKi qui a été utilisé en France (2012). Il inhibe JAK1/JAK2 et est indiqué en monothérapie dans le traitement de la splénomégalie ou des symptômes liés à la myélofibrose primitive ou secondaire à une polyglobulie de Vaquez ou une thrombocytémie essentielle. Désormais, il s’utilise également en greffe (maladies du greffon contre l’hôte)(3). Les dermatologues français ne l’utilisent pas, mais il a ouvert la voie aux autres JAKi et a permis d’affiner les connaissances sur les effets indésirables et les précautions d’emploi dans la prescription de cette famille thérapeutique. La Food Drug and Administration (FDA) a autorisé le ruxolitinib topique (Opzelura®) dans le traitement de la dermatite atopique (DA) aux États-Unis(4). • Le baricitinib (Olumiant®) est également un inhibiteur de JAK1/JAK2. Il est utilisé depuis 2017 dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) et a obtenu il y a cinq ans l’indication en deuxième intention chez les adultes atteints de DA modérée à sévère en cas d’échec, d’intolérance ou de contre-indication à la ciclosporine. L’absence de comparaison directe du baricitinib à la ciclosporine orale après échec des traitements topiques dans la DA ne permet pas de proposer cette molécule en première ligne. Depuis peu, le European Public Assessment Report (EPAR) permet également une extension de l’utilisation de cette molécule dans la pelade (alopecia areata )(5). • Le tofacitinib (Xeljanz®) a, quant à lui, un mécanisme d’action différent des deux précédents puisqu’il inhibe JAK1 et JAK3. Il a l’AMM pour la PR depuis 2017 et a obtenu un an après l’extension d’indication dans le traitement des rhumatismes psoriasiques (RP) et des recto-colites hémorragiques (RCH). Il est utilisable depuis 2022 dans le traitement de l’arthrite juvénile idiopathique polyarticulaire active et du RP juvénile chez les patients âgés de 2 ans et plus ayant présenté une réponse inadéquate à un traitement par DMARD antérieur. Il faut bien noter qu’il n’a pas d’AMM dans la traitement du psoriasis sans rhumatisme associé(6). • L’upadacitinib (Rinvoq®) est un anti JAK1 et anti JAK1/3. Il a obtenu le remboursement dans des indications rhumatologiques (PR, SPA et RP) en 2020-21, puis dans la DA modérée à sévère à partir de 12 ans qui nécessite un traitement systémique. Cependant, en l’état actuel des données et en l’absence de comparaison directe de l’upadacitinib à la ciclosporine orale après échec des traitements topiques, sa place par rapport à la ciclosporine n’est pas non plus établie comme première ligne de traitement systémique(7). En conséquence, en cas d’échec, d’intolérance ou de contre-indication à la ciclosporine chez les plus de 16 ans, l’upadacitinib est un traitement systémique de deuxième ligne de la DA modérée à sévère. Dans le cas d’un patient âgé de 12 à 16 ans atteint de DA modérée à sévère qui nécessite un traitement systémique, la ciclosporine est contre-indiquée. Dans cette tranche d’âge, le choix du systémique se fera entre l’upadacitinib, le dupilumab et le tralokilumab(8). • Le filgotinib (Jyseleca®) est utilisable en France dans la PR et les RCH chez la femme depuis juin 2022 et chez l’homme depuis février 2023(9). • L’abrocitinib (Cibinqo®) a obtenu très récemment (le 9 mars 2023) un avis favorable de remboursement dans le traitement de la DA modérée à sévère chez l’adulte, qui nécessite un traitement systémique après échec, contre-indication ou intolérance à la ciclosporine(10,11). Dans la DA modérée à sévère en échec (ou CI) de la ciclosporine, vous aurez compris que le choix du systémique se fera entre les anti-JAK (baricitinib, upadacitinib ou abrocitinib), l’anti-IL4/IL13 (dupilumab = anti-IL4Ra) et l’anti-IL13 (tralokinumab)(8). La décision thérapeutique ne pouvant pas s’appuyer sur des études comparatives entre ces trois différentes classes dans cette indication, la Haute Autorité de santé rappelle bien que le choix entre ces molécules doit prendre en compte le profil de tolérance moins favorable des anti-JAK (par rapport à celui du dupilumab), la nécessité d’un suivi de différents paramètres biologiques (hématologiques, lipidiques et hépatiques), et la contre-indication en cas de grossesse des anti-JAK et anti-IL13 (versus  l’autorisation possible du dupilumab pendant la grossesse seulement si le bénéfice attendu est supérieur au risque potentiel pour le foetus), de même que les risques majeurs cardio-vasculaires, thromboemboliques veineux et cancérigènes de cette nouvelle famille. À la suite des données de l’étude ORAL(12), le comité de pharmacovigilance (PRAC) de la European Medical Agency (EMA) avait lancé il y a un an une procédure pour réévaluer le rapport bénéfice-risque des JAKi(13), ce qui a permis d’aboutir très récemment a des recommandations européennes afin de réduire le risque d’effets indésirables. Ainsi, les JAKi ne doivent être désormais utilisés qu’en l’absence d’alternative thérapeutique appropriée chez les patients de plus de 65 ans, tabagiques, avec des facteurs de risque d’événements cardiovasculaires majeurs (infarctus du myocarde, AVC) et/ou avec des facteurs de risque de cancer(14,15). Les différentes indications, posologies usuelles en cas d’indication dermatologique, et leur adaptation de posologie à effectuer en fonction de l’âge, de la fonction rénale et de la présence ou non d’une insuffisance hépatique, ainsi que de la possibilité d’utilisation chez l’enfant des différents JAKi autorisés et remboursés dans notre pays sont résumés dans le tableau 1.   LES PRÉCAUTIONS D’EMPLOI ET LA SURVEILLANCE PARTICULIÈRE SOUS JAKi Ces médicaments bénéficient de conditions de prescription et de délivrance particulières, à savoir : prescription initiale hospitalière annuelle et renouvellements réservés aux spécialistes en rhumatologie, en médecine interne ou en dermatologie. Ils ne sont pas utilisables chez la femme enceinte et une contraception efficace est à prescrire. Avant l’instauration d’un JAKi, un bilan préthérapeutique doit être réalisé (tableau 2). Il n’est pas très différent du bilan « prébiothérapie classique », mais certains points sont à garder en tête au vu des surrisques d’effets indésirables graves observés dans les études sur les JAKi dans la PR. Il doit notamment s’astreindre à : – rechercher les foyers infectieux et les traiter ; – faire un bilan sérologique de dépistage des VIH, VHB, VHC (associé à un traitement curatif ou préemptif selon le type d’infection et le virus en cause) ; – dépister et traiter une infection tuberculeuse (latente [ITL] ou maladie ; – remettre à jour les vaccins [sans oublier les vaccinations annuelles antigrippales, la vaccination anti-SARS-CoV-2 et antipneumococcique], porter une attention particulière à l’antécédent d’infection par le VZV et à la possibilité de vaccination contre ce dernier avec un délai d’attente minimal postvaccinal par vaccin vivant [Zostravax®] pour commencer le traitement par JAKi 3 mois pour un vaccin vivant [cependant un avis d’expert de l’EULAR autoriserait à diminuer ce délai]. Le guide de bonne pratique de nos confrères rhumatologues indique, quant à lui, un possible raccourcissement de ce délai à 2 semaines après la vaccination, en cas d’antécédent certain de varicelle ou zona ou si la sérologie VZV est positive [si cet antécédent ne peut être affirmé de façon certaine], et au moins 1 mois en cas de sérologie VZV négative[16]. Certaines études vont également dans le sens d’une possibilité de vaccination avec un délai minimal de 2 à 3 semaines[17]. Toutefois, par mesure de précaution avec les vaccins vivants atténués, un délai de 3 mois doit être si possible respecté, sauf urgence thérapeutique où les délais donnés précédemment sembleraient envisageables ; – rechercher une anomalie de l’hémogramme [anémie, neutropénie ou lymphopénie] qui contre-indiquerait le début des JAKi, selon certains seuils bien définis en fonction de chaque molécule, notés dans chaque fiche caractéristique de produit et dans le Dictionnaire Vidal ; – dépister d’éventuels cancers et évaluer les autres facteurs de risque [FdR] majeurs de complication sous anti-JAK ayant aboutis à une Black Box[18,19] et à des propositions récente de l’EMA pour minimiser leur risque de survenue (FdR de maladie thrombo-embolique veineuse [MTEV], d’événements cardio-vasculaires). L’EMA indique que, chez les patients de plus de 65 ans, tabagiques, ayant un antécédent de maladie cardiovasculaire athérosclérotique ou d’autres FdR cardio-vasculaires, ou ceux présentant un FdR de malignité, les JAKi ne doivent être utilisés que s’il n’existe  pas d’alternative thérapeutique appropriée. Une utilisation prudente est également recommandée chez les patients présentant des FdR connus de MTEV autres que ceux énumérés ci-dessus. Si des JAKi sont nécessaires chez les patients présentant un de ces FdR, une dose plus faible est recommandée : la posologie est fonction du médicament, de l’indication et du FdR spécifique. Il faut alors se référer aux fiches de données des caractéristiques de chaque anti-JAK. Il a été demandé aux laboratoires de remettre à jour ces fiches qui sont disponibles en libre accès sur Internet pour le prescripteur averti. L’EMA nous rappelle également que le médecin doit informer de façon claire, loyale et appropriée son patient sur les risques associés à cette classe thérapeutique qui lui est proposée[15].  

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