Publié le 10 fév 2022Lecture 5 min
La dermatite atopique à l’heure des inhibiteurs de JAK
Michèle DEKER, Neuilly-sur-Seine
Les JAK inhibiteurs ont bénéficié d’un développement très rapide, depuis la découverte des janus kinases (just another kinase) dans les années 1980. Les premiers anti-JAK ont vu le jour en onco-hématologie (2012) et en rhumatologie (2012) ; aujourd’hui, ces molécules sont disponibles en hématologie, en rhumatologie, en gastro-entérologie et, depuis peu, en dermatologie.
Certaines cytokines ont leur propre « machinerie » intracellulaire et se fixent à un récepteur. D’autres passent par des voies de signalisation intracellulaire – MAP-kinases, SYK, TLRNFkB et JAKSTAT – pour parvenir au noyau de la cellule. Les kinases de la voie JAK sont au nombre de 4 : JAK1,JAK2, JAK 3 et TYK 2 (ce dernier est plus important dans les maladies auto-immunes et le psoriasis). Les JAK fonctionnent en binômes ou en trinômes. Ils assurent la signalisation des cytokines de type 1 (IL-4, IL-13, IL-12, IL-23) et de type 2 (IFN-1, IFN-2 et IFN-3, IL-10). JAK 2 est essentiel pour les cellules hématopoïétiques et sera ciblé dans les proliférations de ces cellules, mais pas dans l’inflammation. Les JAK inhibiteurs développés en dermatologie sont des anti-JAK 1, anti-JAK 1/2, anti-JAK 3, anti-JAK 1/2/3. Dans la dermatite atopique (DA), les cytokines impliquées sont : l’IL-31 et le TSLP, impliqués dans le prurit ; l’IL-4, l’IL-13, l’IL-22, l’IL-10 et l’IL-5, qui participent à l’inflammation, l’hyperplasie et la perturbation de la barrière cutanée, ainsi que le GMCSF impliqué dans la douleur. Le plus ancien anti-JAK est un pan-JAK, le ruxolitinib, utilisé en onco-hématologie dans la GVH chronique.
Aujourd’hui, plus de 12 anti-JAK sont en développement (300 essais en cours). En dermatologie, ces molécules intéressent la DA, le vitiligo, la pelade, la maladie de Verneuil, la sarcoïdose, le granulome annulaire, la nécrobiose lipoïdique, les vascularites, notamment la maladie de Horton, la maladie de Takayasu. Sont également intéressés le poumon rhumatoïde, la sarcoïdose, la polyarthrite rhumatoïde, le diabète de type 1, toutes les maladies auto-immunes (lupus, sclérodermie systémique, syndrome de Sjögren, dermatomyosite), toutes les maladies hématologiques prolifératives (leucémies), les cancers dont le mélanome, et la liste n’est pas close.
L’expérience acquise en rhumatologie
Actuellement, 4 anti-JAK sont disponibles en rhumatologie pour traiter la polyarthrite rhumatoïde (PR) : baricitinib et tofacitinib depuis 2017 ; upadacitinib depuis 2012 ; filgotinib depuis 2020. Le baricitinib s’est montré plus efficace plus rapidement que l’adalimumab, sans signal de surrisque d’effets secondaires. Des résultats équivalents ont été observés avec l’upadacitinib.
Nous disposons de données de tolérance à long terme pour le baricitinib avec près de 15 000 années-patients d’exposition. Ces données ne montrent pas de surrisque d’infection sévère ; le risque de zona s’accroît mais dans des proportions modestes et sans augmentation au cours du temps.
Il n’a pas été observé de signal de risque concernant les événements cardiovasculaires majeurs et le risque thromboembolique veineux. Le traitement par anti- JAK est néanmoins prudent en cas d’âge avancé, de surpoids/obésité et d’antécédent de maladie thromboembolique ; il en est de même en cas de cancer non-mélanomateux. Les données de vraie vie sont intéressantes pour évaluer la maintenance sous traitement : les études montrent un maintien satisfaisant des anti-JAK comparativement aux anti-TNF ou autres molécules.
L’expérience acquise en rhumatologie avec les anti-JAK met en avant un mode d’action très différent comparativement aux thérapeutiques classiques, une rapidité d’action et une demi-vie courte, ce qui peut être intéressant en cas d’arrêt (grossesse, soins dentaires, chirurgie), une attention à porter sur les interactions médicamenteuses et la surveillance biologique (NFS, bilan lipidique) et une tolérance globalement correcte sans nouveau signal de risque pour le baricitinib et l’upacitinib à ce jour.
Qu'en est-il en dermatologie ?
Dans l’eczéma sévère, il est aujourd’hui possible de traiter soit par inhibiteur de JAK (baricitinib ou upacitinib), soit par biothérapie (dupilumab, anti-IL-4/IL-13, ou tralokinumab, anti-IL-13). Le baricitinib (AMM 2020) est un inhibiteur sélectif et réversible de JAK 1 et 2, en prise orale 1 fois par jour ; l’upacitinib (AMM août 2021, pas encore remboursé), 15 et 30 mg, en une prise orale par jour.
Les critères de choix du traitement doivent prendre en compte : les comorbidités et pathologies associées (asthme, maladie cardiovasculaire, antécédents de thrombose ou de cancer, traitements associés) ; la voie d’administration préférentielle, per os ou sous-cutanée ; les potentiels effets secondaires.
Les biothérapies et les anti-JAK ont des profils différents. Le dupilumab, qui a l’AMM dans la DA et l’asthme, est administré toutes les 2 semaines, ne nécessite pas de bilan préthérapeutique ni de suivi biologique et connaît peu d’échappement thérapeutique. Les anti-JAK ont une AMM pour plusieurs indications en dehors de la DA, notamment en rhumatologie ; ils nécessitent une surveillance biologique avant la mise sous traitement et lors du suivi, et ont une rapidité d’action remarquable.
Examens à demander à l’initiation du traitement par JAK inhibiteur : hémogramme, ASAT/ALAT, gGT, créatininémie, clairance de la créatinine, radiographie du thorax, test in vitro Quantiféron ou T-Spot ou IDR tuberculine 5 UI, sérologies hépatites B et C, VIH, bilan lipidique à 3 mois. Concernant le baricitinib, les vaccins inactivés peuvent être réalisés sous traitement ; ce dernier est interrompu une semaine avant la réalisation d’un vaccin vivant, la reprise du traitement pouvant se faire 2 semaines après. La vaccination Covid peut être faite à tout moment avant et pendant le traitement. Il en est de même de l’upadacitinib, malgré l’absence de données précises sur la réponse à la vaccination avec des vaccins vivants ou atténués.
Les données d’efficacité du baricitinib associé à la corticothérapie topique montrent, à 16 semaines, à la dose de 4 mg, 30 % de patients blanchis ou quasiment blanchis et près de 48 % de réponses EASI 75. Le prurit est très amélioré (44 % de patients avec une amélioration significative de ≥ 4 points à l’EVA), de même que la qualité de vie.
L’effet sur le prurit est quasiment « magique », avec une amélioration significative dès le 2e jour après la prise d’un comprimé. L’efficacité sur les zones difficiles à traiter (tête et cou) est évaluée à près de 58 % et 40 % d’ EASI50 à S16 selon la dose. À 68 semaines, l’efficacité du baricitinib est maintenue, avec près de 40 % de répondeurs EASI75.
Les données des essais cliniques de l’upadacitinib montrent aussi une bonne efficacité. Une étude face-face comparant l’upadacitinib et le dupilumab met en évidence la plus grande rapidité d’action de l’anti-JAK ; à 16 semaines, 75 % des patients sous upadacitinib atteignent une réponse EASI75 vs 60 % des patients sous dupilumab, et 60 % ont une réponse EASI90 vs 40 % sous dupilumab. L’action sur le prurit est également beaucoup plus rapide et marquée avec l’upadacitinib.
En termes de tolérance, les risques d’événements cardiovasculaires majeurs et thromboemboliques veineux ne sont pas significativement augmentés. Il en est de même des infections graves.
Au final, les anti-JAK ont un profil d’efficacité et de tolérance très satisfaisant, avec des modalités d’utilisation plus simples comparativement aux autres immuno-suppresseurs.
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