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Dermatite atopique, Eczéma

Publié le 05 avr 2024Lecture 8 min

La main des lupus

Camille FRANCÈS, Paris

Les lésions cutanées des mains au cours du lupus, qu’il soit uniquement cutané et/ou systémique, sont de diagnostic difficile, avec très souvent nécessité d’un examen anatomopathologique pour corroborer les diagnostics évoqués cliniquement. En effet, les lésions cutanées lupiques simulent souvent des lésions vasculaires, d’où le risque de thérapeutiques agressives, non adaptées.

En fait, les lésions lupiques sont de loin les plus fréquentes. Dans un article de 2007 sur les lésions cutanées des mains d’une cinquantaine de malades avec lupus systémique, seules 8 % étaient d’origine vasculaire alors que la large majorité (92 %) correspondait à différents types de lupus cutanés(1). Tous les lupus cutanés peuvent être localisés sur les mains ; cependant, certaines formes, telles que le lupus érythémateux tumidus et le lupus profond ou panniculite, ont exceptionnellement cette localisation. Les autres lupus érythémateux cutanés, tels que le lupus érythémateux aigu (LEA), le lupus érythémateux subaigu (LES) et le lupus discoïde peuvent être localisés aux mains, la forme la plus trompeuse cliniquement étant le lupus discoïde. Par définition,le lupus engelure (LE) est localisé sur les extrémités, notamment celles des mains. En dehors du LE, les autres types de lupus cutanés (LEA, LES, LD) prédominent sur les zones interarticulaires des mains (figure 1) contrairement aux lésions de dermatomyosite qui prédominent en regard des articulations. Figure 1. Lésions de lupus aigu localisées principalement sur les zones interarticulaires du dos des mains.   Au cours du LEA, le plus souvent associé et d’évolution parallèle au lupus systémique, les lésions cutanées lupiques des mains sont habituellement érythémateuses, moins œdématiées qu’au visage (figure 1), souvent associées à un érythème palmaire. Ailleurs n’existe qu’un érythème péri-unguéal avec quelques lésions érythémateuses, plus ou moins squameuses, éparses (figure 2) ; cet aspect clinique est commun aux LEA et LES. Lorsqu’existent des lésions franchement annulaires, le diagnostic de LES est plus facile (figure 3). Figure 2. Érythème péri-unguéal avec lésions discrètes proximales compatibles avec un lupus aigu ou subaigu. Figure 3. Lésions annulaires de lupus subaigu.   Le LD est parfois typique sur les doigts avec des lésions érythémato-squameuses et atrophiques, prédominant toujours dans les espaces interarticulaires (figure 4). Souvent, il est atypique du fait de lésions nodulaires à centre kératosique (figure 5) ou de lésions franchement atrophiques avec des zones évoquant une atrophie blanche (figure 6). La forme digitale sclérosante est exceptionnelle, surtout observée dans des lupus systémiques. Ce dernier aspect est particulièrement invalidant avec un retentissement fonctionnel majeur. Il s’y associe généralement une acropulpite atrophique (figure 7)  pouvant se compliquer de lésions érosives (figure 8), facilitées par les microtraumatismes. Figure 4. Lésions typiques de lupus discoïde digital. Figure 5. Lésion nodulaire à centre kératosique de lupus discoïde. Figure 6. Lésions atrophiques diffuses de lupus discoïde avec effilement des doigts. Figure 7. Acropulpite lupique avec disparition des dermatoglyphes. Figure 8. Lésions érosives de la face palmaire des doigts en relation avec un lupus discoïde.   Lorsque les lésions de lupus discoïde siègent en regard de la matrice unguéale, des altérations unguéales pseudolichéniennes sont observées avec des striations longitudinales, décollement distal et ébauche de ptérygion (figure 9). Comme dans la bouche, le LD a un aspect clinique alors identique à celui du lichen plan. Figure 9. Lupus discoïde péri-unguéal avec atteinte de la matrice provoquant des lésions dystrophiques des ongles d’aspect lichénien.   Exceptionnellement, les lésions de LD peuvent prendre un aspect purpurique simulant une pathologie vasculaire d’où l’intérêt de la biopsie cutanée au moindre doute diagnostique. Le lupus engelure a cliniquement un aspect d’engelures persistant au-delà de la saison froide(2). Les lésions cutanées prédominent sur la face dorsale des mains (figure 10), souvent présentes également sur la face palmaire (figure 11). Figure 10. Lupus-engelure de la face dorsale des doigts simulant des engelures. Figure 11. Lupus-engelure de la face palmaire des doigts compatibles avec des engelures.   Quelle que soit la forme de lupus, les lésions digitales lupiques sont toutes aggravées par le froid, ce qui entraîne une confusion dans la littérature où toutes les lésions digitales lupiques sont souvent appelées lupus engelure, alors que ce terme devrait être réservé aux lésions digitales ressemblant cliniquement à des engelures, ne s’accompagnant jamais, à l’opposé du lupus discoïde, de lésions séquellaires atrophiques ou de lésions unguéales définitives. La prévalence d’un lupus systémique associé est beaucoup plus élevée en cas de lupus discoïde digital que dans les autres localisations, généralement supérieure à 50 %. Il est cependant important de faire un diagnostic précis, car leur évolution est alors totalement indépendante des autres manifestations de lupus systémique ; elles nécessitent le plus souvent une prise en charge spécialisée en dermatologie ; les lupus discoïdes digitaux sont souvent résistants aux traitements de première intention. Seul le lupus engelure est peu fréquemment associé à un lupus systémique, présent dans 10 à 20 % des cas dans notre expérience, chiffre similaire à celui observé au cours des lupus chroniques localisés notamment céphaliques. Naturellement, la présence d’autres lésions dans les sites plus classiques du lupus est d’une grande aide pour l’identification des lésions digitales. Il ne faut pas hésiter à confirmer le diagnostic si besoin par une biopsie cutanée digitale qui montrera les signes classiques lupiques : atrophie épidermique, dermite d’interface, infiltrat lymphocytaire périvasculaire en cas de lupus subaigu et/ou périannexiel en cas de lupus discoïde ou lupus engelure. L’immunofluorescence directe dans ce contexte a un intérêt diagnostique limité. De nombreux médecins non dermatologistes confondent les lésions lupiques digitales avec des lésions de vascularite (critère d’activité du lupus systémique dans les échelles d’activité type SLEDAI), d’où généralement une escalade thérapeutique avec des corticoïdes à fortes doses sur des périodes prolongées et la prescription d’immunosuppresseurs inutiles et dangereux(1). Très souvent, en effet, les lésions digitales de lupus discoïde sont résistantes aux antipaludéens de synthèse, en particulier à l’hydroxychloroquine, même après ajustement des taux sanguins d’hydroxychloroquinémie dans la fourchette thérapeutique (proche de 1 000 ng/ml)(3). Lorsqu’il existe un lupus systémique avec une atteinte d’un organe justifiant un traitement par corticothérapie générale (dose > 0,5 mg/kg/j) et/ou immunosuppresseurs, il faut attendre les effets thérapeutiques de ces éventuels traitements avant d’envisager un traitement spécifique des lésions digitales lupiques, ces derniers traitements ne devant pas être prescrits de première intention pour l’atteinte cutanée. En cas d’inefficacité de l’hydroxychloroquine, le remplacement de celle-ci par la chloroquine peut être tenté avec une efficacité qui n’a jamais été évaluée pour les lésions des mains, probablement inférieure à 5 %. Une surveillance oculaire est souhaitable selon les modalités récemment révisées(4). En France, le traitement systémique de deuxième intention après les antipaludéens est généralement le thalidomide du fait d’une efficacité remarquable, malgré ses nombreux effets secondaires. Il ne s'agit le plus souvent que d’un traitement suspensif d’où la nécessité d’un traitement d’entretien à la dose minimale efficace(5). La recherche d’anticorps antiphospholipides est indispensable avant de commencer le traitement ; leur présence ne le contre-indique pas. Il est plus prudent de maintenir l’hydroxychloroquine du fait de son rôle antiagrégant et d’associer systématiquement 100 mg d’aspirine pour le risque thrombotique, important chez les fumeurs du fait de l’athérosclérose sous-jacente. La proportion de fumeurs chez les malades avec atteinte digitale de LD est en effet plus élevée que celle de la population générale (70 % environ d’après notre expérience). Les lupus cutanés des fumeurs sont plus résistants à tous les traitements sans qu’aucune explication scientifique n’ait été encore démontrée(6). Si le thalidomide est contre-indiqué ou mal supporté, il n’y a pas d’alternative thérapeutique satisfaisante. Le lenalidomide, dérivé du thalidomide, commercialisé pour le myélome, est aussi efficace que le thalidomide, beaucoup mieux toléré avec cependant un risque tératogène et thrombogène similaire(7). Il est prescrit à la dose de 5 mg/j en association avec l’hydroxychloroquine et l’aspirine à dose antiagrégante. Cette prescription du lenalidomide est hors AMM (Autorisation de mise sur le marché). Les autres traitements de type méthotrexate, mycophénolate mofétil ou mycophénolate de sodium peuvent être essayés ; ils sont, dans notre expérience, peu efficaces. Toutes les lésions des mains au cours du lupus systémique ne sont pas de nature lupique. Les lésions purpuriques (figure 12) peuvent correspondre à une pathologie vasculaire inflammatoire (vasculite) ou thrombosante ; elles doivent être biopsiées, étant donné la différence de prise en charge en fonction du diagnostic. La présence d’une vasculite est un signe d’évolutivité du lupus systémique nécessitant la recherche d’une poussée systémique de la maladie, notamment clinique et biologique (chute du complément, élévation des anticorps anti-ADN). La présence d’une thrombose impose de rechercher des anticorps antiphospholipides et de prescrire des antiagrégants (aspirine 100 mg/j ou Kardegic® 75 mg/j), voire une anticoagulation au long cours si les lésions récidivent malgré un traitement antiagrégant correctement pris. Les lésions d’atrophie blanche des doigts (figure 13) posent parfois un problème diagnostique difficile, car elles peuvent correspondre à des lésions lupiques de type discoïde ou à une cicatrice de manifestation thrombotique d’où la nécessité de les biopsier systématiquement. Figure 12. Purpura palmaire pouvant correspondre à une manifestation inflammatoire (vasculite) ou uniquement thrombotique. Figure 13. Lésion d’atrophie blanche digitale pouvant correspondre à un lupus discoïde ou à une thrombose des vaisseaux dermique.   Exceptionnellement, certaines lésions nodulaires en regard des articulations des mains (figure 14), d’évolution chronique avec des poussées inflammatoires, correspondent à un erythema elevatum diutinum. Le diagnostic précis de ces lésions est important, car la corticothérapie générale n’est pas indiquée pour ces lésions qui sont sensibles à la dapsone (Disulone®). Figure 14. Déformations réductibles des doigts à type de main de Jaccoud. L’atteinte articulaire à type d’arthrite chronique peut conduire à des malformations des mains sans arthrite érosive sur la radiographie, dénommée mains de Jaccoud (figure 14) ; généralement, les déformations sont réductibles sans douleur. L’apparition brutale d’hémorragies en flammèches sans facteur local déclenchant (traumatismes ou déformations de l’ongle) est généralement contemporaine d’accidents thrombotiques profonds parfois graves ou de poussées de lupus systémique. Enfin, le Plaquénil® peut être responsable de pigmentations longitudinales unguéales (figure 15), généralement associées à d’autres pigmentations sur le tégument pouvant ressembler à des hématomes. Ces pigmentations n’imposent pas l’arrêt du médicament mais incitent à être plus vigilants sur les risques d’autres complications notamment oculaires. Figure 15. Pigmentations unguéales en bandes induites par l’hydroxychloroquine.

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