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Dermatologie générale

Publié le 25 avr 2019Lecture 20 min

Conduite à tenir devant un aphte

Mouna KOURDAa, Camille FRANCÈSb, a. Hôpital Razi La Manouba, Tunis, Tunisie, b. Service de dermatologie-allergologie, UF de dermatologie vasculaire, Hôpital Tenon, Paris

Les aphtes buccaux sont fréquents, le plus souvent isolés et de cause inconnue, d’évolution récurrente. Leur prise en charge est relativement simple. L’association à une aphtose génitale ou anale ne doit pas conduire systématiquement au diagnostic de maladie de Behçet ; la recherche d’une atteinte extradermatologique est importante pour étayer le diagnostic d’une éventuelle maladie associée.

Les aphtes sont essentiellement buccaux parfois bipolaires touchant la muqueuse buccale et génitale, exceptionnellement tripolaires avec en plus une atteinte anale. Il s’agit d’un motif fréquent de consultation notamment chez l’enfant où sa prévalence a été étudiée aux États-Unis : 1,23 % de lésions actuelles, 36,5 % sur les données de l’interrogatoire(1). L’aphtose est la maladie des sujets qui ont au moins 4 poussées d’aphtes par an. Diagnostic d'un aphte Le diagnostic d’un aphte est clinique. Il s’agit d’une ulcération douloureuse avec un fond jaunâtre ou grisâtre, une base infiltrée, des bords nets cerclés par un halo érythémateux (photo 1). Il est douloureux, sans adénopathie satellite. Il évolue par poussées spontanément résolutives et récidive plus ou moins fréquemment. Il est souvent précédé pendant 24 à 48 heures par des picotements et des sensations de brûlure avec une lésion érythémateuse évoluant rapidement vers une ulcération. Sa localisation est ubiquitaire dans la cavité buccale ; cependant l’atteinte des gencives, du palais et du vermillon est rare ; les aphtes des sillons prennent souvent un aspect fissuraire (photo 2). Photo 1. Aphtes labiaux à type d’ulcérations « beurre frais » entourées d’une aréole érythémateuse. Photo 2. Aphte linéaire du sillon gingivo-labial. Certaines lésions, n’ayant pas toutes les caractéristiques cliniques des aphtes, sont désignées pour cet te raison aphtoïdes ; leur prise en charge est grossièrement identique. La biopsie n’est pratiquée qu’en cas de doute diagnostique. L’examen anatomopathologique ne révèle souvent que des lésions non spécifiques telles qu’une ulcération (disparition de l’épithélium), à bords nets, comblée par un exsudat avec un infiltrat dans le chorion constitué de lymphocytes, de monocytes, de polynucléaires, de mastocytes et de plasmocytes. Rarement, existe une vasculite leucocytoclasique ou lymphocytaire. D’après les études immunohistochimiques, la population lymphocytaire est essentiellement de type T avec des lymphocytes T4 et T8. L’infiltrat peut déborder dans le chorion voire dans les glandes salivaires d’où le terme de périadénite décrit par Sutton. Il existe une augmentation franche du TNF alpha dans la salive au moment des aphtes(2). Les principales anomalies de la réponse immunitaire dans l’aphtose sont rapportées sur la figure 1 et les facteurs favorisants dans la figure 2. Figure 1. Principales anomalies de la réponse immunitaire dans l’aphtose. Figure 2. Facteurs favorisants des aphtes. Le diagnostic d’aphte est souvent porté en excès devant une érosion ou ulcération buccale. En fait, les érosions sont des pertes de substance n’intéressant que l’épithélium qui guérissent sans cicatrice. Elles sont souvent postvésiculeuses ou postbulleuses avec une base non indurée. Du fait de son caractère récurrent et de la localisation exclusive buccale fréquente, l’érythème polymorphe (photo 3) est le plus souvent confondu par les nondermatologues avec une aphtose buccale. Photo 3. Érythème polymorphe buccal avec des lésions érosives prédominantes dans la moitié antérieure de la cavité buccale. L’évolution chronique du pemphigus (photo 4) est différente de celle des aphtes. Les récurrences herpétiques ont également une évolution cyclique avec des lésions érosives de plus petite taille (photo 5). Photo 4. Pemphigus buccal avec des lésions érosives chroniques. Photo 5. Récurrence herpétique avec érosions du sillon labio-gingival inférieur. Au moindre doute, les résultats d’un prélèvement viral permettront de redresser le diagnostic. Une base indurée, alors que l’érosion est indolore, fait évoquer un chancre syphilitique (photo 6). Les principales causes des érosions et ulcérations buccales sont rapportées dans l’encadré 1. Toute ulcération chronique doit faire évoquer une cause tumorale (photo 7). Le contexte clinique (antécédents, prothèse mal adaptée, dent aiguisée, etc.) oriente le diagnostic d’ulcération traumatique. Photo 6. Érosion à base indurée d’un chancre syphilitique. Photo 7. Carcinome épidermoïde jugal. L'aphtose buccale récidivante "idiopathique" L’aphtose buccale récidivante « idiopathique » débute généralement dans les 3 premières décades de la vie avec souvent un contexte familial. Ainsi 90 % des enfants dont les 2 parents ont une aphtose auront une aphtose et seulement 20 % de ceux dont aucun parent ne souffre d’aphtose. Cette maladie touche plus souvent les femmes, non fumeuses, de niveau socioculturel élevé. Plusieurs facteurs déclenchant des poussées sont connus : contact avec certains aliments (gruyère, agrumes, noix, noisettes, chocolat , tomates, produits laitiers, etc.), dentifrice contenant du sodiumlauryl-sulfate, traumatismes locaux, stress, arrêt du tabagisme et période menstruelle chez la femme. Trois formes cliniques d’aphtose buccale récidivante ont été différenciées selon la forme, la taille, le nombre et l’évolution des aphtes (tableau 1). Ces trois formes peuvent coexister chez un même malade. La forme de loin la plus fréquente est l’aphtose buccale mineure, représentant 70 à 85 % des aphtoses puis l’aphtose majeure, représentant environ 10 % des cas. L’aphtose buccale mineure est la forme la plus fréquente. Les aphtes sont au nombre de 1 à 5, ronds ou ovalaires de 3 à 9 mm de diamètre, localisés surtout sur les lèvres, les joues et la langue (photo 8). La guérison survient spontanément en 5 à 10 jours sans cicatrice. Photo 8. Aphtose buccale mineure avec 2 aphtes de petite taille. L’aphtose buccale herpéti-forme est constitué d’aphtes miliaires très douloureux et beaucoup plus nombreux (10 à 100), punctiforme de 0,5 à 1 mm de diamètre (photo 9). Ils confluent souvent pour former des plaques érosives entourées de nappes érythémateuses. Les lésions disparaissent en 1 à 2 semaines sans séquelle. Ils ne doivent pas être confondus avec les maladies virales telles que l’herpès, ou la herpangine (photo 10). Photo 9. Aphtose buccale herpétiforme avec de nombreux aphtes de petite taille, certains étant confluents. Photo 10. Herpangine. L’aphtose buccale majeure est également dénommée maladie de Sutton ou périadénite muqueuse nécrotique récurrente. Les aphtes sont grands, mesurant de 1 à 5 cm ou plus, très douloureux (photo 11). Ils sont profonds, irréguliers, entourés d’un oedème, parfois très important et de siège ubiquitaire. Chaque poussée évolue sur plusieurs semaines ou mois. Les signes fonctionnels sont importants à type de dysphonie, de dysphagie (aphtes linguaux, gingivaux, amygdaliens). Dans certains cas, l’évolution se fait au prix de cicatrices rétractiles, parfois mutilantes (amputation de la luette). Elle doit être distinguée des ulcérations buccales de la granulomatose avec polyangéite, moins souvent observées actuellement. Photo 11. Aphtose buccale majeure avec un aphte jugal de grande taille. Les aphtoses buccales secondaires Des aphtes ou des ulcérations aphtoïdes proches de l’aphtose buccale récidivante idiopathique (encadré 2) peuvent être observées au cours de maladies ou situations pathologiques qu’ils peuvent révéler. Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin L’aphtose buccale est présente dans 20 % des cas environ, le plus souvent mineure, ailleurs herpétiforme ou majeure (photo 12). Elle peut être unipolaire, uniquement buccale ou bipolaire, buccale, génitale ou anale (photo 13), ou tripolaire (bouche et organes génitaux externes et anus). Elle évolue indépendamment de la maladie digestive, pouvant la précéder de plusieurs mois. Lorsqu’elle apparaît au cours d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, une malabsorption associée doit toujours être recherchée. Dans les formes d’aphtose majeure, une biopsie est recommandée car elle peut retrouver des infiltrats épithélioïdes redressant le diagnostic d’aphte vers une localisation métastatique de Crohn. Les autres aspects cliniques de lésions spécifiques métastatiques buccales sont les suivantes : lésions polypoïdes (photo 14), hyperplasie œdémateuse et fissurée de la face interne des joues, des lèvres réalisant un aspect en « pavé », chéilite granulomateuse. Les mêmes lésions sont observées au niveau génital et anal. Photo 12. Aphte génital au cours d’une maladie de Crohn. Photo 13. Aphte anal avec lésions polypoïdes au cours d’une maladie de Crohn. Photo 14. Maladie de Crohn métastatique buccale. Maladie cœliaque Environ 30 % des malades avec maladie coeliaque ont une aphtose buccale récidivante qui est améliorée dans plus d’un tiers des cas par le régime sans gluten. À l’inverse, la fréquence d’une maladie cœliaque dans une population souffrant d’aphtose buccale est faible. La recherche d’anticorps anti-transglutaminase doit être réservée aux sujets souffrant de troubles digestifs. Maladie de Behçet La maladie de Behçet (MB) prédomine sur les territoires de la route de la soie s’étendant de l’est de l’Asie au bassin méditerranéen. La pathogénie fait intervenir des anomalies de l’immunité innée et adaptative aussi bien que des facteurs environnementaux. Le rôle déclenchant d’un agent infectieux ou environnemental sur un terrain génétique prédisposé a été évoqué. L’existence de formes familiales et la forte association avec les antigènes HLA B5 de classe I, et particulièrement B51, suggèrent l’importance du terrain génétique. Chez les individus HLA B51, le risque de développer une MB est de 1,5 à 16 fois supérieur aux individus non porteurs de l’allèle. De nom breux autres loci de susceptibilité ont été mis en évidence. Les aphtes sont les principales lésions muqueuses de la maladie de Behçet. L’aphtose buccale est presque constante (90 à 100 % des cas), inaugurale dans 25 à 75 % des cas selon les séries, sans caractéristique clinique particulière. Les aphtes génitaux sont présents dans 60 à 80 % des cas. Ils ne laissent pas de cicatrices chez la femme (photo 15) alors que les cicatrices persistent souvent longtemps sur le scrotum (photo 16). Photo 15. Aphte de la face interne d’une petite lèvre. Photo 16. Cicatrices d’aphtes multiples sur les testicules. Les aphtes périanaux sont peu fréquents dans la MB, l’aphtose tripolaire buccale, génitale et anale orientant plus vers une en térocolite inflammatoire ; ont été décrits exceptionnellement des aphtes conjonctivaux. Les autres lésions cutanées ont en commun un tropisme vasculaire, en particulier veineux, et un infiltrat inflammatoire avec souvent une prédominance de polynucléaires neutrophiles. Il s’agit de pseudo folliculites (photo 17), de folliculites, d’aphtes cutanés (photo 18), d’hypodermite nodulaire (photo 19), de phlébites superficielles, moins fréquemment de dermatose neutrophilique. Photo 17. Pseudo-folliculite. Photo 18. Aphte cutané. Photo 19. Hypodermite nodulaire. Si elles étaient biopsiées, les hypodermites nodulaires ne correspondent pas toujours à une hypodermite aiguë non spécifique ; des thromboses ou des infiltrats neutrophiliques sont parfois présents. Le phénomène pathergique cutané, correspondant à une hypersensibilité aux points de piqûres et qui se traduit par une lésion papuleuse ou papulopustuleuse, reproduisant la lésion spontanée de pseudo-folliculite nécrotique, n’est pas spécifique, et peut être présent en particulier dans le pyoderma gangrenosum ou les leucémies myéloïdes chroniques traitées par interféron alpha. Il est plus fréquemment positif en cas de poussée évolutive de la maladie et se négative rapidement sous traitement corticoïde ou immunosuppresseur. Il est inclus dans les critères de classification de la maladie (tableau 2). Ces nouveaux critères internationaux(3) ne différencient malheureusement pas la grande aphtose de Touraine de la maladie de Behçet puisqu’une simple aphtose bipolaire permet de classer le malade dans le groupe maladie de Behçet alors qu’il n’aura jamais d’atteinte systémique en particulier oculaire, vasculaire ou neurologique. Polychondrite atrophiante Il s’agit d’une maladie inflammatoire rare touchant essentiellement les cartilages notamment auriculaires (photo 20) ou nasals (photo 21) avec de nombreuses autres atteintes notamment dermatologiques ou vasculaires. Elle peut se manifester par une aphtose buccale ou bipolaire d’où le terme de MAGIC syndrome (Mouth And Genital ulcers with Inflamed Cartilage) utilisé dans la littérature. En plus des lésions des cartilages auriculaires et nasal caractéristiques, des lésions cutanées sont fréquentes, similaires à celles de la maladie de Behçet. Photo 20. Inflammation du cartilage auriculaire, respectant le lobe, très douloureuse au toucher. Photo 21. Ensellure nasale séquellaire après chondrites nasales asymptomatiques. Les déficits en vitamine B12, folates, fer et zinc Ils peuvent être classiquement accompagnés d’une aphtose buccale qui régresse inconstamment après correction du déficit. Neutropénie et agranulocytoses Au cours des neutropénies, quelle que soient les causes (iatrogènes, hémopathies, idiopathiques), des ulcérations aphtoïdes peuvent survenir, à fond nécrotique, extrêmement douloureuses, extensives en surface et en profondeur. Elles sont favorisées par l’exacerbation de la virulence des germes saprophytes buccaux, répondant partiellement à un traitement antibiotique. Les neutropénies cycliques sont caractérisées par une chute des polynucléaires tous les 21 jours, pouvant s’accompagner d’une aphtose buccale récidivante « cyclique » (photo 22), souvent sensible à une antibiothérapie générale. Il s’agit d’une maladie génétique à transmission autosomique dominante qui débute dans l’enfance avec mutations dans le gène ELA2 codant pour l’élastase des polynucléaires neutrophiles. Photo 22. Lésion aphtoïde au cours d’une neutropénie cyclique. Sida L’aphtose géante était souvent observée au cours du Sida, surtout lorsque le taux de CD4 était très abaissé. Les lésions sont buccales mais aussi hypopharyngées et oesophagiennes. Elle est beaucoup moins fréquente depuis la large prescription des trithérapies. Autres viroses D’autres viroses que l’HIV peuvent donner des aphtes buccaux, parfois sévères ; la relation chronologique entre l’aphtose et l’infection virale est souvent mal documentée dans des observations isolées. Il peut s’agir entre autres de l’EBV ou du CMV. Syndrome de Sweet Le syndrome de Sweet peut être accompagné d’une aphtose qu’il faut différencier de la pyostomatite-pyodermite végétante avec des lésions pustuleuses disposées en « traces d’escargot ». Syndrome PFAPA (Periodic Fever, Aphtous stomatitis, Pharyngitis, Adenitis) Ce syndrome, associe chez l’enfant de moins de 5 ans, une fièvre périodique durant 3 à 6 jours, récidivante toutes les 3 à 8 semaines à des aphtes, une pharyngite, une adénite cervicale(4). C’est la fièvre périodique la plus fréquente chez l’enfant, disparaissant à l’adolescence. Il peut s’y associer un malaise général, des céphalées et plus rarement des douleurs abdominales et des nausées avec ou sans vomissements. Le diagnostic est un diagnostic d’exclusion après élimination des causes infectieuses et des autres fièvres périodiques. La pathogénie fait intervenir des infections et/ou des anomalies immunitaires de l’hôte avec des anomalies de fonction des cytokines. Le regroupement de malades au sein d’une même famille suggère une participation génétique probablement polygénique. Le traitement fait appel pour le traitement de la poussée à la corticothérapie générale (0,5- 2 mg/kg prednisone le 1er jour de la fièvre) et en préventif à la colchicine, la cimétidine (peu efficace), aux antirécepteurs de l’IL1. Une adénoïdectomie est proposée à des enfants dont les épisodes fébriles sont très rapprochés ou en cas de résistance ou de contre-indication à la corticothérapie générale. L’effet bénéfique de cette intervention est remis en cause. Autres maladies auto-inflammatoires Des aphtes peuvent être présents au cours de nombreuses autres maladies auto-inflammatoires monogéniques telles que la maladie périodique surtout au moment des poussées ou les cryopyrinopathies. La maladie périodique est évoquée chez un sujet originaire du bassin méditerranéen du fait d’épisodes fébriles brefs récurrents, de sérites avec douleurs abdominales ou thoraciques, d’arthromyalgies, de pseudo-érysipèles. Le diagnostic est confirmé par la mise en évidence de mutations dans le gène MEFV codant pour la protéine pyrine/marénostrine. Quant aux cryopyrinopathies, elles sont liées à des mutations du gène NRLP3, à l’origine d’épisodes récurrents de fièvre, d’urticaire au froid, d’arthromyalgies, de conjonctivites, de surdité, etc. Médicaments De nombreux médicaments ont été incriminés dans la survenue d’aphtes avec une imputabilité variable. Nous ne citerons que les principaux dont l’imputabilité est plausible ou possible : nicorandil, alendronate, acide niflumique, captopril, phénindione, piroxicam, sels d’or, sirolimus, évérolimus, temsirolimus, phénobarbital et hypochlorite de sodium. Concernant le nicorandil (Ikorel®, Adancor®), l’aphte est souvent géant, apparaissant de 3 semaines à 36 mois après le début du traitement et disparaissan en 1 à 5 semaines à l’arrêt du traitement (photo 23). Il semble exister une dose-seuil (20-30 mg/j) nécessaire à l’apparition de cet effet secondaire imposant l’arrêt du médicament et son remplacement par un autre vasodilatateur. Photo 23. A : Ulcération linguale apparue après 2 mois de traitement par nicorandil 30 mg/j. B : Cicatrisation de l’ulcération 12 semaines après arrêt du nicorandil. En pratique devant une aphtose buccale L’interrogatoire et l’examen clinique sont les éléments clés de cette étape. L‘interrogatoire précisera l’origine ethnique et géographique du sujet, les antécédents familiaux d’aphtose et de maladies systémiques. Il recherchera des antécédents personnels d’ulcérations génitales, de troubles gastro-intestinaux, cutanés, oculaires ou de plaintes rhumatologiques, de fièvre récurrente. Les traitements en cours seront notés. Il dépistera des facteurs de risque pour des carences (prises alimentaires, saignements, chirurgie gastro-intestinale perte de poids ou maladie antérieure), des facteurs de risque pour le VIH ou pour une immunosuppression d’autre origine. Enfin, il précisera l’histoire de l’aphtose (âge de début, fréquence des rechutes, facteurs déclenchants, durée des rémissions, etc.). L’examen clinique appréciera le type d’aphtose buccale, la présence de lésions génitales ou de cicatrices, de lésions cutanées concomi tantes, oculai res, gastro-intestinales ou gynécologiques. Les examens paracliniques systématiques seront limités à une numération formule san guine au cours d’une poussée d’aphtose. Des dosages de fer, d’acide folique, de zinc, de vitamine B12 seront faits en cas de suspicion de carence, un bilan hépatique en cas de suspicion d’une infection virale, un dépistage du VIH en cas de facteurs de risque, une culture virale pour herpès virus en cas de doute diagnostique ou de suspicion de surinfection, une biopsie de l’aphte en cas de passage à la chronicité. Aphtose génitale, aphtose anale et aphtoses bi- ou tripolaires Les aphtes génitaux réalisent des aspects voisins de ceux observés dans la bouche sans adénopathie inguinale sauf en cas de surinfection bactérienne. Chez l’homme, ils siègent avec prédilection sur le scrotum et plus rarement sur le fourreau, le gland ou le méat (photo 24). En cas de localisation scrotale, ils laissent volontiers une cicatrice indélébile permettant un diagnostic rétrospectif (photo 16). Photo 24. Aphtes du gland au cours d’une grande aphtose de Touraine. Chez la femme, ils sont essentiellement vulvaires (photo 25), plus rarement vaginaux ou cervicaux pouvant être découverts à l’examen systématique. Ils ne laissent habituellement pas de cicatrice. La douleur spontanée serait moins intense que chez l’homme ; en revanche le contact des urines avec les lésions est généralement insupportable d’où la recommandation d’uriner dans une bassine remplie d’eau. Photo 25. Aphtes vulvaires et péri-anaux au cours d’une maladie de Crohn. L’aspect histologique est aussi peu spécifique que celui de la bouche. Ils évoluent comme les aphtes buccaux spontanément vers la guérison en plusieurs semaines avec des récidives beaucoup moins fréquentes. L’aphtose génitale est généralement associée à l’aphtose buccale, association définissant l’aphtose bipolaire. En cas de doute diagnostique avec un herpès, une syphilis primaire ou secondaire, une donovanose, un chancre mou, seront réalisés un cytodiagnostic, des prélèvements bactériologiques et virologiques. Les maladies bulleuses donnent des lésions plus superficielles érosives ; le syndrome de Reiter, une balanite circinée. En pratique, le principal diagnostic différentiel est celui de récurrences herpétiques génitales chez les sujets souffrant d’aphtose buccale, faisant porter à tort le diagnostic d’aphtose bipolaire. Plus rare est le diagnostic différentiel avec l’ulcère aigu de la vulve, décrit par Lipschütz en 1927. Typiquement, l’ulcère aigu de la vulve touche des jeunes filles, fréquemment vierges, dans un contexte fébrile. Il réalise des ulcérations géantes de la face interne des petites lèvres, grossièrement bilatérales et symétriques en feuillets de livre (photo 26). Les lésions nécrotiques peuvent atteindre 80 % de la surface interne des petites lèvres. Les lésions sont excessivement douloureuses, fréquemment surinfectées, avec un risque de symphyse des petites lèvres l’une à l’autre du fait de l’inflammation. L’histologie est non spécifique. Il n’y a pas d’aphtose buccale associée. Les examens biologiques mettent souvent en évidence une discrète atteinte hépatique, plutôt cytolytique. Les lésions régressent spontanément en 2 à 3 semaines environ sans traitement. Elles ne récidivent pas. Le rôle pathogène de Bacillus crassus, initialement évoqué, a été secondairement récusé. Une infection bactérienne (typhoïde, tuberculose, yersiniose, etc.) ou surtout virale (primo-infection à EBV, CMV, etc.) est souvent concomitante(5). Photo 26. Ulcères aigus de la vulve de Lipschütz. L’aphte anal ressemble à un aphte buccal ou génital de diagnostic relativement aisé, excepté lorsqu’il est profondément situé pouvant être confondu avec une fissure hémorroïdaire. La démarche diagnostique est la même que pour un aphte génital. L’aphtose bipolaire peut être isolée ; il s’agit alors de la grande aphtose de Touraine, maladie uniquement dermatologique. Ailleurs, l’aphtose bipolaire s’intègre dans une des 3 maladies systémiques suivantes : maladie de Behçet, colites inflammatoires ou polychondrite atrophiante. Traitement des aphtoses La suppression des facteurs favorisants (traumatismes, aliments) est surtout préconisée dans l’aphtose buccale idiopathique. Traitements locaux De nombreux traitements ont été proposés, d’efficacité variable d’un malade à l’autre. Ils sont utilisés à visée antalgique, anti-inflammatoire et antiseptique pour prévenir les surinfections(6). Les corticoïdes locaux ne sont efficaces que s’ils sont appliqués au stade prodromique. Ils atténuent la douleur et réduisent la durée d’évolution des aphtes mineurs. Ils sont peu ou pas efficaces sur les aphtes géants. Ils peuvent être utilisés sous forme de bains de bouche de prednisolone (20 à 80 mg de Solupred effervescent® non substituable dans un demi verre d’eau 1 à 3 fois par jour), surtout en cas de forme herpétiforme ou de comprimés de valérate de bétaméthasone à sucer (Buccobet® 0,1 mg 4 à 6/j). Les antibiotiques locaux sont très utilisés, surtout les tétracyclines en bains de bouche (1cp de 250 mg/5 ml, appliqués 2 minutes, 4 à 5 fois par jour). Les douleurs occasionnées par les aphtes sont soulagées par l’application de topiques antiseptiques (chlorhexidine, Borostyrol®), anesthésiques (xylocaïne avec précaution sur une petite surface pour éviter les fausses routes) ou antalgiques (Pansoral®, voire un bain de bouche avec de l’aspirine 3 à 4 g). L’acide trichloracétique à 33 ou 50 % et le nitrate d’argent au crayon sont utilisés en attouchements ; ils stopperaient l’évolution des aphtes mineurs. Le laser CO2 et Nd:YAG peuvent avoir un effet antalgique immédiat. Lorsque les aphtes sont très nombreux, les topiques sont préférés en bains de bouche ; des pansements gastriques (Mutésa®, Maalox®, Polysilane®, Ulcar®) peuvent être également utilisés. Ces traitements topiques sont dans l’ensemble essentiellement symptomatiques, ne réduisant pas la durée des poussées. Traitements généraux Ils sont nécessaires pour contrôler les poussées sévères d’aphtose, espacer les récidives et diminuer leur intensité. Plusieurs d’entre eux sont couramment prescrits malgré une efficacité très inconstante et non démontrée : vitamine C, chromoglycate de sodium, dapsone, acyclovir, isoprinosine, polyvitamines B, pentoxifylline (Torental®), superoxyde dismutase. Les deux médicaments les plus utilisés sont la colchicine en première intention et le thalidomide en deuxième ligne. La colchicine inhibe le chimiotactisme des polynucléaires ; sa prescription dans l’aphtose est étayée par plusieurs études ouvertes avec des résultats comparables. Celle, incluant 54 patients, traités par 1 à 1,5 mg/j de colchicine, suivis plus de 4 ans, montrait un effet préventif important dans 63 % des cas persistant dans 37 % des cas pendant la durée du suivi(7). La colchicine est habituellement prescrite à la dose de 1 à 2 mg/j en poussée puis de 0,5 à 1 mg/j en traitement d’entretien. À ces doses, ce médicament est très bien toléré. Nausées, vomissements, diarrhées, douleurs abdominales sont surtout observées à des doses quotidiennes de 2 à 3 mg/j. Les autres complications sont rares : neuropathies périphériques, myopathie, leucopénie, anémie, thrombopénie. Les contre-indications sont les insuffisances rénales et hépatiques sévères. Le thalidomide a une efficacité spectaculaire confirmée par une étude multicentrique française en cross over(8). La dose d’attaque était de 100 mg/j pendant 2 mois en moyenne. Du fait d’effets secondaires fréquents à cette dose, une dose d’attaque de 50 mg/j peut être proposée avec augmentation à 100 mg en cas d’inefficacité. La rémission est transitoire avec des rechutes dans presque tous les cas à l’arrêt du thalidomide. Aussi estil nécessaire de prescrire une dose d’entretien la plus faible possible. La posologie du traitement d’attaque est réduite progressivement en traitement d’entretien à des doses de 50 mg, 2 à 3 fois par semaine. Les règles de prescription de la thalidomide sont très strictes (médecin dûment autorisé, distribution hospitalière exclusive, pratique systématique d’un test de grossesse tous les mois et contraception efficace obligatoire chez la femme en période d’activité ovarienne, procréation interdite chez l’homme, lecture et signature d’un document informant sur les risques tératogènes encourus). Le thalidomide peut induire une somnolence mieux acceptée en cas de prise le soir, une prise de poids, une aménorrhée ou une impuissance chez l’homme, ces derniers effets secondaires étant très dose-dépendants. Les risques de neuropathie axonale sensitive et distale sont non négligeables, contre-indiquant ce traitement chez certains sujets prédisposés (alcooliques, diabétiques, etc.). Une surveillance neurologique clinique mensuelle et électromyographique biannuelle est conseillée. Du fait du risque thrombogène du thalidomide, l’aspirine à dose antiagrégante (75 à 160 mg/j) est généralement prescrite simultanément, indispensable en cas de maladie de Behçet associée, comportant également un risque thrombogène. En cas d’intolérance du thalidomide, le Revlimid® (5 mg/j) a la même efficacité ; il n’a pas cependant d’autorisation temporaire d’utilisation dans cette indication. Comme le thalidomide, il est tératogène avec possible induction de thrombose. La corticothérapie générale est efficace à des doses de 0,5 à 1 mg/kg/j, doses inacceptables pour une administration prolongée du fait d’effets secondaires plus graves que la maladie initiale pour laquelle ils ont été prescrits. En cas d’aphtose sévère et invalidante, un traitement peut être proposé avec les anti-TNF (infliximab, étanercept et adalimumab) aux doses habituellement utilisées pour le psoriasis(9). L’aprémilast a été utilisé avec succès à la dose de 30 mg 2 fois par jour chez des malades avec une aphtose liée à une maladie de Behçet(10). Dans cette étude contrôlée de phase 2, le nombre d’aphtes après 12 semaines de traitement était significativement diminué dans le groupe aprémilast que dans le groupe placebo (0,5 + 1 vs 2,1 + 2,6 ; p < 0,001). Malheureusement l’aprémilast n’a pas encore d’autorisation de mise sur le marché dans cette indication. Indications des traitements Dans tous les cas une éviction des aliments susceptibles d’accentuer la douleur (vinaigre, citrons, etc.) et des aliments favorisant l’apparition des aphtes est préconisée. Des mesures d’hygiène buccale, la remise en état de la denture et des prothèses sont conseillées. Le traitement local est institué devant toute poussée d’aphtose justifiant d’une consultation médicale, quelle que soit la forme clinique de l’aphtose. Ce traitement local suffit généralement dans les aphtoses buccales peu invalidantes à récidives espacées ou en cas d’aphtes sporadiques. Le traitement général n’est prescrit qu’en cas d’aphtose sévère handicapante à poussées rapprochées notamment avec une atteinte bi- ou tripolaire : colchicine en première intention puis thalidomide, de préférence associé à l’aspirine pour prévenir le risque thrombotique, induit par le thalidomide, majoré en cas d’association à une maladie de Behçet éventuelle. En cas d’intolérance du thalidomide ou de non-efficacité, peuvent être prescrits un anti-TNF ou l’aprémilast en sachant qu’il s’agit d’une indication hors autorisation de mise sur le marché. Conclusion La prise en charge d’une aphtose buccale est fortement orientée par l’interrogatoire et l’examen clinique. L’aphtose génitale doit toujours être authentifiée par un dermatologiste étant donné la fréquence des récurrences herpétiques génitales. Dans les nouveaux critères internationaux, l’existence d’une aphtose bipolaire en l’absence d’autres diagnostics suffit à diagnostiquer une maladie de Behçet, ce qui est à notre avis discutable.

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